Tournage d’une publicité, bien longtemps que je n’en avais pas eu tiens. Ce n’est pas ce qu’il me demande le plus de travail mais il y a quand même quelques détails que tout bon ingénieur son doit prendre en compte quand même. Enfin quoique, il y a plus de 15 scènes dans cette publicité, j’avoue que ça risque de prendre un peu de temps. Je n’ai pas beaucoup de scènes mais je dois quand même rester sur le plateau de tournage le temps que tout ça se termine. Mais bon, franchement… Une publicité pour des nouilles instantanées, please quoi.

J’arrivais un peu en avance, comme toujours pour voir à quoi ressemblait le matériel de la chaine qui voulait la pub. Je ne me balade clairement pas avec mon matériel tout le temps. Uniquement pour les gros concerts et quand je dois jouer le DJ pour quelques soirées mondaines organisées par des radios où je suis invité. Ce qui est très étrange puisque personne ne me connait réellement. Enfin tout le monde connait mon nom mais très peu de gens connaissent mon visage et c’est mieux ainsi. Laissez passer, l’ingénieur son, le magicien de l’ombre Eiji Kondo arrive dans la place. Si d’ordinaire, je traine en sweat à capuche avec jean, aujourd’hui, j’ai fourni un effort pour paraître un peu plus gentleman. Ho j’ai juste changé le sweat à capuche par un polo.

« Monsieur Kondo, je vous remercie encore d’avoir pris du temps pour nous aider avec la partie son de cette publicité. Comme toujours, c’est un vrai plaisir de travailler avec vous. »

« Je vous en prie. »

Ce n’est effectivement pas la première fois que je travaille pour cette entreprise. Le contrat de confiance dès le départ s’est établit. Mais j’avoue que je ne pensais pas qu’il me rappellerait une autre fois pour une publicité de nouilles instantanées. En plus, ce n’est pas ce que je préfère comme régime alimentaire mais il semblerait que j’ai trop pris l’habitude ces derniers temps. Bref, je partis m’installer à mon poste pour découvrir une petite table de mixage. Ils l’ont changé depuis le temps. Plus moderne mais il n’y a pas à dire, je n’aime pas quand c’est trop petit. Soupirant légèrement, je posais mon sac, prenant mon casque et ce qu’il me fallait pour travailler dans de bonnes conditions. L’acteur, les figurants et un type… qui prenait pleins de photos étaient réunis dans cette même pièce. La matinée fut harassante puisque je n’ai pas eu grand-chose à faire et qu’il a fallu refaire deux trois scènes à un moment donné. Puis synchroniser tout ça avec le son.

« Ho les techniciens de la lumière ! C’est n’importe quoi là, ça ne met même pas en valeur l’acteur principal. Un peu plus sur la droite le panneau. »

Oui, j’étais aussi connu pour être très méprisant envers les techniciens lumière car je considère toujours qu’une publicité, un concert ou tout autre événement est réussi uniquement grâce à un réglage son de très haute qualité. Oh certes, il y a besoin d’un bon éclairage mais franchement si t’as un éclairage médiocre mais que t’as un son qui déchire, les gens se souviendront du son, pas de l’éclairage. Enfin, je sais que dit comme ça, je serais presque en train de leur dire comment faire leur boulot mais ceux qui me connaissent savent parfaitement que je suis intraitable là-dessus et que s’il y a un seul défaut, ça ne va pas le faire.

La pause repas fut enfin annoncée et je sortis mon bento, acheté du matin. Sympa l’équipe de production de donner des nouilles instantanées à la crevette mais je n’aime pas cette saveur donc je ne me suis pas risqué. Je restais à proximité de la table de mixage, n’ayant pas vraiment l’habitude de sociabiliser pendant ce temps. J’aurais juste envie d’une cigarette tiens. Tranquille dans ma cabine, le type que j’avais vu avec son téléphone plus tôt commença à rentrer dans la pièce en parlant et… en filmant. Fronçant les sourcils, le jeune me filma en plus. Ouais alors non, ça ne va pas se passer comme ça en fait. Me relevant, je m’approchais de lui avant de l’agripper par le poignet, le regard froid presque menaçant, ce qui fait que j'ai une tronche de yakuza mais je n'en suis pas un.

« Ouais alors tu vas m’effacer ça tout de suite. D’où tu me filmes sans ma permission déjà ? »

J’aime que mon nom soit connu mais en aucun cas je ne veux que mon visage soit connu de tous. Je n’ai pas envie de devenir célèbre et de devoir me taper des soirées mondaines à la noix, comme la pauvre Aliyah Fuma avec qui j’ai travaillé à plusieurs reprises.

« Ces jeunes n’ont plus aucun respect, incroyable. T’as clairement intérêt à effacer cette vidéo et à ne rien publier sur les réseaux sociaux sinon tu vas m’entendre et je n’ai pas peur d’aller jusqu’au tribunal. »

Un peu énervé, je parlais de manière froidement allant jusqu’à le menacer de porter plainte. Oui, à ce qui parait je vais un peu loin quand il s’agit de mon image en général.

« On ne nous appelle pas les magiciens de l’ombre pour rien. Savoir que mon visage a été révélé nuirait grandement à ma tranquillité et à ma vie privée. »

Je ne sais pas si j’ai été assez clair mais bon et puis merde, ma vie privée c’est le bien le plus précieux que j’ai.

Attends quoi ? Comment ça payant ? Fronçant les sourcils au possible, je finis par le lâcher et croiser les bras n’y comprenant plus rien. Ah son manager qui a dit qu’il avait le droit de filmer hein… Il semblerait qu’il ait oublié de mentionner qu’il y a un ingénieur son qui n’aime pas qu’on le filme.

« Manque de pot hein, ton manager a dû oublier de te prévenir qu’il y avait un type qui n’aimait pas trop être sur les réseaux. »

J’attendis qu’il efface correctement le contenu, ou du moins la partie où j’apparais avant d’hausser un sourcil à sa remarque. Moi excessif ? Quand il s’agit de préserver ma vie privée et ma tranquillité, tout est permis oui. Alors que je pensais qu’on en avait fini, qu’il allait retourner tranquillement jouer avec son smartphone ailleurs, il a fallu qu’il commence à me provoquer. Sweety ? Est-ce que j’ai une tête à être homosexuel ou quoi ?

« Appelle-moi encore sweety une seule fois et tu vas rentrer chez toi avec le visage défiguré. Ce serait dommage hein parce que du coup ils perdraient un figurant dans cette pub. »

Un grand sourire menaçant apparu sur mes lèvres, étant à deux doigts de lui donner un bon coup de pied au cul et l’envoyer valser ailleurs qu’ici, sur mon terrain de jeu. Ah encore un de ces influenceurs hein… Tss… Je redescendis un peu en pression avant de le regarder.

« Haha très drôle… Tu peux filmer le matos, du moment que je n’apparais pas. »

Pour ne pas me vanter mais quand même, j’ai déjà assez de problèmes avec les fans sur certains sites qui adorent ce que je fais mais qui forcément voudraient voir mon visage… Je pensais que ça lui suffirait de filmer le matériel mais non, il faut encore qu’il en rajoute une couche le bougre !

« Même en floutant mon visage c’est non. Je viens sonner chez toi si on finit par savoir qui je suis et qu’à cause de ça, la célébrité me rattrape ? Comme ça c’est toi qu’ils emmerdent plutôt que moi ? »

Mais même pas le temps de finir de m’expliquer que le jeune voyou commençait déjà à se rapprocher de la table de mixage et à toucher à des boutons. Putain mes réglages bordel ! Je lui sautais presque dessus pour le pousser un peu violemment.

« Ho on touche pas à ça sans permission putain ! Un peu plus et tu foutais en l’air toute la bande son de la publicité ! Va plutôt faire mumuse avec les techniciens lumière oui. Je suis certain qu’ils seront ravis de se faire filmer ou prendre en photo tiens. »

Puis je captais ce qu’il demandait… Une interview hein… T’es sérieux mec ? Rah quel dommage que j’aime bien les interviews pour en refuser une… Mais à une seule condition : qu’on ne me voit pas.

« Interview uniquement à visage flouté et encore, un angle où on ne voit pas le reste de mon corps. »

J’ai eu plusieurs fois des interviews où les gens demandaient un peu que je me décrive, de décrire mon physique et de parler un peu de mes tatouages mais sans trop rentrer dans les détails. Seulement, je suis presque sûr maintenant que ma biographie est sur Wikipédia, même s’il n’y a pas de photos.

Tss… mauvaise idée donc de le frapper jusqu’à ce qu’il ne ressemble plus à grand-chose. Dommage… Ah parce que tu crois vraiment que ça ne peut pas se faire à huit clos hein ? Faut se renseigner un peu plus. Sweety… Sweety… Je me retiens mais je suis à deux doigts de lui foutre une gifle pour bien lui montrer que je ne rigole absolument pas. Seulement, et ce, même si je m’en fiche un peu du procès, il y a la pub pour laquelle on m’a demandé de faire la bande son et je ne veux pas que ce problème retombe sur le patron de la boite qui m’a embauché pour aujourd’hui. Bien sûr que mon sang n’a fait qu’un tour quand il a commencé à toucher la table de mixage. Le regard mauvais, à nouveau et finalement, pour l’instant, il ne me quitte pas je dois dire, je m’appliquais à remettre les réglages comme il faut avant que la pause ne soit finie. Je ne vais même pas avoir le temps d’aller m’en griller une par sa faute.

« Ça c’est clair et net que tu ne vas plus y toucher. »

Bien sûr, je pensais qu’il avait arrêté de filmer ou quoique ce soit, de ce fait, je ne pensais pas aux éventuelles conséquences que cela pourrait avoir de m’énerver de la sorte. Je secouais la tête m’impatientant vraiment face à ce petit con alors qu’il voulait continuer dans son petit jeu. Je regardais moi-même l’heure et heureusement pour moi, nous n’allions pas avoir beaucoup de temps pour cette interview inutile faite à l’arrache par un petit youtubeur de pacotille.

« Tu viens de me faire perdre un temps précieux. Par ta faute, je ne pourrais pas m’en griller une avant que l’on ne reprenne. »

Soupirant grandement, je finis par m’assoir à nouveau sur mon siège, un air complètement ennuyé par cette nouvelle interview alors que le gamin en face de moi est en train de commencer son petit speech d’influenceur sur les réseaux avant de se tourner vers moi. Nan mais c’est bon hein, on n’a pas non plus besoin de changer ma voix… Il écoute quand on lui parle ou pas ? Juste pas de photos de moi, la voix on s’en fiche. Les gens ne savent pas qui je suis de toute manière, et ils ne pourraient pas me reconnaitre juste à la voix. Première question… Il y en a trois en fait là mon gars mais bon.

« Eiji Kondo, le magicien de l’ombre, l’ingénieur du Son de génie. Cela fait bien 8-10 ans que je fais ce métier maintenant, je suis même à mon compte à présent. Et si j’aime mon métier ? Bien sûr que je l’aime ! Ayant l’oreille absolue, c’était le métier parfait pour moi ! Régler le moindre décibel pour que le son sorte parfaitement, synchroniser les micros et d’autres techniques hyper complexes que je ne détaillerais pas afin de donner du son de très haute qualité. Comment croyez-vous que les musiques de films rendent si bien, à la seconde près et dans tous les formats ? Grâce à notre travail bien sûr. »

Et merde… j’ai recommencé à prendre ma voix de passionné par mon métier, les étoiles pleins les yeux quand je peux faire le fier et me vanter de mon travail… Après avoir donné ma réponse, je me fermais de nouveau avec ce regard pas très aimable. J’aimerais que l’on reprenne rapidement le travail, que je finisse ça et que je puisse enfin me prendre une pause cigarette bien méritée. J’en compterais presque les minutes dans ma tête jusqu’à la déliverance.

Tu le regardes et tu secoues la tête légèrement. C’est bon, tu ne veux pas qu’il te paie une clope, inutile, juste tu voulais avoir ta pause clope et c’est un peu raté mais comme il a su un peu trop bien te manipuler pour cette interview improvisée, tu rentres dans le jeu parce que finalement, t’aimes bien qu’on t’interviewe. Au moins le loustic semblait être intéressé parce que tu faisais et tu comptais bien en mettre encore plein la vue à ses followers comme on les appelle dans le jargon d’internet. Si tu peux donner des vocations aux jeunes, tu n’es pas contre et ça te permet de te vanter encore un peu plus comme ça.

« En fait, on peut être partout. Ça peut passer de la publicité aux films, aux concerts et autres grand événements musicaux. Quand on commence à se faire un nom dans le domaine, on peut être n’importe où. C’est ce que je trouve attrayant avec ce métier. Ce n’est pas tous les jours la même routine. Vous avez entendu parler de la chanteuse Aliyah Fuma ? C’est moi qui faisais certains de ses concerts à l’époque où elle chantait. »

Tu ne vas pas dire qu’elle t’en a fait chier comme elle a fait chier tous ses collaborateurs mais en vrai, t’avais apprécié son perfectionnisme. C’était bien la seule chose d’ailleurs que tu avais apprécié chez elle. Elle te paraissait trop inaccessible, trop imbu d’elle-même pour vouloir tenter de nouer une quelconque amitié. Et puis de toute manière, avec ton bégaiement c’était toujours compliqué. Elle faisait l’effort d’écouter jusqu’au bout et d’essayer de comprendre mais ça ne passait pas trop. Enfin, c’est du passé à présent depuis que tu sais qu’elle s’est reconvertie dans le stylisme. Et de toute manière, tu ne manques pas de travail. Vint ensuite la fameuse question de l’argent. Ah les gens d’aujourd’hui, ils veulent gagner beaucoup d’argent sans se salir les mains. Ça ne marche malheureusement pas comme ça j’ai envie de dire. Mais il y a quelques astuces, disons.

« Je n’ai pas envie de vous faire peur hein mais je dirais que ça dépend du contrat. Quand t’es débutant, faut pas espérer amasser de la richesse comme ça hein et aussi t’es plutôt payé à la semaine qu’au mois. Mais je ne vais pas vous mentir que vous pouvez toucher jusque dans les 7 038 769 Yen par an. Mais pour ça, faut trimer quelques années avant d’être reconnu ingénieur du son sénior. Et après, ceux qui sont vraiment spécialisés dans l’art audiovisuel comme le cinéma. S’ils sont expérimentés, ils peuvent toucher jusqu’à 1 560 777 Yen par mois. Personnellement, je suis à mon compte, donc il y a ça qui compte aussi, je peux donner mes tarifs. »

Mais tu ne diras pas non plus combien tu gagnes. C’est trop tabou mais tu n’es clairement pas loin des 8 500 000 Yen par an. Ce qui est déjà pas mal en soit. Tu ne cours pas après les richesses non plus, tu n’es pas du tout au niveau de ces ingénieurs du son spécialisés dans le cinéma, toi tu te contentes de ce qui est à proximité et il y a heureusement pour toi, bien assez de travail. Il te posa ensuite quelques questions sur ta faculté exceptionnelle qui t’a permis de devenir ingénieur du son : l’oreille absolue. Tu hoches un peu la tête avant de répondre.

« Oui effectivement, c’est inné dès la naissance. Des moyens d’entrainer son oreille hum… Pour ma part, déjà, j’écoute tout type de musique tous les jours. Je façonne ainsi mon oreille à plusieurs types de musique, de mélodies et de rythmes. Je joue du piano également, je dirais que ça aide à se familiariser un peu avec un instrument en tout cas. »

Tu prends une pause car tu réfléchis aux conseils que tu pourrais donner. Tu n’en as vraiment aucune idée pour le coup parce que justement tu as l’oreille absolue et tu n’as jamais eu réellement besoin d’apprendre des choses à l’aide de partition ou à galérer pour reconnaitre un son clair et de qualité.

« Je dirais qu’il faut écouter des chansons, les mêmes plusieurs fois et se concentrer pour essayer d’en comprendre toute l’essence. Mais la plupart des ingénieurs son ont soit l’oreille absolue, soit l’oreille musicale et ça c’est un prérequis dans notre métier. Si tu n’as pas le sens du rythme déjà, c’est un peu mort. »

Tu le sais bien car la concurrence est rude dans ce domaine et si tu n’avais pas eu l’oreille absolue dès ta naissance, tu n’es pas certain que tu serais là aujourd’hui à faire le métier que tu aimes. Un regard vers la porte pour voir qu’un des techniciens te fait signe. Il est l’heure de reprendre le travail pour lequel tu as été engagé.

« Je m’excuse mais votre cher influenceur et moi-même avons une publicité à finir de tourner. »

Bien que tu n’aimes pas vraiment être sous le feu des projecteurs, tu pourrais presque prendre goût à ce genre d’interview. Après tout, parler de ton métier, bah c’est ce qui te donne de la joie.