黒い鳥

Immobile sur le pas de la porte, imperturbable dans sa démarche. Téva reçoit les dernières directives de Ayame ; il faut se dépêcher, les petits vont bientôt finir l’école et elle n’a pas de temps à perdre car ses amies l’attendent au spa. Ce qui était une vraie dose de stress au début, est devenue une formalité pour la jeune fille au pair qu’elle incarne à merveille.

Toute de noir vêtue, un ensemble Chanel pour renvoyer une très bonne image devant l’établissement privé -  offert pour son plus grand plaisir. Elle a vu au détour d’un courrier administratif le montant payé pour une seule année en cours secondaire et les chiffres les uns à la suite des autres tournoient son esprit depuis ce jour. C’est la vie qu’elle aurait mérité de vivre et en s’occupant de leurs progénitures, cela devient réel, par procuration certes.

Le véhicule noir glisse le long du trottoir, le chauffeur ajuste ses gants sans oublier de saluer Madame. Elle lui renvoie son bonjour uniquement parce qu’elle le côtoie quotidiennement, auquel cas sa politesse ne l’interpellerait même pas. Ce que cette bonne femme peut être détestable, pense Téva en lui souriant de ses lèvres toutes rosies, les yeux plissés tandis que sa silhouette disparait dans l’habitacle.

Et emmène bien Hiroto à son soutien en maths, chinois et histoire. Yukie ne doit pas arriver en retard à son examen blanc de japonais ! La blonde hoche la tête, mais n’écoute qu’à moitié. Non ce qui l’intéresse là de suite, c’est l’intérieur en cuir noir, la couture qui chatouille les paumes de ses mains à mesure que celles-ci passent dessus. Le vernis des portières et les vitres teintées. La ceinture bouclée avant que le moteur ne redémarre, le calme attendu une fois que la mère a choisi de se taire. Une inspiration nette et entendue.

On peut y aller Ame-san.

Ame lui va à ravir, silencieux comme une pluie fine et jamais n’a-t-il cafté ses commentaires pensés à voix haute sur la famille. Il pense pareil, il doit sûrement la remercier de verbaliser ce qui l’agace, lui, employé fidèle d’une décennie.

Elle le sait très bien, comment les autres mamans la jugent dès qu’elle sort de la voiture. Encore elle, toujours elle. Une Américaine qu’elles disent. Une poupée trop chère payée.
Téva est aux anges ! On la remarque, on la critique et on gâche de sa salive pour commenter son arrivée.

A force de multiplier les sorties de classe, bien sûr qu’elle connaît toutes ces têtes de gens médusés de se tenir à proximité de ce qui est différent d’eux. On ne mélange donc pas les torchons et les serviettes !

Mais aujourd’hui peut s’apparenter à un jour exceptionnel.
Des messes basses et des regards sur autre que sa personne, qui lui vole la vedette ?
Un homme pas très jeune, du moins semble-t-il marqué par les épreuves de la vie, se tient droit, majestueusement droit - Tev a récemment appris le mot japonais pour majestueux alors elle s’évertue de l’employer à toutes les sauces. Il met mal à l’aise et comme les grandes bouches ne le sont que d’apparence, la mission d’aller en réparation est inconsciemment refourguée à la gaijin.

Elle n’a pas très envie, bon il n’a pas l’air si menaçant, un poil charmant - elle glousse dans ses gants en daim, tais-toi Tev, néanmoins on a rencontré plus chaleureux.
Il ne lui est pas tant inconnu, elle a déjà croisé un profil de ce genre dans le passé, à Kabukichô. C’est en s’attardant sur son apparence qu’elle remarque les tatouages au cou, ils détonnent du style vestimentaire plus que sérieux. Téva ne brille pas forcément par son génie, néanmoins elle croit reconnaître de quelle catégorie il pourrait prétendre appartenir.

Comme par hasard et ça tombe sur moi, j’vais finir démembrée ma parole..

Excusez-moi…plus fort, Excusez-moi ?? Les regards soucieux pèsent sur ses épaules.
Je sais pas comment vous dire ça normalement, - la traduction japonaise de l’expression avec des pincettes ne lui revient plus, la loose - mais vous faites flipper les vieilles derrière. Et une balle perdue pour ces vipères, ha.
Vous êtes un parent ?

La montée d’angoisse lui donne envie de fumer.

黒い鳥

Je-
Les mots ont du mal à sortir parce qu’il s’adresse à elle sans aucune violence, choisit le ton de l’humour et parce que ça lui donne envie de rigoler très franchement.
Le langage familier sorti de nulle part la désarme un instant. Muette, l’absence de pensées cohérentes qui traversent l’esprit.
Téva se retourne machinalement sur les vieilles dont ils sont désormais deux à appeler comme ça. Les mères pseudo-modèles affichent un visage outré, cachant leur aberration derrière la manche d’un manteau hors de prix. Certaines font mine de passer un appel et de s’impatienter pour récupérer leur marmaille. D’autres croisent les bras, se raclent la gorge et entament une conversation superficielle avec leur voisine.

Si seulement, le ton faussement dépité, son regard trop prononcé sur sa personne lui donne le réflexe de reculer d’un pas. L'accalmie avant la tempête. L’hésitation dans sa voix, à ne pas savoir si elle peut continuer sur la pente de l’humour ou si là est un avertissement silencieux de ne pas chercher à approfondir l’échange. Est-il un allié ou la juge-t-elle tout autant voire plus ?
Ce qu’elle a en horreur ce genre d’atmosphère. Et ces tatouages ne sont clairement pas des faux, tranchant avec le paysage blanc du rigoureux hiver, la jeune femme pourrait même les toucher des yeux tellement que leur couleur est vive.
Je les insupporte, c’est un peu la même chose au final, non ? Dans les deux cas, on veut pas nous approcher.

Le nous l’englobe, il n’est plus question de défendre la tranquillité du corps parental amassé devant le portail. Tant pis pour l’occasion rare de redorer son image auprès des parents d’élèves, il fait bien trop froid pour venir leur lécher les bottes et espérer une quelconque invitation à une de leur foutue pause thé.

Vous, elle persiste avec le langage soutenu, venez chercher qui exactement ? Qu’il ne croit pas qu’elle le traite de menteur. Enfin, peut-être, après tout on peut remettre si facilement en compte la parole d’inconnu. Comme quand personne n’acceptait qu’elle était la nouvelle nounou des garçons Ito. Une blonde, au japonais bancal et au comportement discutable ? La pilule fut dure à avaler les premiers mois. Encore maintenant, par moment, quand un nouvel outil de comparaison fait son entrée à l’instar d’une jeune fille au pair d’origine autrichienne et à l’accent charmant. Téva ne peut décidément pas se la blairer.

Mais ses yeux se perdent depuis trop longtemps sur son cou apparent, à continuer ainsi elle va se griller dans sa curiosité dangereuse.

Je vous ai dis ça pour vous éviter des problèmes. Vous savez, ça parle beaucoup ici et les gens rapportent tout à tout le monde. Piétinant la neige de son soulier vernis, les joues rougies par le froid. On a vite mauvaise réputation.

黒い鳥

Le sourire craquèle son masque de sérieux, un air posé allant de pair avec son costume repassé et tiré à quatre épingles. Si le sien est au coin, celui de Téva est plus visible, elle ne cache pas facilement sa bonne humeur - ni sa mauvaise en fait -. C’est comme si le monde ne pouvait échapper à ses états d’âmes, subir son courroux ou accueillir sa gaieté.

Elle écoute attentivement ses paroles, il a le don de capter son attention, repoussant sa crainte de départ. Il parle beaucoup, se livre facilement qu’il devient impensable de l’associer à un quelconque danger.
Un détail demeure néanmoins, comment ça il n’est plus Japonais. A-t-elle mal compris ?
Elle se retient de rebondir dessus, pas tout de suite, là il lui tend l’étui et lui offre une cigarette. Il la prend par surprise en lui en proposant une, c’est ce dont elle avait terriblement besoin et cela va faire rager le public en arrière-plan.

Merci bien. Elle coince le filtre entre ses lèvres, le papier blanc est vite teinté de gloss, sa tête légèrement penchée sur le briquet pour en griller le bout et tirer dessus. La nicotine calme de suite ses nerfs et éclaircit son esprit. Finalement, rien n’a plus vraiment d’importance. Ayame peut crier au téléphone qu’elle est en retard sur l’emploi du temps de ses fils, Téva a une cigarette à finir et une conversation à poursuivre.

Sans lui avoir demandé quoi que ce soit, il lui délivre un nom et un prénom. Saito Noboru, inconnu au bataillon. Les jumeaux Kobayashi par contre…la réalisation la frappe d’un coup. Le père Ito a souvent été vu avec le père Kobayashi. Tev les a aperçus en plein dispute sur un sujet, ils parlaient affaires et elle a donc peu prêté attention - à moins que l’argent de ce business ne soit versé sur son compte, cela ne l’intéresse pas. Une chose est certaine, à son retour auprès de sa femme, Kaien pestait contre monsieur Kobayashi et parlait de sacrifice.

Jaugeant son silence trop suspect, Téva magouille une réponse :
Ah oui, eux, pas des cas faciles. Vous avez l’air assez patient pour vous en occuper.
Devrait-elle aussi se présenter ? Elle a un mauvais pressentiment quant au lien qui pourrait unir les deux familles, loin d’elle l’envie de se créer des problèmes supplémentaires.

Il éveille une nouvelle fois sa curiosité.
Ah bon ?! La voix s’emporte, dévoile au grand jour son appétence pour l’attention d’autrui. Dites-moi tout, dans un murmure complice elle espère que Noboru lui confie ce qui a de plus croustillant. Attendez attendez..revenant sur sa joie. Vous savez comment je m’appelle alors ? Et que sait-il de plus ?

黒い鳥

La curiosité tuera Téva, un jour, on ne sait quand, elle le sait encore moins que les autres. Imbue de sa personne, Noboru n’a pas idée de ce qu’elle est prête à faire pour occuper le centre de l’attention, qu’importe le public en face. Ce terrible défaut a pris racine depuis si longtemps, qu’un vulgaire avertissement dans un sourire ne le délogera pas.
Cependant, il y a des messages subliminaux que même le plus aveugle ne saurait ignorer. Tev doit retrouver la vision auquel cas les conséquences de son comportement ne tardera pas à lui revenir en pleine face.

Elle a la parlotte, mais n’est pas la seule commère de ce petit quartier si bien lotis où il fait mauvais vivre quand on est une étrangère. Pauvre qui plus est.

Je ne devrais pas? Serait ce qu’elle s’apprête à dire avant de rebrousser chemin. La fumée de Noboru se lie à la sienne, suivant les vagues éphémères de nicotine traçant leur voyage dans la brise hivernale. Ses yeux s’écarte du paysage.

Hm. Est-ce une insulte ? Voudrait-elle leur faire apprendre son prénom de force ou avec l’usure ? Peut-on encore éduquer des quarantenaires en quête de la moindre carcasse sur laquelle leur cou de vautour paré de bijoux luxueux pourrait se pencher.

Ainsi soit-il, Téva gaijin - sans majuscule - Sibban. Le rire lui gratte la gorge, se déploie en buée quittant ses lèvres. Elle toussotte à cause de la fumée tant son commentaire lui provoque tout sauf de la colère. Bien qu’une vengeance ne leur ferait pas de mal.

Attendez.

Pardon ?! Le ton change drastiquement, au diable son vieux surnom. Comment ça on les brutalise ? Elle l’écoute et l’imite, regarde par-dessus son épaule. Que doit-elle comprendre ? Souhaite–t-il dénoncer le coupable ?
Ses nerfs sont à vif, elle n’est plus d’humeur à fumer et quand il lui signale que sa réputation a de nouveau pris un coup, le karma la frappe en reconnaissant le visage d’une amie d’Ayame. Enfin amie, tout est relatif, au vu du nombre de remarques faites dans son dos par celle-ci.

Votre menace vous pouvez vous la garder, elle jette son mégot pas encore terminé, l’écrase de son talon sans le récupérer, le retenant sous sa chaussure. Aplati par sa colère grandissante, elle exige auprès de lui des explications - non - un nom et vite.
Pourquoi ne l’avez-vous pas signalé à leur parent ? Vous prenez plaisir à ce qu’ils se fassent taper ou quoi ! C’est qui au juste !

黒い鳥

Noboru préfère multiplier les indices et abuser de la patience de Téva. Il renferme son mégot dans son étui tandis qu’elle doit se baisser pour récupérer le sien, à la recherche d’une quelconque poubelle. Le filtre vide est finalement recueilli dans un mouchoir, le dernier du paquet et les deux retrouvent le fond de la poche de sa veste. Elle ferme les deux boutons, remonte légèrement le col et regrette l’absence du port d’une écharpe. Le bout de ses oreilles est rouge, ses cheveux figés derrière un serre-tête ne permettent pas de les réchauffer. Et dans une expression mécanique, la poupée détestée des mamans se retournent, suit l’homme et n’a pas le temps de voir la femme s’alerter de sa venue ; le bruit familier réveille son ouïe.

Les Kobayashi sortent parmi les premiers, polis en apparence, à l’aise avec celui qui n’est pas de leur sang, saluant la jeune femme au passage comme si de rien était. Elle leur rend sans cacher un sourire crispé, l’expression fortement inquiète et les yeux tels des billes qui cherchent des traces de blessures.
Yukie court vers elle, il a eu une très bonne note aujourd’hui et dans sa démarche de l’accueillir dans une embrassade presque maternelle - Téva se rapproche de la femme à l’air totalement coupable.

Yukie monte dans la voiture toi aussi. Sans le regarder, les mains ébouriffant ses cheveux, elle sent le benjamin obéir et le son d’une porte qui claque.
Où est Hiroto ?
Téva n’a pas demandé à son frère.

L’attention se concentre à la fois sur Ueda-san et sur le portail. Son visage ne lui revient pas, elle fuit et attend la première occasion pour partir.
Comment Noboru a-t-il remarqué tout cela ? Lui qui ne semble pas venir les récupérer de manière récurrente. Peut-être doit-il les fréquenter au sein du foyer, mais alors est-il simplement un chauffeur ?
Trop de questions brouillent son esprit, le silence entre eux et Ueda commence à peser.

Il est brisé.
C’est donc votre fils ! Coupe-t-elle presque Saito.
La mère de famille bredouille quelque chose, fait non de la tête, s’arrête et agrippe son téléphone. Téva serre les poings, sur le qui-vive et prête à intervenir.
Il fallait qu’elle soit obligée contractuellement de bien se tenir en public, frustrée, si rien ne la retenait elle lui aurait déjà refait le portrait à celle-là.

Hiroto fait son apparition et il y a à la base de son cou un bleu ayant eu le temps de se former au cours de la journée. L’aîné le camoufle en nouant son tissu de laine de sorte à ce qu’on ne le devine plus. Elle le presse de venir à sa rencontre, il est de mauvaise humeur et veut partir rapidement aux cours du soir. Aveuglée par cette histoire, elle souhaite simplement le protéger en l'éloignant.
La mère réagit, donnant l'impression de savoir ce qui a bien pu se passer.

Monte, j’arrive. Vite. Il remarque qu’aujourd’hui le départ ne se fera pas à l’heure, mais ne bronche pas, a-t-il même le choix au vu de la détermination de Téva ?

Donnez-moi une raison de ne pas prévenir les parents ! Se tournant vers Noboru Vous allez faire quelque chose, rassurez-moi !

黒い鳥

Téva veut bien le croire, elle desserre la mâchoire et se contente de croiser les bras pour faire bloc contre l’air fuyeur de Ueda. Elle qui semble se complaire dans sa tranquillité à discutailler au lieu de mieux éduquer son fils. La colère de la jeune femme ne se calme pas, elle se stabilise pour les apparences, et parce que Noboru sait convaincre.
Elle pense de manière erronée qu’il veut par cette question rhétorique préserver l’image renvoyée. Les yeux spectateurs ne s’éternisent pas sur la scène, mais on sent qu’ils émettent un jugement très rapide à en voir l’expression de détresse.

Ses pas ne suivent pas cette chorégraphie improvisée par Saito. Il a l’air très insistant à l’idée de régler ce problème, elle le laisse gérer de peur d’entraver une possible entente, pour une fois Téva ne prioritise pas ses émotions et n’a en tête que le bien-être véritable des deux garçons.

Lorsque les bruits des divers passages ne sont qu’un souvenir, les démarches rapides, les voix criant le nom d’untel, le crissement des pneus sur le départ, une quantité d’habitudes sonores appartenant au passé ; Noboru renchérit.
En présence de son fils, ce dernier n’a pas conscience de la gravité de la situation et le malaise de sa génitrice commence seulement à le réveiller, on demande réparation. Immédiate.

Sur le coup, Téva avoue ne pas saisir l’amplitude du terme “punition”, du moins ce qui est attendu de sa part.
Le discours du mafieux la refroidit sur place. De quoi il parle, il est complètement taré.
Ueda la regarde, n’est-ce-pas, n’est-ce-pas quoi ? La blonde n’en sait strictement rien. Improvisez sous-entend-t-elle par son langage corporel.

La gifle arrive et elle en reste déconcertée, tout comme le garçon. Ses iris scrutent la marque rouge sur la joue, on pourrait accuser le froid d’en être la cause, c’est terrible. Tout de suite après, elle analyse le visage de Noboru - est-il satisfait de ce qu’il venait d’ordonner ? C’est bon, non ?
Il suffisait que la mère lui parle, lui mette la pression, souvent on se tourne même vers le père - qu’il serve à quelque chose celui-là. La correction physique envers les enfants n’est pas ce qu’elle cautionne.
Les pleurs défont le silence devant le portail fermé à clé.

Yukie racontait qu’il voyait son frère se disputer à la récréation avec un certain Masaya. Ce n’était que des broutilles, or Hiroto cherchait souvent les noises le premier. Avant que ce Masaya rajoute une couche et après cela il en découlait des histoires dignes des bancs de l’école. Ah. Quelle stupidité.

Téva aussi tapait ses camarades, crachait sur leurs chaussures et ne s'excusait que sous la contrainte. Tout lui revient. Alors, est-ce que Saito aurait demandé à Angela de punir sa fille en la giflant ?

Elle s’en va pour intervenir, arrêter cet échange et rappeler que la prochaine fois ce sera devant le directeur qu’ils règleront ça.
C’est juste mal connaître l’homme à ses côtés, bien qu’il ait fait miroiter une part de sa personnalité qu’on ne voudrait pas approfondir.

Non ! Cela sort tout seul. Vous êtes malade, arrêtez vos conneries quand même. Regardez donc ! Il pleure, il a compris ! Et avec ses paroles, vient le geste ; elle le pousse d’un coup à l’épaule, l’écarte d’eux. Sa main a tremblé.

Ueda respire de soulagement, appose sa paume sur la joue endolorie et multiplie les pardons.

La punition est terminée, compris ?!
Ame-san sort du véhicule, Téva fait non de la tête, qu’il retourne à l’intérieur, qu’il part même devant - tant pis, elle prendra le métro, il sait qu’il ne faut vraiment pas abuser sur le retard.

Partez Ueda-san, maintenant.

黒い鳥

Le fils Ueda n’a pour Noboru qu’un regard terrifié et Téva se crispe au son du second soupir. Audible et criant de sous-entendus.
Elle a vu ses yeux se poser sévèrement sur elle après avoir osé le bousculer. Elle n’avait tout simplement pas d’autres options pour briser cette tension étouffante. Peut-être qu’elle le regrettera, peut-être qu’elle le regrette déjà. Les muscles tendus, sa mâchoire serrée et l’impression que le ciel pèse sur ses épaules. Téva entend la voiture et les enfants partir, il n’y a plus aucune attache à la famille Ito, alors s’il devait arriver quelque chose cela ne serait qu’à la connaissance d’eux quatre.

Quatre, puis deux. Après une énième intervention de sa part, la mère prend son garçon par la main et s’en va d’un pas très pressé, comme poussée par la peur et la honte de ce qu’il vient de leur arriver. A juste titre.
La jeune femme n’en croit pas ses oreilles, jusqu’au bout il a fait preuve d’un manque cruel d’empathie, des menaces de correction qui ne sont pas à sa portée et pourtant il a dans son attitude une assurance prétendant qu’il lui sera permis d’intervenir au prochain accident.
Depuis quand les Kobayashi ont le bras aussi long ?

Ainsi accroupi, on n’aperçoit plus son énorme tatouage, camouflé par ses cheveux, ce col plissé et immaculé. Propre sur lui, les gestes qu’on penserait calculés, mais il s’en dégage une conviction naturelle dans l’idée de bien faire. Noboru ne se sent-il pas déconnecté des codes sociaux ?
Elle appréhende la suite, sait qu’il n’a pas aimé qu’elle l’ait touché, comme ça sans prévenir.

Vous m’y avez obligée, Saito-san. Elle ne ment pas, elle ne cherche non plus pas à le provoquer. Vous êtes allé beaucoup trop loin.

Ses doigts remontent nerveusement ses gants, ils réarrangent ses manches en tirant d’un coup sec dessus. On croirait qu’elle s’est chargée du problème alors qu’elle n’a pu qu’assister aux manières peu orthodoxes de celui dont elle doute désormais du véritable métier.

Est-ce que Kobayashi-san sait que son chauffeur prend ce genre de libertés ? Elle se mort la langue, tais-toi Téva.
Ame-san serait déjà sur la sellette si on venait à découvrir pareils agissements.
Et vous parlez de demi-mesure, un rire, un souffle, de la buée qui se retourne sur son visage, les paupières se ferment un instant devant une telle affirmation.

Comment se taire, en fait. On ne lui a pas appris à garder ses pensées pour soi. A réfléchir avant d'agir. Il en a toujours été ainsi.
Ça a suffit, il a pleuré à cause de vous et vous vous demandez encore si cela sera assez ?
On critique les harceleurs, mais on en est un aussi.*

Ame-san lui a envoyé un message, il demande si tout va bien. Tev est rassurée d'une certaine façon.

Les enfants vous attendent, à votre tour de partir. Elle ne rentrera par le métro qu'une fois assurée de son départ.
Il n'a plus les traits d'un allié, d'une personne avec qui on partagerait volontiers une dernière cigarette après l'avoir remerciée pour du feu. Loin sont les éclats de rire dues à sa plaisanterie.
Vous faites peur aux vieilles, elles avaient raisons ces saletés.

* la phrase est dite en anglais