Tsuki n'est plus très sûre d'elle-même.

En arrivant au skate-parc, sa planche dans les bras, elle a tout à coup envie de faire demi-tour. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête au juste ? Cette planche, elle l'a trouvé le matin même dans les vielles affaires de son père. Elle ne l'avait jamais imaginé en faire à vrai dire. Ça ne collait ni avec l'image actuelle qu'elle avait de lui, ni celle qu'on lui avait rapportée au moment de sa rencontre avec sa mère.

Néanmoins, elle s'était que ça pourrait être une bonne idée d'essayer en le trouvant.

Depuis les évènements du mois précédent, Tsuki se sent étrange. Il y a comme une boule dans sa gorge et dans son ventre qui ne la quitte plus. Parce qu'elle a bien crut qu'elle allait mourir lors de cette manifestation. Elle a vu des gens se faire piétiner, un homme a sorti une arme juste sous ses yeux. Ces images tournent en boucle dans sa tête quand elle ferme les yeux pour s'endormir le soir. Et puis, il y a les bruits. Les coups de feux. Les hurlements de terreur de tous ces gens autour. Et les sirènes. Qui sont là et pourtant si loin. Presque toutes les nuits, elle se réveille, trempée de sueur dans son lit.

La mort peut donc survenir si brutalement.

C'est étrange mais c'est comme si, jusque là, elle n'en avait pas eut conscience. Ou avait décidé de fermer les yeux sur cette éventualité. Mais il fallait bien se rendre à l'évidence : personne ne sait de quoi demain sera fait. Et demain peut être de la pire espèce qui soit.

Alors, elle avait décidé qu'il sera dommage de mourir sans avoir réellement vécu. Toute sa vie, Tsuki a eut la sensation de mettre sa propre existence entre parenthèse. Il fallait qu'elle vive sa vie. Au moins un peu. Pour ne pas avoir de regret le jour où la mort se présentera devant elle. Car ce jour-là, elle ne pourra éviter son destin.

Il fallait qu'elle cesse d'avoir peur de tout. Bien consciente qu'un tel changement ne peut s'opérer en un jour, elle a décidé d'affronter chaque petite épreuve une à une. Et de s'essayer à des nouvelles expérience. C'est avec ce raisonnement qu'elle se retrouve plantée là, la planche entre les mains. Il n'y a pas grand monde dans le skate parc. Certains sont en rollers ou en trottinette. Il y a quelques adeptes de la planches. Parmi ces gens, il est aisé de repérer les habitués, à l'aise, et ceux qui ont un peu moins confiance en leurs mouvements. Tous, sont passés par la case départ.

Saisissant son courage elle pose la planche au sol. Avant de venir elle a regarder plusieurs vidéos conseil sur le net. C'est mieux que rien. Elle pose d'abord un pied sur la planche, chaussées de basket blanches, un peu usées, mais confortables. Elle fait avancer et reculer la planche, simplement pour ressentir le roulement. Elle va poser son sac à main, qu'elle avait sur le dos, un peu plus loin pour être plus à l'aise.

- Allez… !

Jean ré-ajusté, inspiration pour se calmer. Elle repose un pied sur la planche et pousse de l'autre jambe. Une Après quelques poussées, elle tente de mettre son autre pied. Dans son t-shirt noir, ses bras font quelques moulinets ridicules. Son avancée s'arrête bien vite.

Pas découragée pour autant elle retenter quelques aller retours. Elle espère sincèrement que personne ne la regarder ! Parce qu'elle a un peu honte. Même s'il faut bien commencer quelque part.

Tsuki est tellement concentrée sur son équilibre précaire qu'elle ne remarque pas tout de suite que quelqu'un s'approche d'elle. Il faut dire qu'elle est assez fière d'arriver à faire quelques mètres en ligne droite après quelques essais à peine. Avec les deux pieds sur la planche, bien évidemment. Elle n'imaginait pas y arriver aussi rapidement. Quand le garçon s'adresse à elle, la brunette manque pourtant de faire une première cascade. Ses baskets reviennent sur la terre ferme tandis que la planche roule encore un peu pour s'éloigner d'elle.

Ses yeux sombres viennent se poser sur le garçon qui se tient devant elle. Il a la gentillesse de lui rappeler son nom. Même si elle s'en souvenait. C'est un interne avec qui elle a pu travailler plusieurs fois.

- Ah ! Oh Salut. Oui c'est bien ça.

Elle prend soin d'enregistrer au maximum le nom des autres professionnels avec qui elle travaille. L'admiration qu'elle a pour les médecins et leur métier l'aide assez. Elle les trouve courageux, de faire toutes ces études et de se dévouer ainsi aux gens. Quelques part, elle est un peu envieuse aussi. Mais aurait-elle été capable de faire ce long chemin ? Elle ne le saura jamais. En tout cas, elle est étonnée qu'il se souvienne d'elle. Elle qui a tendance à cultiver le don de se faire oublier des autres.

La demoiselle va rapidement récupérer sa planche.

- Et bien...disons que c'est la première fois que j'en fais. Et...Merci du compliment. J'essaye de faire de mon mieux pour les soutenir.

C'est la raison principale pour laquelle elle aime ce métier si éprouvant. Ce sentiment d'utilité. De palier aux déficit des autres tout en les considérant à la même hauteur qu'elle. Elle aime écouter les peines mais aussi la joie des bons souvenirs. Parce que quand ils sont malades, les patients oscillent parfois entre les deux. La tristesse d'être dans leur état, la fatigue face à la douleur, cette peur de la mort que beaucoup connaissent. Mais parfois, ils sont aussi nostalgiques. Souriant en évoquant quelques souvenirs d'enfance ou de moments heureux passés. Parler de ce genre d'instant met du baume au coeur, leur prouve que la vie est belle, que ça vaut le coup de se battre pour elle.

Si les patients la trouve gentille, alors, c'est un compliment qu'elle accepte volontiers.

Sa planche tenue maladroitement dans ses bras, elle observe le garçon. Elle qui a l'habitude de le voir avec sa blouse blanche, on peut dire qu'il a une allure bien différente aujourd'hui. Ça doit être le cas pour elle aussi. C'est, sans aucun doute, la première fois qu'ils se voient en habits civils.

- Tu as l'air...d'être un habitué des lieux.

Il lui semble à l'aise. Décontracté. Dans son élément. Tout le contraire d'elle en fait. Mais il est aussi passé par là, assurément. Au moins d'avoir été excellent dès le début ? Certaines personnes sont ainsi faites.

Curieuse, elle observe les personnes alentours et se rend compte que la plupart portent des casques. Le rose lui monte un peu aux joues.

- Et je me rends compte que je suis vraiment venue en véritable débutante….Je n'ai même pas penser à prendre des protections. J'ai un peu honte.

En véritable touriste oui. L'idée de prendre un casque ne lui a pas effleurer l'esprit. Elle avait agit sans vraiment réfléchir de trop. Contrairement à son habitude d'être prudente en toute situation. Son envie de nouveauté et de découverte l'a emporté sur sa raison. Seulement, c'est en débutant qu'elle risque de se faire le plus mal. Sur une prise de confiance un peu trop rapide, une chute est vite arrivée ! Elle lève vers lui, des yeux un peu honteux, un discret sourire aux lèvres. Il pouvait bien se moquer d'elle, il aurait parfaitement raison !

Il en fait depuis gamin. Evidemment. En tout cas elle est heureuse qu'il emploie le mot « travail d'équipe ». Elle apprécie les gens qui travaillent main dans la main, peu importe leur statut ni leur place dans ladite équipe. Elle espère qu'avec le temps, Jared gardera cet état d'esprit. Quand il parle de ses frères, Tsuki le fixe, un peu attendrie. Et d'autant plus admirative. En plus des études difficiles et du travail, il doit aussi veiller sur ses frères.

- C'est vrai que c'est le rôle du grand frère. J'ai une petite sœur...Je m'inquiète toujours pour elle aussi, alors, je te comprends.

Elle a parfois l'impression de jouer le rôle de la mère. Rôle qu'elle a dû endosser, depuis un certain temps. Tsuki en a conscience. Haru, aussi, sans doute. Même si l'une comme l'autre se comportent comme deux sœurs dans la plupart des cas. Il lui arrive simplement de lui rappeler de ne pas rentrer tard quand elle sort. Elle veille aussi à ce que ces devoirs soient toujours fait à l'heure. Mais sa sœur est une jeune fille sérieuse. Elle a à coeur de réussir. Alors elle s'efforce de tout faire pour lui faciliter la tâche.

Jared lui tend le casque qu'elle accepte volontiers. En effet, s'il sort du dispensaire ça ne serait pas un plaisir d'y retourner avec une patiente entre les bras. Et elle n'avait aucune envie de se fracasser le crâne par terre non plus. Ce n'est clairement pas l'après-midi qu'elle envisage.

- Merci beaucoup. Je vais tenter de ne pas finir un traumatisme crânien tu as raison…

Elle fera de son mieux. Pour leur épargner cette peine à tous les deux. Une fois le casque sur sa tête et la lanière ajustée, elle se replace à côté de sa planche. Son pied vient se poser là où il le lui a indiqué. Soit un endroit différent de où elle l'avait placé juste avant.

- Je suis droitière. Est-ce que mon pied est bien placé comme ça ?

La demoiselle n'est très clairement pas sûre d'elle. Sa proposition de lui tenir les mains semblent la bienvenue. Bien que ça la gêne assez en même temps. Le côté tactile n'est pas franchement ancré dans la culture japonaise. De part son métier, elle a pourtant l'habitude de toucher les gens. Ses mains sont habituées au contact. Elle savent comment suppléer un corps malade. Néanmoins, quand il s'agit de contact dans un contexte tout autre, elle n'est pas aussi à l'aise.

Seulement, ses mains viennent chercher celle du jeune médecin. Après quoi, elle tente de mettre son deuxième pied sur la planche. Les micro-contact qu'elle avait juste avant ne lui permettait pas de prendre clairement conscience de l'équilibre à avoir. Ses jambes sont un peu flageolantes tout à coup.  

- Oh bon sang, j'ai la tremblote on dirait.

Ça la fait un peu rire. Parce que si elle tremble déjà maintenant, la suite risque de rapidement devenir compliquer. Depuis son perchoir instable, elle tente quelques regards rapides vers Jared, bien que ses yeux aient du mal à quitter la planche du regard.

- Comment ça se fait que...vous êtes ici avec tes frères, et que vos parents soient à Tokyo ?

Ce n'est pas fréquent de se retrouver tous éloigner. Surtout qu'ils sont encore tous en étude ? Elle espère que sa question ne le met pas mal à l'aise à son tour. Elle ne cherche pas à le blesser. C'est un peu de curiosité mais aussi pour se distraire de son stress face à cette fichue planche de bois.