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-Toutes mes félicitations alors!
Ma sœur? Ah, deux têtes blondes, de là l’évidence. Nos regards au pied du mont ne se sont pas croisés, mais mes doutes sont maintenant fondés. Dans le même champ de vision que lui, mes yeux le discernent clairement, sans m’y attarder. Les schémas, scénarios et surtout, les moments jadis passés ensemble s’entremêlent dans mon cerveau. Ce n’est pas le temps pour ces histoires, ni jamais, d’ailleurs. Qui voudrait ressasser ces vieux problèmes quand on a coupé les ponts d’un commun accord? On a vécu de belles soirées tout comme dans les excès colériques de nos deux caractères, il fallait y poser un terme un jour, ce qui est arrivé il y a de ça une année, je ne sais plus trop. Mettre Aaron dans les équations, ce n’est pas mon genre de briser les illusions d’une personne. Perplexe, coincé entre le feu qui s’allume à en cracher et taire cette flamme par le mensonge. Il le saura tôt ou tard de toute façon. Un sourire en coin, j’essaye de ne pas éviter son regard.
-J’ai rencontré Elisabeth dans le cadre du travail, c’est un coup de chance aujourd’hui d’avoir été avec elle, car je suis venu seul. C'était surtout pour valider mon retour au sport, enfin bref. Je ne savais pas que vous connaissiez Logan. Il a déjà été mon patient, d’où notre connaissance.
Sauvé par une demie vérité, tu parles.
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« J’suis sûre t’as triché, pour arriver avant moi à la rando. »
« Moi ?! Pour qui tu me prends ! De toute façon, le héros de Kobe m’aurait pas laissé faire. »
Je lui offre ce petit air mutin qu’elle déteste tant et l’observe manger l’onigiri chipé dans mon assiette. Quand elle me demande si je ne suis quand même pas arrivé premier, je rétorque un magistral « Bah si », les sourcils haussés en une expression mêlant incrédulité et orgueil — comme si j’étais là pour faire de la figuration ! Si les autres feignasses se sont inscrites pour se dégourdir les jambes, elles auraient mieux fait de crapahuter hors compétition ; le mont est ouvert à la randonnée toute l’année, que je sache ! Kate, je le sais, était surtout là pour gagner, aussi, je ne lui fais pas étalage de ma propre victoire et la laisse aller dans le flot d’étudiants qui l’embarquent à l’autre bout du buffet, lui adressant un signe de la main et un grand sourire. Et puis je me dirige aussitôt vers Jake, ravi de voir tous ces visages connus.
« Jake ! »
Je le gratifie d’une accolade amicale et baisse le regard sur son t-shirt, qui ressemble à ceux que portent les bénévoles. Jake, d’ordinaire, est plutôt le genre à fourrer ses mimines dans des corps humains anesthésiés, alors le retrouver là, au service des autres, avec sa petite dégaine de rebelle, ça me surprend.
« Je rêve ! Monsieur a décidé de faire dans la charité aujourd’hui ? Tu soignes les petits bobos ? »
Ma voix se fait railleuse, mais c’est dit avec toute la légèreté du monde. Je suis content de le voir.
« J’ai gagné, au fait. Je te le dis pour que tu reconnaisses à quel point je suis fort. T’es fier ? Mh ? Avoue. »
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Mais elle ne cesse pas de sourire, bien heureuse d’avoir participé à cette randonnée, et s’amusant de son interlocuteur avec une sincère compassion. Ils arrivent au buffet, près duquel son regard est attiré par de grands gaijins qui discutent avec légèreté, et elle se demande si elle pourrait trouver des futurs amis parmi eux, mais ils sont trop occupés dans leur conciliabule. Le grand blond, Sofia l’a peut-être déjà vu, mais elle ne sait plus où — peut-être à l’hôpital de Koyane ? Son nom ne lui revient pas. De toute façon, Kenji lui pose une question, et la jeune femme a reporté son attention sur la nourriture.
« Ça doit faire… dix ans ? Non, treize ans, pour être plus précise. J’ai toujours fait ça. En ce moment, je me lance dans autre chose, de plus lucratif, en parallèle à mon métier », glisse-t-elle avec un sourire en coin, pas peu fière de son statut d’indic, « Et toi, que fais-tu dans la vie ? »
Elle ne lui attribuerait aucun métier en particulier, là, comme ça, s’il fallait se baser sur son apparence physique. Professeur d’arts martiaux, peut-être ? Sofia se sert parmi ces petites boîtes en carton qui constituent des bentos bien garnis, et se risque à manger quelques bouchées : son estomac est ravi. Les efforts déployés pendant l’ascension valaient le détour !
« Ils ont bien fait les choses, c’est délicieux ! », infiniment mieux que les plats tout prêts qu’elle achète au konbini, en tout cas.
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« Wha… Ah oui, ça fait très longtemps que tu fais ça… Je comprends pourquoi Demoiselle, tu as le sens inné de la mode et que tu ne veux pas que tes vêtements hyper chics soient salis. »
Quelque chose d’intéressant et plus lucratif qu’être mannequin. Ah mauvais point Sofia, tu viens de piquer ma curiosité et je vais avoir envie de creuser très profondément maintenant pour avoir des réponses. Enfin, heureusement pour elle, elle détourne un peu le sujet en me demandant ce que je fais dans la vie.
« Je suis analyste financier pour une assez grosse banque si tu veux tout savoir. »
Je sais que je n’ai absolument pas la tête du métier, étant donné ma carrure, mon style, mon visage encore enfantin malgré la cicatrice longeant sur le nez. Je pourrais facilement passer pour tout un tas de métier à vrai dire : coiffeur, styliste, professeur d’arts martiaux et il est vrai que j’aime la mode mais je ne suis pas à ce point-là pro et intéressé pour me lancer là-dedans. Après qui sait, peut-être que mon rêve de reconversion arrivera quand même à se faire.
« Mais j’avoue que j’aimerais bien être tatoueur et avoir mon propre salon de tatouage. »
Est-ce que ce bento est bon d’ailleurs ? Certainement, sauf que je ne le touche pas car je viens de déceler plusieurs traces de sauce soja et finis par le laisser à regret sur le banquet.
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Au sommet
La réaction du Doc à l’annonce de notre victoire me fait plaisir. Même si son sourire n’est pas des plus ravis, il a le mérite d’exister et de paraître assez sincère, tout comme ses félicitations. J’aurais sans doute encore plus apprécié qu’il ait l’air un peu déçu : ce n’est pas drôle de gagner quand les autres s’en foutent de perdre. Mais bon, le Doc, j’ai pas de raison de lui souhaiter d’être vexé, alors j’accepte ses congratulations et nous considère quittes.
Là où je me dis que je le lâcherai pas, par contre, c’est quand je remarque l’air bizarre qu’il lance à Logan. Tellement bizarre que quand il se retourne vers moi, il a le regard un peu fuyant, il a du mal à le fixer sur moi. Je m’attaque immédiatement à élaborer une stratégie pour lui tirer les vers du nez, si bien que je ne réagis même pas quand il détrompe ma première intuition en m’apprenant qu’ils ne sont que collègues et non apparentés (mais je suis déjà au -delà de ça). Je me réjouis même de cette joute à venir. Sauf que… il y répond de lui-même. Même pas drôle.
- Oh, j’imagine, réponds-je, un peu blasé. Logan est du genre… à se fourrer un peu trop souvent dans les ennuis.
« À carrément chercher les emmerdes » serait plus juste mais le Doc ignore probablement le détail de ses activités, donc faut pas que j’en dise trop. Après, si Logan est allé aux urgences, c’est probablement pas pour une simple entorse. D’autant… Je mets un instant à capter…
- Il a dû venir quelques fois, pour que vous le reconnaissiez aussi facilement et vous souveniez de son prénom, non ?
J’essaie de faire en sorte que mon ton soit plus curieux, au pire taquin, que suspicieux, mais j’ai un peu de mal. Logan a fait tant de passages aux urgences que ça ? Ou le Doc vient de me mentir ? Enfin, à strictement parler, il n’a pas dit qu’il le connaissait uniquement en tant que patient, mais c’est bien ce qu’il sous-entend. Quoiqu’il en soit, je n’aime pas qu’on me mente, même par omission, et surtout quand ça concerne Logan. Mais que le Doc se rassure : je ne lui en tiendrai pas rigueur. À condition qu’il se corrige.
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‘’Souvent’’. C’est léger, ce mot. La plupart du temps, lorsqu’on se voyait, il y avait ce fameux liquide rougeâtre sur lui. Une blessure dont je devais coudre à cause d’une arme blanche, je ne me rappelle pas lui avoir retiré une balle. C'était presque devenu une tradition, qu’il se ramène chez moi à des heures tardives pour ne pas se rendre à l’hosto. D'autres fois, on passait seulement des moments ensemble pour un côté amical, je ne ramène pas quelqu’un chez moi sans le connaître, savoir au moins son nom et ce qu’il fait de ses journées. Enfin, je l’ai su à mes dépens, en franchissant la ligne. En plus de cette soirée où j’ai terminé menotté à mon propre lieu de travail, Logan entre la vie et la mort. Mes poils s’hérissent, je n’ai pas envie d’en discuter, encore moins avec lui – policier qui plus est. Un brin tendu, je réfléchis pour ne pas mentionner certaines choses illégales. Je sais qu’il s’en fichera, il ne jouera pas le rôle de flic ici autour de tous ces gens. S'il veut savoir notre relation personnelle, il n’en saura pas beaucoup aujourd’hui. Mon regard fixe le sien, mon ton est neutre.
-C’est vrai. Il a la fâcheuse habitude de se promener où il ne faut pas.
On fait le procès de Logan ou le mien? Les questionnements trottent dans nos têtes, sauf qu’on sait tous les deux que demander certains détails est inutile. Les cheminements se font seuls mais, il continue. Je regarde autour de moi sans vraiment m’attarder sur une personne particulière. Sa question est malgré tout positive, à un point. J'ai une très bonne mémoire des visages et des prénoms, même s’ils sont japonais. Ça fait assez d’années que je suis ici, en plus de parler d’autres langues. Je soupire, je ne suis pas aussi naïf qu’il croit, franchement. Je ne voudrais pas hausser le ton, ma voix est déjà grave de nature.
-Exactement. Mais je pourrais aussi vous nommer la moitié des gens qui sont ici, j’ai une bonne mémoire et pour moi, les patients ne sont pas des numéros ni à l’hôpital, ni lorsque je sors de l’établissement. C'est encore plus facile de le reconnaitre étant moi-même un étranger. D'ailleurs, vous savez qu’il n’apprécie pas l’autorité, ce qui fait partie des urgences et des postes de police. Arrêtez de vous creuser la tête, pour lui je suis le passé et vous le futur. Bonne soirée Aaron.
Je vire les talons, à moins qu’il soit encore plus chiant que je ne le pense.
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Au sommet
Je veux bien que certaines personnes aient une mémoire étonnante. Genre ces surdoués qui ont une mémoire photographique de dingue, qui peuvent vous réciter une page entière d’une bouquin après l’avoir vue qu’une fois. Mais je suis pas convaincu que ce soit le cas du Doc. Surtout qu’on parle pas d’une page de livre mais d’une tête de bonhomme – de plein de bonhommes, à l’écouter. Bref, je sui sceptique dès qu’il parle de nommer la moitié des gens ici. Il en fait un peu trop pour essayer de me faire croire que Logan n’est qu’un patient parmi d’autres…
Mais là encore, il me dénie la joie d’un interrogatoire en règles, puisqu’il se contredit dès la phrase suivante et admet le connaître... et avoir fait partie de son passé. Le sous-entendu dans cette affirmation me laisse si stupéfait que je ne pense même pas à le retenir quand il me plante sur place. Son passé ? Merde, ça veut dire quoi, ça ?!
À mon tour, je tourne les talons pour retourner auprès de Logan. Un petit détour par le buffet pour poser, n’importe où sur la table, l’assiette quasi vide que je tenais encore en main, et je suis sur lui. Je dois me contenir pour l’approcher calmement, d’autant qu’il n’est pas seul. Je prends même le temps de saluer ce punk à cheveux rouges d’un signe de tête et d’un « Bonjour » – un poil expédié, je dois le reconnaître.
- S’cuse-moi, dis-je alors à Logan, mais le Doc… le médecin, je veux dire, le grand blond qui travaille aux urgences de Koyane… Tu le connais, je crois ?
Nan parce que, si je résume : je sais que le Doc est de ce bord, qu’il connaît assez bien Logan pour savoir qu’il a un petit souci avec l’autorité, et en prime, il a l’air d’en savoir un peu trop long sur notre relation. Alors okay, il a dit être de son passé, donc ma possessivité et ma jalousie peuvent retourner faire une crapette dans leur coin, mais y’a quand même un truc à creuser. Y’a des gens autour de moi qui savent des choses que j’ignore, à mes dépens : il me faut rectifier cette injustice.
- C'est juste qu'il m'a parlé de toi, et lui avait l'air de te connaître.
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« Ouais, ouais, j’le connais. Il est un peu bipolaire, ou je sais pas comment ça s’appelle. Pourquoi ? »
J’ai le souvenir saugrenu de Bastian renversant presque la table à cause d’un mot de travers, abattant furieusement son poing sur la surface en bois, pour ensuite, la seconde d’après, me proposer de jouer à la console comme si rien ne s’était passé. Quel putain de fou furieux, ce type ! La réminiscence me fait sourire. J’ai vraiment des fréquentations bizarres.
« J’ai coupé les ponts parce que c’est une plaie et qu’il se prend pour mon daron. » Je marque une pause, scrutant le visage d’Aaron à la recherche de quelque chose, dans son regard ; une lueur similaire à celle que j’ai aperçue le jour où il m’a piqué une crise de jalousie. Et puis je ricane avec toute la légèreté du monde. Est-ce qu’il croit sérieusement ce que je crois qu’il croit ? Peu enclin à m’amuser de ses doutes, je mets immédiatement les choses au clair : « C’était un ami, hein. Et puis, t’es plus beau. Enfin, ça, c’est que je t’aurais dit si tu m’avais pas poussé dans l’eau, donc va te faire voir. T’es moche et t’es pas cool avec mes amis. Fais un effort, la prochaine fois, O.K ? »
Autour de nous, ça s’agite. Sur la petite estrade, un organisateur procède à des essais sur le micro qui grésille et fait saturer sa voix enjouée.
« L’heure de gloire est dans quelques minutes, tu viens ? »
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Mon but n’était pas de faire fuir le punk. Mais c’est aussi bien qu’il soit parti, ça nous permet de discuter un peu plus librement. Logan n’a d’abord pas l’air d’apprécier, au début, puis après son premier bout de réponse, il retrouve le sourire. Le mien revient aussi sur mon visage quand il me dit que le Doc se prenait pour son père : j’imagine très bien la scène. Pas sûr qu’il ait choisi la bonne façon d’échanger avec Logan. La description que le premier intéressé me fait de leur relation le prouve assez bien. Et à ceux qui pourraient me rétorquer je ne suis pas non plus un expert sur la façon d’échanger avec Logan, eh bien, moi, au moins, il ne parle pas de moi au passé.
Il me fait même un compliment. Il a beau le nier, c’est bien ce que je retiens de sa tirade.
- C’est dommage, je t’aurais retourné le compliment, mais t’es pas beau quand tu râles comme ça.
Je laisse un instant de silence, pour que le doute plane, mais je consens à répondre à sa vraie demande, avec un ton un peu trop plaintif à mon goût.
- Je lui ai dit bonjour et je me suis excusé. Je suis désolé pour toi s’il s’est vexé, ou je-ne-sais-quoi mais j’ai pas été si pas cool que ça. Mais ouaiiiis, ok, je ferai attention la prochaine fois.
Même si lui, je maintiens que je ne l’ai obligé à rien. C’est peut-être ma tronche qui ne lui revenait pas, qui sait ? Y’aurait sans doute à discutailler sur ce sujet, mais le mouvement de foule qui s’amorce autour de nous ne nous en laisse pas l’occasion. Tant mieux.
- L’heure de gloire est dans quelques minutes, tu viens ?
- Pour m’afficher à tes côtés ? Quand tu veux !
J’espère qu’il y aura au moins un journaliste pour prendre mon bon profil et rabattre leur caquet à mes supérieurs frileux. Et je réalise soudain que j’ai pas de photo de Logan et moi – comment j’en aurais eu, en même temps ? Faudra que je passe dans un kioske, moi, demain.