« Allez, juste cette fois ! »

Caitriona grommelle, fait mine de résister mais elle a déjà cédé. Ses camarades l’entraînent hors de la salle, hors de l’université, dans les rues de la ville, jusqu’à une salle d’arcade.
Elle les aime bien, ils sont joyeux, uniques, certains plus réservés, d’autres franchement exubérants, chacun dans son monde et en dehors. Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’ils sont chacun une étoile formant à eux tous une constellation – ils ne sont pas assez proches pour qu’elle affirme une chose pareille – mais leur petit groupe semble avoir un noyau solide et ils commencent à s’habituer aux vagues successives qui manquent de les renverser durant leur cursus artistique.

« Viens, Kate, y’a ce jeu que je voulais te montrer ! »

Elle ne peut s’empêcher de sourire et même rire à l’excitation non dissimulée de Hiro, qui la traîne à travers la salle. Les autres suivent de plus ou moins loin et lorsqu’elle tourne la tête pour s’assurer qu’ils n’aient perdu personne, Kate lâche un léger soupir de soulagement alors qu’elle les voit juste derrière, sans la foule habituelle qui peuple ces salles d’arcade. Ce n’est pas si étrange que ça, ils ont fini leur cours assez tôt, alors les lycéens n’ont pas encore investi les lieux, ce qui calme Caitriona et qui lui permet de se concentrer sur ses amis et elle, plutôt que sur une foule d’inconnus.

Un petit quart d’heure s’écoule dans la joie et la bonne humeur. Kate se restreint de trop jouer, elle sait que ça ne ferait que réveiller son esprit de compétition, suivi de très près par une méchante crise de colère si quelqu’un se met à la contredire ou à la critiquer. Elle le sait, et c’est pour ça qu’elle fait attention en présence de ses camarades. Elle ne veut pas cacher sa nature – et elle ne le fait pas, ils sont tous au courant qu’elle peut être explosive – mais gâcher un moment n’est pas dans son genre, surtout pas avec des gens qui resteront avec elle durant le reste de ses études.
Alors à la place, elle encourage Hiro qui s’apprête à battre le record de… Haruko ? Caitriona plisse les yeux. Haruko est un prénom plutôt répandu, ou du moins, commun, alors ça ne veut peut-être rien dire, mais la bassiste de Stellae est connue pour sa passion pour les jeux vidéo, alors sa présence dans une salle d’arcade ne serait pas incongrue. Le regard de Kate se fait curieux, elle scanne les environs à la recherche d’une chevelure rosée, mais elle s’en doute, rien de bien intéressant ne se trouve dans son champ de vision, alors elle se reporte son attention sur l’écran où les pixels se mettent en mouvement sous les commandes de son ami.

Une partie plus tard, elle s’étire, donne une tape de félicitation sur l’épaule de Hiro et s’apprête à sortir une connerie, comme à son habitude, quand elle capte un mouvement du coin de l’œil. C’est flou, ce n’est sans doute pas grand-chose, mais c’est rose. Elle tourne la tête et ses yeux vigilants s’écarquillent.

« Oh mon Dieu c’est elle…
- Hein ? Qui ? »

Elle ne répond pas, déjà partie à la suite de Haruko Fukuda, bassiste prodige de Stellae, un groupe local dont les chansons lui font pousser des ailes et qui nourrissent sa créativité à merveille. Elle réussit à la rattraper et, arrivant à quelques pas d’elle, Caitriona la contourne partiellement pour se retrouver derrière, en diagonale, et lui tapote délicatement l’épaule.

« Ex-Excusez-moi ? Vous êtes bien Fukuda-san ? Haruko Fukuda ? »

Toujours, toujours confirmer l’identité de la personne avant de se mettre à parler, à dire « vous êtes une telle inspiration pour moi, vous êtes géniale, on peut prendre une photo ? ». Et dans cet environnement clos, Kate souhaite également rester discrète, d’où l’intensité modérée de sa voix lorsqu’elle l’a interpellée. Stellae n’est pas un groupe mondialement, ni même nationalement connu, mais elles ont une petite renommée locale, ce qui n’est pas rien.

Elle craint s’être trompée. Après tout, il y a bien des gens qui ressemblent à des célébrités. Mais pourtant, Caitriona n’a pas l’impression de se méprendre, malgré le silence un peu gêné qui flotte après qu’elle ait attiré l’attention de la jeune fille et que celle-ci se soit retournée.
C’est embarrassant de se tromper, et Kate n’aime pas avoir tort, mais si ce n’est pas elle, tant pis, elle n’en mourra pas de honte, même si le rouge lui monte rapidement aux joues alors qu’elle se demande si elle ne devrait pas lâcher un « ah non, pardon, ce n’est pas elle ! » et partir sans tarder. Cependant, avant qu’elle ne se décide à déguerpir, la jeune fille lui répond enfin, lui confirmant ainsi son identité.

Kate lâche un soupir de soulagement. Ce n’est pas la mort de se tromper, mais c’est quand même rassurant de savoir qu’on avait raison. Ce faisant, elle ne voit pas le coup d’œil de Haruko Fukuda en direction de l’écran, ce qui l’aurait poussée à s’excuser du dérangement, écourter cette rencontre et partir pour ne pas l’embêter plus longtemps. Mais elle ne le voit pas, alors elle sourit, c’est un petit sourire timide, comme un rayon de Soleil derrière un nuage épais, elle n’ose pas vraiment se comporter comme elle le ferait avec quelqu’un de « normal ».

Haruko Fukuda continue de parler. Une « fan ». On pourrait dire que Caitriona en est une, modérément. Elle trouve génial le fait que des copines de lycée se soient réunies pour former un groupe, et qu’il fonctionne si bien. Bien sûr, ce n’est pas une grande célébrité, mais c’est déjà ça. C’est déjà incroyable.

L’Irlandaise sourit, un peu gênée, devant les propos de la bassiste. C’est vrai que l’image qu’elle donne lors des concerts n’est pas du tout celle qu’elle a sous les yeux. En fait, Caitriona ne l’a reconnue que grâce à ses cheveux si caractéristiques, et si elle l’avait vue de face dès le début, elle aurait aussi reconnu ses yeux hétérochromes. Mais sans ça ? Elle ne l’aurait sans doute même pas remarquée.

« Je suis vraiment très contente de vous rencontrer, Fukuda-san ! J’ai vu Stellae en live plusieurs fois déjà, et je vous trouve très impressionnantes et… »

Elle essaie de ne pas se concentrer sur les cernes et sur la tenue un peu trop décontractée. Caitriona est du genre à catégoriser les gens dans sa tête lors des premières rencontres, parce que c’est plus simple comme ça. Elle change rarement d’avis sur quelqu’un, sauf lorsque la transformation est extraordinaire, et reste parfois assez bloquée sur ses opinions. Par chance, elle est assez ouverte d’esprit de base, donc sa catégorisation est quand même assez variée et elle n’a pas souvent tort, sur l’impression qu’elle a des gens. Mais là… C’est étrange. Trop étrange. Elle déglutit et se force à poursuivre.

« Et bien sûr, j’aurais été ravie de rencontrer le reste du groupe mais je suis très contente que ça soit vous aussi, je veux dire que je ne préfère personne, vous êtes toutes incroyables ! »

Elle ne joue pas la comédie. Leur musique est douce et piquante, parfois électrisée, et est toujours un bon moyen de faire venir l’inspiration, ou de la stabiliser à un niveau suffisant. Comme un souffle frais qui viendrait maintenir ouverts les panneaux d’une fenêtre, dont les rideaux ondulent doucement, créant un ballet aérien, tout en légèreté. Caitriona adore respirer cet air et regarder dans son monde à elle, de l’autre côté de la fenêtre.

« Euh, alors… Vous aimez quel genre de jeu, ici ? »

Faire la conversation, ne pas la laisser mourir, essayer d’en apprendre plus sur la bassiste et tout faire pour ne pas être trop lourde. C’est délicat.

Un bouillon d’émotions contradictoires frémit à l’intérieur de Caitriona. D’un côté, Haruko Fukuda lui semble être une personne très normale et très humaine, comme on s’y attendrait pour chaque être humain de cette planète. D’un autre côté, Haruko Fukuda, LA Haruko Fukuda de Stellae, lui semble bien loin. Sortie de scène, elle n’a plus cette aura scintillante qui l’entoure lorsque le groupe joue. C’est juste devenu… c’est juste devenu quelqu’un de complètement et parfaitement normal. Et pas si à l’aise que ça avec les gens, ce qui n’aide pas vraiment Kate à ne pas bafouiller sous le malaise ambiant qui semble les entourer.

Elle répond à sa question et l’Irlandaise se surprend à sourire, ambivalente. C’est tout de même mignon, la façon dont elle parle des jeux, et de ce qu’elle aime. Là, on peut retrouver quelques éléments caractéristiques de la bassiste. Caitriona ne comprend pas l’engouement pour les jeux d’arcade mais elle accepte la passion des autres avec un sourire sincère et un hochement de tête passe-partout.

Haruko vient de finir de parler et Kate se rend compte avec un peu d’effroi qu’elle doit à présent trouver un autre sujet de conversation, ou bien rebondir sur ce qui vient d’être dit. La deuxième option n’est pas envisageable, c’est difficile pour elle d’essayer de discuter de quelque chose qui ne l’intéresse pas plus que ça. Elle se met à se creuser la cervelle pour trouver de quoi parler, se demandant dans le même temps si ça ne serait pas une meilleure idée de lui dire au revoir et partir. Prolonger la rencontre, c’est prolonger le malaise, c’est prolonger la torture, et ça commence à ne vraiment pas plaire à la jeune femme.
Mais Haruko trouve d’elle-même le prochain sujet de conversation, qui est… Kate. Celle-ci la regarde poser ses questions, des questions pleines de candeur, qui obligent Caitriona à regarder autre part. Elle ne veut pas l’admettre, mais ces questions l’agacent, elle a l’impression que la bassiste la prend de haut et qu’elle la méprise derrière une fausse gentillesse. Cependant, ça ne serait pas très judicieux de s’énerver, elle-même le sait, alors elle se contente de sourire avec difficulté et de former des phrases dans sa tête qui ne soient pas trop irrévérencieuses.

La dernière question lui fait l’effet d’un ballon de football qui viendrait la frapper sur la tête avant d’aller rebondir plus loin. Elle se râcle la gorge et se triture les manches tandis que ses membres inférieurs semblent vouloir s’éloigner au plus vite.

« Je m’appelle Caitriona, mais la plupart de mes amis m’appelle Kate. Et du coup, mh, je viens d’Irlande, c’est en Europe. Et merci beaucoup, ça fait… deux ans que je suis au Japon et je fais beaucoup d’efforts pour maîtriser la langue. »

Si elle n’arrive pas à avoir l’air enjouée, autant essayer de rester le plus neutre possible. Heureusement, elle se met à parler des chansons et son regard récupère les petites étoiles qui y brillent normalement tandis que son visage s’éclaire et qu’un sourire un peu plus naturel remplace le précédent.

« Pour les chansons, il y a parfois des mots que je ne connais pas mais je regarde la traduction en anglais ! C’est vraiment cool, que vous ayez de bonnes paroles en plus d’une bonne musique, vraiment, c’est trop bien. Mais j’avoue que la plupart du temps, je vous écoute que pour la mélodie et le rythme, parce que j’aime bien dessiner en même temps donc je ne suis pas assez concentrée sur la chanson pour faire attention aux paroles et tout, mais ça veut pas dire que je ne les connais pas, hein ! »

C’est à son tour de beaucoup parler. Peut-être est-ce dans le but de ne pas laisser le temps à Haruko Fukuda d’en placer une, et pour éviter les sujets qui fâchent. L’irritation qui s’est mise à la grignoter de l’intérieur s’est presque dissipée, mais elle ne peut oublier ses questions qu’elle juge stupides et offensantes. Si elles n’étaient pas dans une salle d’arcade, et si ce n’était pas la bassiste d’un groupe super, Kate n’aurait pas hésité à la reprendre et à sortir les crocs.
A la place, elle essaie de guider la conversation sur un terrain neutre.

« C’est quoi vos inspirations pour vos chansons ? »

Sur ce coup-là, Haruko la fait sourire. « Bim ! » est une onomatopée qui convient bien à l’inspiration qui apparaît, d’un coup, au moment le plus étrange, apportant une joie intérieure inégalable. Il semblerait que ça soit à peu près similaire entre les différentes discipline, et ça fascine Caitriona, cette universalité dans la diversité.

Elle hoche donc la tête, satisfaite par cette réponse et convaincue de nouveau qu’elle ne déteste pas la personne en face d’elle. Kate ne déteste pas grand monde de toute façon, et si elle le fait, c’est que la personne l’a cherché. Le cœur de l’Irlandaise est trop grand, trop généreux, trop doux pour qu’elle puisse ressentir de la haine envers quelqu’un ; de l’irritation ou de la colère, au pire, mais c’est rare pour elle de ne pas aimer une personne jusqu’à la détester. C’est une de ses forces, mais aussi une de ses faiblesses, car presque comme toute chose dans ce monde, ça finit par s’équilibrer.

Haruko continue sur sa lancée, et la jeune femme se rend compte que sa question avait en effet plusieurs significations. Ça ne la gêne pas, ça l’intéresse même de savoir d’où est-ce qu’elles tiennent toutes les idées, ce qu’elles écoutent et ce qu’elles aiment. Ou plutôt, dans ce cas-là, ce que Haruko Fukuda aime. Kate se demande brièvement si les autres filles ont les mêmes goûts et la réponse lui semble évidente : si le groupe n’avait pas un minimum de cohésion et des goûts en commun, il n’aurait jamais existé en premier lieu.

« C’est cool, j’aime bien ce genre de musiques aussi ! J’ai entendu parler de Eve, j’aime bien ses chansons ! »

Là, Caitriona, t’abuses un peu sur les exclamations. Elle sourit, heureuse d’avoir trouvé un point commun, un seul c’est déjà bien, c’est mieux que rien, et ça lui permet de stopper un instant le flux de pensées agacées. Elle se dit qu’elle aime bien Haruko Fukuda, qu’elle est chouette, qu’on dirait une poupée, qu’elle ne parle pas beaucoup mais juste parce qu’elle n’est pas forcément à l’aise à l’oral et pas juste parce qu’elle est insensible devant ses fans et-

Kate gigote. Elle se flagelle intérieurement, se disant qu’il faut qu’elle arrête de faire ça, de juger au premier regard, au premier mot. Elle essaie de mettre de côté son ressenti, mais c’est difficile pour elle, elle a toujours agi en fonction de ses émotions, pour ne réfléchir qu’après. Elle travaille dessus, bien sûr, mais c’est toujours instinctif pour elle de se reposer sur ce qu’elle ressent sans vraiment essayer de se mettre à la place de son interlocuteur. Son esprit se remplit que de sa fierté parfois mal placée, de son amour-propre blessé, de son ego, malgré toutes ses capacités d’empathie. Personne n’est parfait, hein ?

Faisant écho à ces pensées, Haruko s’excuse. Caitriona la regarde, la bouche légèrement ouverte, puis sourit. Elle n’aurait pas pensé qu’elle reviendrait dessus et s’excuserait. Une douce et agréable sensation se diffuse dans sa poitrine mais un pic glacé se loge dans son sternum et bloque sa progression. Gaijin. En arrivant au Japon, la confiance en soi de Kate n’était pas au max. Elle a toujours eu une certaine assurance, mais débarquer dans un nouveau pays en parlant à peine la langue, c’était comme un coup de poignard dans cette confiance, surtout quand l’un des premiers mots qu’elle a réussi à comprendre et à retenir, c’était ce mot-là, gaijin, prononcé d’un ton moqueur. Depuis, elle s’en fiche, mais ça la blesse toujours un peu de se dire qu’on ne la considèrera jamais autrement qu’une étrangère, et ça renforce ce sentiment que ce n’est pas dans son pays et qu’elle est loin du sien.

Elle se mordille la lèvre mais réussit à lui faire un sourire, essayant de faire abstraction du reste.

« Merci de t’être excusée… »

Elle lâche un petit rire nerveux à son tour, pensant à cette sensation de chaleur agréable qui était apparue, qui est encore un peu là mais qui s’estompe progressivement. Elle tente de la faire revenir, de penser aux points positifs de cette rencontre, mais c’est de plus en plus dur. Elle est déçue.

Malgré tout, elle essaie de finir la conversation d’une bonne façon. Elle ne sait pas comment, mais elle essaie.

« Si vous continuez de faire des chansons aussi bien, vous allez bientôt devenir plus connues. »

La suite s’échappe de sa bouche avant qu’elle ne puisse faire quelque chose pour l’en empêcher.

« Et quand ça sera le cas, je pense que ça serait bénéfique que tu apprennes à parler à tes fans. »

Le ton n’est pas tranchant, mais n’est en rien chaleureux ou admiratif, ça aurait de toute façon fait bizarre au vu du contenu de la phrase. C’est plutôt neutre, comme si elle ne faisait qu’établir un fait. Cependant, elle le regrette un peu, et ça se voit sur son visage. Les yeux légèrement agrandis, la lèvre inférieure coincée entre ses incisives, et le regard qui part sur le côté avant de revenir précautionneusement sur Haruko.

« Je- Je veux dire- Je voulais pas- »

Elle balbutie et décide de se taire. Elle pense ce qu’elle a dit, mais elle-même sait pertinemment que ce n’était pas une chose à dire. Ça ne l’aurait pas gênée si ça avait été quelqu’un avec qui elle ne s’entend pas très bien. Mais là… Là, c’est Haruko Fukuda.

Le mal est fait, Caitriona a encore parlé sans réfléchir.

Ses parents ont souvent essayé de lui faire comprendre qu’il fallait mesurer le poids de ses mots avant de les jeter à la figure de quelqu’un. Que ce n’était pas parce qu’elle pensait certaines choses qu’elle devait les prononcer à haute voix. Mais souvent, c’est plus fort qu’elle, elle cligne des yeux et tout est déjà sorti de sa bouche, et ce n’est qu’après qu’elle regrette. Le pire, en réalité, c’est qu’elle n’a pas tant de remords que ça dans certains cas. Bien sûr, blesser les gens ne lui plaît pas et elle ne sait pas où se mettre quand ça arrive, mais parfois, la satisfaction d’avoir dit la vérité, d’avoir révélé le fond de sa pensée, persiste malgré cette culpabilité dévorante.

Le rire de Haruko la fait tressaillir très légèrement. Elle la regarde avec une inquiétude sincère, malgré le soulagement d’avoir pu être honnête, elle a la certitude qu’elle l’a blessée et ne sait pas comment faire pour réparer son erreur. C’est plus difficile de recoller les morceaux que de casser le vase. C’est une chose qu’elle doit encore apprendre et intégrer, car la compréhension ne fait pas tout, il faut aussi l’assimiler et le mettre en pratique. Ne pas blesser. Peser ses mots.

Les mots de la jeune fille lui font secouer la tête, et elle s’excuse à demi-mot, à mi-voix. La question « que faire ? » tourne en rond dans sa tête et elle ne peut pas penser à autre chose. Elle regarde la guitariste et ne voit qu’un masque, ça la déstabilise parce que les gens qui cachent leurs émotions derrière des rires, des sourires et des mots insignifiants, c’est plus difficile à atteindre, ils balayent les excuses et font croire que tout va bien.

Les autres mots sont plus rassurants, mais Caitriona ne se détend pas. Un autographe ou une photo lui ferait plaisir, c’est sûr, et elle suppose que ça ferait aussi plaisir à Haruko. Peut-être qu’elle pourrait se faire pardonner comme ça ? Ou au moins, rendre l’atmosphère plus légère.
Autour, personne ne fait attention à elles. Tant mieux. Tout le monde est occupé à s’amuser, et les amis de Kate ne s’inquiète pas encore de son absence, donc elles ont encore un peu devant elles. Pour faire quoi ? Pour dire quoi ?

« Euh, ouais, carrément, ça me ferait super plaisir ! Désolée ! »

Encore une excuse, sincère et gênée. Caitriona récupère son carnet de dessin et sort un stylo, elle les tend à la guitariste.

« Voilà ! Merci beaucoup… Tu peux faire ce que tu veux sur la page. »

Elle est comme ça, Kate. Elle montre les crocs facilement, mais une fois qu’elle se rend compte qu’elle a fait du mal à quelqu’un, elle redevient ce petit animal, la queue entre les jambes et les oreilles piteusement baissées. Encore une fois, ce n’est pas systématique, et elle continuera de se battre contre quelqu’un qu’elle aura blessé si elle sent qu’elle n’a pas eu assez de sa vengeance, mais la plupart du temps, son cœur se serre et elle abandonne l’attaque, soit en redevenant gentille, soit en s’enfuyant.

« Désolée, encore une fois… »

Elle se mordille la lèvre inférieure et s’incline légèrement. Au-delà de s’excuser pour ses mots, elle ne veut pas qu’une personne comme Haruko Fukuda ait une mauvaise image d’elle. Et si elle allait le raconter aux autres membres du groupe, en disant qu’il fallait blacklister cette fan hystérique ? La fan hystérique se triture les mains et piétine sur place. Kate est parfois si égoïste, sans même s’en rendre compte.