Encore une fois, je me suis retrouvée devant ce bar. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Ou plutôt je sais mais je préfère le nier, c’est moins contraignant comme ça. Et mon enfant dans tout ça ? Gardé par mon grand frère depuis quelques jours pour que je puisse décompresser. Certains diront que je suis une mère indigne, certains diront que c’est plus sage comme ça et que je devrais prendre du temps pour me relever. Il semblerait que je fasse une petite dépression. Ce n’est pas vrai. Ils me les cassent juste tous en ce moment : mes employés, les clients, mes frères et le beau-frère qui en a rajouté une couche. De ce fait, le stress m’a fait exploser et j’ai eu le droit à une journée en garde à vue pour avoir frappé une cliente un peu trop exigeante… Ah et oui, il y avait ce Yakuza là aussi… Yumeda je crois c’est son nom de famille, qui me surveille. Je sais que j’ai joué avec le feu mais j’aimerais qu’on me foute la paix une bonne fois pour toutes. Ne serait-ce que pour quelques temps. Trop excessive dans ma manière de faire ? Bah voyons. C’est moi la spécialiste à ce que je sache, pas les clientes. Sinon, elles ne viendraient pas me demander conseil et ne viendraient pas me commander une tenue sur mesure si elles savaient le faire elles-mêmes.

Bref, on en revient toujours au même point. Devant ce bar. Il y a quelques temps, il m’arrivait d’y faire des petits concerts avec quelques amis pour se rappeler un peu le temps où j’étais chanteuse professionnelle et reconnue au niveau national. En vrai, je ne sais même pas pourquoi j’aurais envie de me rappeler de cette époque. Je n’ai jamais aimé la célébrité. Et pourtant, j’en suis encore une, j’ai même toujours cette réputation de sale garce aux milles scandales. Je suppose que je vais encore croiser ce barman-là. Celui qui joue les jeudis je crois. Ce bar, c’est le seul où nous les artistes on arrive encore à se faufiler dans la foule sans être trop dérangés. Je me souviens pour les quelques fois où je suis venue avec des amis un jeudi soir, il jouait. Plutôt belle voix et beau jeu de guitariste je dois bien l’avouer mais bien sûr, il ne m’arrive pas à la cheville. Il ne reste qu’un amateur après tout. Le ciel est dégagé ce soir, la lune est brillante et de sortie et moi, je suis là devant ce bar. J’attends quoi pour rentrer ? Je n’en sais rien. Peut-être que je veux que quelqu’un m’en empêche, me foute une gifle pour que je me réveille, mais cela n’arrivera pas et je finis par quitter mon déguisement avant d’ouvrir la porte du bar d’un pas bien décidé. Toujours porter un masque et rester la grande Aliyah, reine de la mode, hautaine comme à son habitude.

Affublée d’un jean noir avec talons aiguilles de la même couleur, chemisier blanc et veste victorienne couleur bleu nuit avec des touches de rouges sur les épaulettes, ma chevelure rouge toujours aussi flamboyante qui tranche avec le tout, je viens me poser au bar sans un regard pour les clients de l’établissement. L’intéressé qui joue de la guitare et chante est là comme je le pensais. Posant mon regard sur lui, c’est avec une sorte de dédain que je finis par passer ma commande. Je suis venue ici pour une seule raison : boire, me souler jusqu’à finir ivre morte dans un coin. Oublier la réalité, la trop cruelle réalité qui sévit.

« Deux verres de Whisky et deux bouteilles de saké. J’attends des amis. »

Ah vraiment ? Bien sûr, des amis. Je finis par me relever dans le but d’aller m’installer à une table. Faisons comme si j’attendais réellement des amis, même si cela n’est pas vrai. Eh oui, je compte bien m’enfiler tout ça toute seule.

« Ah et… des tapas ou du moins un truc à manger. Peu importe, tu choisis. »

Ce ne serait pas un semblant de vraie fête s’il n’y avait pas au moins quelque chose à manger n’est-ce pas ? Mais finalement, j’opère un demi-tour pour me réinstaller au niveau du bar. Quelque chose hurle en moi de rester proche de là où il y a la réserve. C’est avec une certaine impatience et un air grave à la fois que j’attends mes premiers verres. Merde, je suis là pour boire, pas pour faire mumuse à ce que je sache. Et pourquoi mon téléphone sonne à ce moment-là ? Ah on se le demande bien hein ! Soupirant, je répondis, me contentant de poser l’appareil contre mon oreille. Tom.

« Qu’est-ce que tu veux ? Je n’ai pas de temps pour toi ce soir… Oui j’ai arrêté… Tu sais quoi Tom ? En fait, là, tu me gaves, je n’ai pas envie de te parler. »

Et je lui ai raccroché au nez, l’air renfrogné. Il voulait être certain que j’ai bien arrêté mes petites recherches sur les clans de mafieux qu’il y a dans la région. Non pas qu’il m’ait fourni de très précieuses informations puisque j’étais toujours en quête de vengeance pour le meurtre de mon époux mais un élément perturbateur appelé Yumeda s’est immiscé dans mon enquête ! Et il a fallu que Shintaro s’en mêle aussi. Résultat, je suis pieds et poings liés et je suis dans le collimateur de la mafia. Ah enfin, ces purées de verres que j’attendais ! Sans dire un mot, je vidais le premier verre et ne me faisait pas prier pour le second. Je m’en fiche que le barman me fasse des gros yeux ou quoi que ce soit. Tout le monde commence à me courir sur le haricot.

« Je devrais tous les flinguer tiens… »

Je ne peux m’empêcher de penser à haute voix.

Ah la sensation de chaleur qui envahit ma gorge puis mon corps quand je m’enfile ces verres sans dire un mot. Les tapas arrivent ensuite et la remarque du serveur me fait soupirer. Je lui sors mon plus beau sourire avant de rétorquer :

« Merci mais je crois qu’ils ne viendront pas de sitôt. »

Changement d’attitude ? Pas vraiment, j’avoue avoir été un peu garce avec le barman, je me rattrape comme je peux. Mais que personne ne s’y trompe, je ne suis pas de très bonne humeur et je fais semblant. Ma vie est une succession de faux-semblants de toute manière. Faire semblant d’être hautaine et égocentrique, faire semblant d’être parfaite à tous les points de vue, faire semblant que tout aille bien alors qu’en réalité… Il n’y a qu’une petite fille bien cachée dans ses ténèbres et qui fait ce qu’elle peut pour exister un tant soit peu. Mais c’est là que le paradoxe intervient. Cette petite fille veut exister devant le monde entier mais ne veut pas de la célébrité qui va avec. Elle n’a jamais aimé ses fans. Pourquoi ? Parce que cette miss-là chantait uniquement pour elle et pas pour l’argent ou le fait d’être nationalement reconnue. Ah si au moins sa mère ne l’avait pas poussé dès son plus jeune âge là-dedans. Ça aurait évité sans doute bien des crises.

En fait, pourquoi j’ai commandé des tapas, je n’ai même pas faim… Je soupire à nouveau en picorant de temps à autre, préférant m’enfiler ensuite le saké comme quelqu’un qui est déshydraté. Le verre est plutôt beau si l’on regarde d’un peu plus près. Je n’avais pas fait gaffe quand je me suis descendue le premier verre de saké mais à bien y regarder… Une teinte légèrement rosée qui laisse transparaitre toute l’élégance de celui qui s’en sert. Mort de rire. L’élégance ne rentre même plus en ligne de mire alors que je suis en train de juste me mettre une mine. J’ai mieux fait de finir dans un caniveau oui, ça résoudrait tous mes problèmes après tout. Plus d’enfant à materner, plus de frères qui se font constamment du souci pour moi, plus de beau-frère qui me rappelle trop mon défunt époux, plus de vengeance à tirer de son pseudo accident/assassinat, plus aucunes responsabilités et surtout plus de paparazzis ou de fans à encore me courir après.

Je ne m’y vois pas faire, je descends le saké comme si c’était du petit lait. Franchement, je me demande encore pourquoi je n’ai pas réussi à réellement partir ce jour-là. Ma vie se serait finie à 18 ans mais qu’importe finalement. Ce n’est pas comme si ma vie s’était améliorée après. Oh certes, si je vois un bon côté de la chose, j’ai rencontré l’homme qui m’allait parfaitement en termes de caractère. Quelqu’un en qui je pouvais avoir une confiance aveugle, même si j’avoue qu’à cause de lui, nombre de fois, j’ai pensé que j’allais réellement aller jusqu’à commettre un meurtre sur quelqu’un. Mes ténèbres déjà nombreuses n’ont fait que se renforcer et alors ? Il était l’amour de ma vie et il a fallu que je le perde ! J’ai déjà l’impression de ne pas être maitresse de ma propre vie alors pourquoi en plus m’infliger ce genre de souffrance ?

« Tin pourquoi il a fallu que je me rate ce jour-là ?! Vie de merde, vous avez bien de la chance de ne pas être connu, de ne pas être pourchassé par des paparazzis parce qu’ils veulent tout savoir de votre vie privée. Ces sales cafards que j’aimerais tant écraser une bonne fois pour toutes. »

L’énervement se fait un peu ressentir dans ma voix, alors que ma main laisse tomber le verre qui finit par s’écraser au sol… Mais ce n’est que le début de ce qu’on appelle la déchéance chez Aliyah Fuma. Soudain, je sentis des larmes perler le long de mes joues. De la musique parvint jusqu’à mes oreilles, une musique que j’ai juré d’effacer de mon répertoire car elle me rappelle bien trop de choses tristes mais il a fallu qu’elle soit jouée. Et en plus, j’ai cassé un verre mais quelle idiote putain. Je finis par fondre complètement en larmes devant le barman, qui devait être complètement médusé.

« Pourquoi a-t-il fallu que ça tourne comme ça ? Vous savez, j’aimerais disparaitre pour de bon, partir loin d’ici et que tous les journaux disent que je suis morte comme ça ils arrêteront peut-être de me coller au cul. La célébrité, ce n’est clairement pas ce qu’on pense. J’ai toujours chanté parce que j’aimais ça et je le faisais pour moi pas pour les autres, je fais de la couture parce que j’aime ça et je voulais transmettre un bout de moi à mes clients à travers mes créations, pas devoir me plier en quatre et être invitée à des interviews et soirées mondaines qui ne m’intéressent pas parce que ma notoriété en tant que chanteuse a transcendé le monde du stylisme dans lequel je suis à présent. »

Je m’arrêtais une seconde, continuant de pleurer à chaude larmes et assez bruyamment avant de finir l’autre bouteille de saké direct au goulot.

« Et puis pourquoi cet enfant ne veut pas faire ses nuits bordel ! Je suis fatiguée, pourquoi les enfants sont si épuisants sérieusement ?! Je ne lui demande pas grand-chose, juste de me permettre de me reposer. Puis il y a ce type mafieux qui me surveille parce que j’ai voulu résoudre moi-même la mort de mon époux. Est-ce que je suis vraiment foutue hein ?? En plus, il a fallu que j’ai un beau-frère qui trempe là-dedans ouiiiiiiiiin. »

Je le regardais à nouveau avant de me lever et l'attraper par les épaules.

« Ils vont pas me tuer hein ?? Ils ne vont pas venir prendre mon enfant hein ?? »

Quand il me repousse d’un geste plutôt violent, je suis dans l’incompréhension. Et en même temps idiote… qu’est-ce qui te prend à « agresser » physiquement un pauvre barman qui n’avait rien demandé. Vivement agacé et dans son droit, c’est comme si la petite fille s’était à nouveau éveillée et s’était tue en fuyant le regard devant la peur infligée par le ton autoritaire de son interlocuteur. Le dire aux flics ? Ils n’en ont rien à foutre… Tout le monde s’en fiche et préfère faire comme si de rien n’était.

« Ne… ne m’engueulez pas s’il vous plait… Je vous demande pardon. Et les flics… ils s’en fichent. »

M’invitant à me rassoir, c’est ce que je fis mais l’esprit embrumé, je capte à peine ses dires. Ah… attends, plus d’alcool pour ce soir ? Si j’ai quelqu’un qui peut venir me chercher ? Vu l’heure qu’il est… Tiens, au fait il est quelle heure maintenant ? Je regarde le barman en secouant légèrement la tête.

« Personne… »

Si je dis qu’il y a éventuellement deux personnes sur terre qui seraient susceptibles de venir me chercher, l’un des deux vont venir et je ne veux pas qu’il me voie dans cet état… La serviette qui dépose sur le comptoir me permet d’essuyer mes larmes après l’avoir attrapé maladroitement. Je me remets à sangloter quand je constate que les morceaux de verre sont toujours par terre.

« Pardon… j’ai cassé un verre… Je vous en rachèterais un… »

Ah Aliyah… encore une fois tu te donnes en spectacle, bravo… Après avoir essuyé mes larmes, tenter de reprendre une grande respiration pour arrêter de pleurer, je finis par me relever à nouveau et maladroitement, vient m’accroupir devant les bris de verre. Brisé en plusieurs morceaux. Comme moi, comme ma vie et alors que je commence à les ramasser, je me coupe avec l’un d’eux. Étant donné le taux d’alcool dans mon sang, le fait que ça commence à me taper dans le système nerveux, je finis par faire un petit malaise. Quelques secondes d’évanouissement suffisent à me désaouler un peu alors que je me relève péniblement, la main en sang.

« Vous avez une trousse de premiers secours je suppose… »

La douleur de la coupure devrait m’aider à me désaouler et être en mesure de pouvoir rentrer par moi-même.

Un brin désagréable en me faisant la réflexion sur le fait qu’il ne croyait pas une seule seconde que je n’avais personne à appeler, j’haussais simplement les épaules. Je ne veux pas qu’Hayato me voie encore dans un état pas possible. Et je ne peux pas appeler Ryo… Il doit dormir et ça m’embêterait de le réveiller alors qu’il s’occupe déjà de mon enfant. Alors non, je n’ai personne qui appeler en cette soirée mais ça va le faire, je vais rentrer seule et au pire, je croiserais quelqu’un, ça va se finir en bagarre et je terminerais dans un caniveau. Je ne suis plus à ça près, ce ne serait pas la première fois après tout. Me raccompagner wait ? Non mais non, je ne peux pas lui demander cette peine… Je me tape déjà l’affiche dans son bar, je ne vais pas me faire ramener par le barman quand même. Non pas qu’il est très sexy hein, on ne va pas se mentir mais je ne veux pas qu’il prenne cette peine pour moi.

Après mon petit malaise, il me demande de ne plus rien toucher alors je me contente d’hocher la tête. D’accord… Je l’accompagne derrière le comptoir pour avoir de quoi désinfecter cette plaie et la soigner. Une sale habitude s’est installée depuis le temps : le faire moi-même, que ce soit pour moi ou pour d’autres personnes. Mais il semblerait encore une fois que je ne puisse pas avoir ce plaisir ce soir de le faire et me contente de donner ma main au charmant barman que je suis en train d’emmerder plus qu’autre chose. Ha il habite aussi Koyane… On a peut-être déjà dû se croiser alors. Ce dont j’ai besoin… Pas grand-chose.

« Oui on peut emballer les tapas, ce serait dommage de gâcher de la nourriture en effet… Et oui j’habite à Koyane mais je peux rentrer seule hein… »

Ou je pourrais toujours appeler mon chauffeur mais… je lui ai aussi donné congé ce soir. La blessure est un peu plus profonde que je ne le pensais mais elle ne nécessite pas de points de suture non plus, c’est une bonne chose même si j’aurais largement pu le faire. Coudre, ça je sais faire. Je regarde ma main une fois que celle-ci est soignée, entourée de pansements et me surprends même à rire à sa question. Bien joué le barman pour détendre l’atmosphère.

« Nan c’est bon, je crois que je vous ai déjà fait assez perdre de votre temps comme ça. Je peux rentrer chez moi seule… Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse et quant à prévenir quelqu’un… disons que j’aimerais éviter que l’un d’eux ne se fassent plus de sang d’encre que nécessaire quant à mon sujet. »

Un léger sourire alors que je quitte mon siège et que je m’avance vers la sortie. Ah, ne pas oublier les tapas. J’ai vu que l’un de ses collègues est parti avec. Sûrement pour y mettre dans une boite et dans un sac. Je pourrais toujours y manger plus tard, quand l’appétit sera revenu et après une bonne nuit de sommeil surtout. Je récupérais le sac quand on me l’amena puis prenais mes affaires et sortis. Prenant une cigarette au passage, même si avec l’alcool que j’ai dans le sang, ce n’est pas forcément très conseillé. Mais qui a dit que je faisais dans la modération ? Je sens que le jeune homme ne va pas me lâcher de sitôt alors je me contente d’attendre en fumant ma cigarette et jetant un œil au ciel, noir et rempli d’étoiles. Mais… les bâtiments cachent la plupart de ces « objets », de ce fait, nous ne pouvons pas vraiment voir l’immensité et la beauté que ça en dégage par une nuit comme celle-ci.

« Passez un de ces quatre à la boutique… Je vous ferais une remise sur le costume. »

Je termine de fumer ma cigarette plus rapidement que je ne le pensais avant de me mettre à marcher sous cette nuit étoilée. Je peux bien rentrer seule, qu’est-ce qu’il pourrait bien m’arriver ? Je doute croiser des fans ou des paparazzis à cette heure-ci. Oh, il pourrait y avoir des délinquants ou que sais-je mais… j’ai encore de bons réflexes, même bourrée (ndlr : c’est faux mais elle ne s’en rend pas compte). Je finis par me tourner vers le jeune homme.

« Vraiment, vous pouvez me laisser, je vais rentrer seule. Je ne veux pas vous faire perdre votre temps avec quelqu’un comme moi. »

Je crois comprendre qu’il me hurle d’attendre mais je ne l’ai pas entendu, ou faisant mine de ne pas avoir entendu, j’ai préféré continuer mon chemin. Il finit par me rejoindre et quand je lui dis que je peux lui faire un rabais sur le costume, il rétorque d’un air plutôt bougon qu’il ne porte pas de costume. Pire, qu’il n’a pas une tête à porter un costume. Pendant un instant, je m’imagine le jeune homme porter un costume et vu son air, il ferait bien mafieux avec alors cela me fait pouffer de rire.

« Si vous vous inquiétez de l’air que vous pourriez avoir en portant un costume, je vous rassure tout de suite. Ce n’est clairement pas moi qui vais avoir peur ; il en faut plus pour ça. »

L’habitude de côtoyer des personnes qui font partie du milieu. Un peu trop l’habitude… Ce ne serait d’ailleurs pas étonnant qu’un jour, je finisse par tomber chez les Yakuzas. Il me dit encore une fois que je ne peux pas rentrer seule et je prends un air un peu bougon. Hé, c’est bon hein… Bon, bon, okay si c’est son patron qui ne veut pas que je sois seule, livrée à moi-même dans la rue. C’est sûr que cela m’embêterait que le jeune homme perde son travail à cause de moi. Je ne veux pas lui causer plus d’ennuis qu’il en a déjà par ma faute.

« J’ai compris… Je ne tiens pas plus que vous à ce que vous perdiez votre job… Je vais vous suivre. »

Il ne fait pas parti de ces cafards de journalistes ou photographes où là en revanche, je n’en aurais eu rien à foutre, je n’en aurais fait qu’à ma tête quitte à ce que la personne perde son travail. Le jeune homme me montre de la tête son carrosse, sa jeep. Je pouffe un instant de rire avant de le regarder et pris un grand sourire.

« Oh du moment qu’elle est confortable, vous savez ! Ça me fera du bien du changement au contraire. Vous savez, ce n’est pas parce que je suis connue que je n’aime pas les choses simples. En fait, j'aime ce qui est simple... Et puis la jeep, ça fait viril au moins. »

Un clin d’œil plein de malice alors que nous arrivons bien vite à la voiture. Très galant, il m’ouvre la portière côté passager en me demandant si je lui ferais l’honneur de le laisser me raccompagner jusque chez moi.

« C’est bon, je veux bien vous laisser me raccompagner. Est-ce qu’au moins quelque part je vous rends service ? Ce doit être fatiguant comme métier barman non ? Du coup ça doit bien tomber, vous pouvez rentrer un peu plus tôt grâce à moi. »

Comme si l’alcool déliait les langues, voilà que je me mis à lui poser des questions, même à faire un semblant de conversation !

« Donc, vous avez dit que vous habitiez aussi Koyane ? Intéressant. Comme vous vous en doutez sans doute, je suis dans le lotissement le plus calme du district. Et vous, vous êtes dans quel coin ? »

Je n’ai pas le mot exact pour m’expliquer, coincé sur le bout de la langue qui ne veut pas sortir. Je ne sais pas si on peut appeler ça un lotissement mais ce qui est certain, c’est que c’est une rue avec quelques villas, pavillons et maisons appartenant à des personnes très riches et connues comme moi. Je ne suis pas très loin du cimetière à pied et nous avons pour seules commodités, un supermarché. Autant dire que ce n’est pas l’endroit de Koyane qui attire le plus les regards. Et heureusement pour moi. Bien installée sur mon siège, je constate que c’est plutôt confortable pour un gros 4x4 et je me love presque en bouclant bien ma ceinture d’abord. Je regarde un instant par la fenêtre tandis que nous démarrons tranquillement.

« Vous avez des enfants au fait ? Fin, vous êtes peut-être un peu jeune pour en avoir… »

Dit celle qui en a un et qui est encore jeune, enfin, je ne sais pas, l’envie soudaine de parler, parler de tout et de rien.

Le jeune homme se moque un peu quand je lui dis que j’aime les choses simples. Il faut dire que c’est plutôt risible oui. J’ai beau posséder tout ce que je veux, avoir de l’argent, une belle villa avec une décoration épurée, toujours guindée comme la haute car je confectionne moi-même mes vêtements et manger des plats parfois d’exception, il n’empêche que je préfère ce qui est simple. Mais oui, ça en reste risible vu ma position et le fait que j’ai à la fois un chef cuisinier et un chauffeur. Le fait d’avoir vécu une enfance pourrie, sous tension aurait pu me faire prendre la grosse tête mais… je crois qu’en fait, avoir vécu sous le toit d’une « célébrité » et de ne jamais avoir été dans le besoin m’a fait reconsidérer certaines choses. Ou alors, je débloque et ce que je prends pour vie simple, normale est peut-être anormal pour le commun des mortels.

« Par exemple, mon plat préféré est le Gyûdon, vous savez le riz avec le bœuf aux oignons au-dessus. Avouez que ça n’a rien d’exceptionnel, ce n’est même pas cher du tout quand on y regarde bien. J’avoue, je paie un chef pour me faire à manger mais parce que je ne sais pas cuisiner, de ce fait, je ne mets pas les pieds au supermarché mais mes plats préférés restent des plats traditionnels japonais qui sont simples. »

J’étale ma vie comme pour lui montrer que malgré mon air hautain et ce que je montre de moi en public, il y a autre chose là-dessous. Je ne pense pas être si accessible que ça à vrai dire, ou alors disons plutôt que je choisis avec qui je suis accessible. Ça m’évite certains maux de tête et j’ai découvert que j’aimais bien les conversations qui tournent autour d’autre chose que le travail. En parlant de travail, il répond à ce que je lui avais dit. Un travail plutôt aliénant que fatiguant. Je ne peux pas totalement le comprendre car pour moi chaque jour est différent. Enfin, je le vois comme différent chaque jour et ce, même si je passe des jours et des jours sur la même tenue. Est-ce que la passion pour son boulot change le négatif en positif ? Ça se pourrait bien oui.

« Ah je vois… »

Mon regard croise celui de l’homme au premier feu rouge que nous croisons sur notre route. Le quartier d’affaire d’accord. Ça va, ce n’est pas très loin non plus de la rue où j’habite. Ça ne devrait pas lui faire un trop grand détour. J’apprends ainsi qu’il n’aime pas quand c’est trop silencieux. Calme mais avec de la vie. C’est tout le contraire pour moi. J’ai besoin de calme, beaucoup de calme si je veux que ma santé mentale suive le pas. J’ai peut-être aussi pour ça que j’ai toujours eu une aversion pour les rencontres avec les fans, autographes etc. Je me mets à ricaner avant de rétorquer.

« Je vois, je suis totalement votre contraire, préférant le calme absolu. Je crois d’ailleurs que c’est pour ça que j’ai toujours détesté les rencontres avec les fans. Trop bruyants, trop gnangnans, trop de compliments dégoulinants. »

Ça casse ainsi le mythe de la grande chanteuse reconnue dans le pays portant un masque en permanence pour bien se faire auprès de son public. C’est comme si ma vie de chanteuse avait été un mensonge du début à la fin. Bizarrement, les compliments que mes fans me faisaient, ne me faisaient pas particulièrement plaisir. Peut-être aussi parce qu’à la base, je ne comptais pas devenir chanteuse. J’ai été mise dans ce bain dès mon plus jeune âge à cause de ma génitrice. Certes, j’ai apprécié par la suite, quand j’ai été défaite de son emprise mais je crois qu’elle m’a aussi dégoûtée du métier et de ce qu’il y avait autour. Elle m’a jeté dans la fosse aux lions sans me prévenir des potentiels dangers derrière. Enfin, tout ça est censé être derrière moi maintenant.

Nous sommes à présent en train de rouler proche de la place Kiku, lui posant la fameuse question des enfants et là, il se met à rigoler. Quoi, c’était vraiment drôle ? Je comprends mieux à sa réponse. Trouver quelqu’un qui veut de lui. Hum, je ne le connais pas bien mais comme ça, il n’a pas l’air d’un mauvais bougre. La preuve, il me ramène chez moi et je ne sens aucune dangerosité en lui. Je sais que je peux lui faire confiance, il n’aspire pas le danger pour un sou. Je me mets à rire quand il parle qu’il a adopté un chat et un cactus. Oui, là c’est certain qu’il ne peut pas comprendre ce que je traverse avec mon petit.

Semblant même étonné en me demandant s’il fait vraiment jeune et quand il me donne son âge, je me dis et merde. Ça craint… Je suis plus vieille que lui et voilà que je me défoule sur ce pauvre barman de 27 ans qui n’avait rien demandé. Heureusement que l’on n’est plus très loin de là où j’habite. Ça m’évitera de m’enfoncer davantage.

« Pour être honnête, je pensais que l’on avait le même âge. Vous êtes donc plus jeune que moi mais c’est exact. On a trois ans d’écart, j’en ai 30. »

L’ambiance des rues a déjà changé, retrouvant cette chaleur d’une rue peu animée, peu éclairée par les néons. Je lui adresse ensuite un grand sourire alors que nous sommes arrêtés à un nouveau feu rouge. Dans deux rues, je serais enfin arrivée chez moi et il sera débarrassé de moi ainsi.

« Ne dites à personne s’il vous plait que je viens de vous dévoiler en exclusivité que j’ai toujours détesté la célébrité et que je n’ai jamais aimé mes fans. Ça ferait mauvaise pub pour ma boutique haha. »

Je lui explique que je n’aime pas mes fans, j’avoue que cela peut être très surprenant. J’ai toujours chanté pour moi – il n’y a que moi qui compte après tout même si oui, quelque part, c’est bien qu’ils apprécient ce que je fais. C’était mon gagne-pain après tout passé un moment mais ce sont plutôt leurs commentaires en mode in love sur ma personne que je n’apprécie pas tellement.

« Oui ça fait toujours plaisir qu’on nous dise que notre travail plait, en fait, c’est plutôt leur attitude en mode trop in love de moi vous voyez… Il y a beaucoup de pervers qui trainent dans les rencontres et c’est ce que je n’aime pas. Quelqu’un qui veut me saluer car mes chansons l’ont sincèrement touché, que ça lui a permis de remonter la pente ou que sais-je, oui là ça me met du baume au cœur car j’ai pu à travers mes chansons donner un sens à la vie de quelqu’un. Mais quelqu’un qui va juste se comporter en mode aah Aliyah, je vous aime trop, vous êtes parfaite, vos chansons sont trop bien – ça je n’aime pas. »

Et je n’aime toujours pas quand les fans éternuent involontairement sur moi. Je n’ai jamais réellement demandé à être mise sous les projecteurs.

« Mais si je n’aime toujours pas ça, c’est sans doute parce que j’ai été mise sous les projecteurs depuis ma plus tendre enfance. Enfin, je vous remercie pour m’avoir ramené, pour les petits conseils et pour garder mes petits secrets. Passez quand vous voulez à la boutique ! »

Je lui offre un grand sourire sincère avant de quitter la voiture et m’engouffrer dans la rue pour rejoindre mon logement qui est à deux pas sur la droite. Cette soirée se sera mieux finie que ce qu’elle n’avait commencé.