Acte 1

Je suis tombée enceinte un peu par hasard si je puis dire. Enfin, disons plutôt que ce n’était pas prévu pour tout de suite. Nous rêvions sans doute de fonder une famille mais pas maintenant. Cela faisait 3 ans que nous étions mariés certes, mais je venais aussi de débuter ma carrière en tant que styliste et ça me prenait tout de même pas mal de temps. La boutique commençait à décoller tranquillement – faut dire qu’il y a eu un sacré coup de pouce de mes fans quand je chantais chez les Spyair. Et là, je tombe enceinte. Je dois dire que ce fut un sacré choc pour moi ; en fait au départ, quand j’ai vu que c’était positif sur le test, je n’y ai pas cru. Pire encore, j’ai hurlé toute seule dans mes toilettes que ce n’était pas possible ! Mais j’avais beau nier la chose, les nausées matinales me rappelaient à l’ordre. Mon époux a eu vite fait de remarquer que quelque chose n’allait pas ; et j’ai été forcée de lui dire que j’étais tombée enceinte. Je pensais qu’il allait m’engueuler, qu’on allait se disputer pour savoir ce qu’on faisait du truc en moi mais rien de tout ça. Non, au contraire, il fut… Heureux. Heureux de pouvoir fonder une famille alors que lui-même, il n’en avait jamais vraiment eu.

Un heureux événement, un couple futurs parents, comblé, tout pouvait aller pour le mieux non ? Non, bien sûr que non voyons… Il a fallut que quelques jours après que j’ai annoncé ma grossesse, pris rendez-vous avec la gynécologue pour le début de la semaine suivante, on m’enlève mon époux. Mon monde s’effondra à ce moment-là. Je n’ai pas voulu y croire jusqu’au moment où j’ai vu sa dépouille à la morgue. Le temps que l’on m’appelle pour me dire qu’on avait retrouvé mon époux, il était déjà décédé. Je savais qu’il trempait dans des affaires louches avec la mafia japonaise et j’ai toujours fait en sorte de ne rien demander, ne rien chercher à savoir plus et simplement faire en sorte de nous protéger comme je le pouvais. Alors quelque part, au fond de moi, quand on m’a dit qu’il était décédé et surtout qu’il y avait eu des impacts de balles… Je n’ai malheureusement pas été surprise, bien que complètement effondrée […].

Noir… Tout fut noir autour de moi. Je n’avais plus aucune raison de rester en vie une seule seconde de plus. Je ne l’avais dis à personne que Magoichi était décédé. Je voulais juste disparaitre et faire comme si tout était normal. Je ne voulais pas rester dans ce monde de merde mais je me suis aussi souvenue que je ne pouvais pas intenter une seconde fois à ma vie. Mon petit frère Hayato ne me le pardonnerait jamais si je venais à faire ça alors qu’il a besoin de moi. Et Ryo… Maintenant que nous sommes un peu plus proches, sans doute qu’il m’en voudrait aussi. Il a toujours pensé qu’il était seul enfant de Monsieur Klein alors que non. Seulement, tout resta noir autour de moi. Enfermée dans ma chambre, dans la maison que nous avions avec mon cher époux et Hayato, je noyais mon chagrin comme je le pouvais. Quelque part au fond de moi, je savais que je ne pouvais pas me permettre de boire une seule goutte d’alcool parce que j’avais un habitant, mais une autre partie de moi hurlait de me foutre en l’air une bonne fois pour toute. De mourir, ou de simplement dormir les 7 prochains mois. Oublier que l’être aimé n’est plus là, oublier qu’il ne connaitra jamais son enfant.

Je ne sais trop combien de temps il s’est passé mais je n’ai pas aimé le réveil. Des murs trop blancs, un bip bip incessant, une odeur d’hôpital que je n’aime pas. Pourquoi je suis dans ce lit d’hôpital avec des fils de partout sur les bras ? A ce que je sache, je n’ai pas bu et je n’ai pas non plus intenté à ma vie. En fait, je ne m’en souviens plus trop. Ca fait combien de temps que je suis là ? Je suis toute seule dans tous les cas, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soit. Une infirmière passa par ma chambre et quand elle vit que j’étais réveillée, elle appela le médecin. C’est là que j’ai vu des bandages sur mes bras. Pas compris… Je ne me souviens pas que j’avais des lames de rasoir ou un couteau dans ma chambre. Trou noir.

« Madame Fuma, vous êtes enfin réveillée ! Cela fait 3 jours que vous êtes ici. Comment vous sentez-vous ? »

« Gné… Trois jours… Comment c’est possible ? Et sérieux, qu’est-ce que je fous ici ? »

« Vous ne vous rappelez pas ? Votre grand frère vous a emmené ici après votre tentative de suicide… »

« Une tentative de suicide vous dites… N’importe quoi ! Il doit y avoir une grossière erreur là. J’étais dans ma chambre et… Je ne me rappelle plus. »

« Vous avez les bras scarifiés en plus d’une grande déshydratation. Heureusement qu’il est arrivé à temps, vous étiez à deux doigts de perdre l’enfant que vous portez. »

« Je peux sortir quand ? »

« Je crois que vous sous-estimez l’état dans lequel vous vous trouvez Madame Fuma. Vous restez ici pour le reste de la semaine, en observation. De plus, un psychiatre viendra vous voir pour discuter avec vous et essayer de comprendre votre geste. »

Parce que tu crois qu’il y a à discuter pour essayer de comprendre mon geste ? Mon gars, je viens de perdre mon mari ! Normal que je réagisse de la sorte putain ! Je pris mon air super renfrogné, croisant les bras en oubliant la douleur des scarifications pendant un moment.

« Je ne parlerais qu’à une seule personne : le docteur Hayden Delacroix. »

« Je vais essayer de voir s’il peut intervenir rapidement. »

Une fois qu’il s’est cassé, il a le droit à un gros fuck de ma part. Attendre que mon psy ne réponde alors qu’il a sûrement une tonne de travail ? Hors de question. Je vais m’enfuir cette nuit même. Après le médecin, c’est au tour de Ryo de venir me rendre visite. Mon air est devenu plus abattu, comme une petite fille qui a fait une grosse connerie.

« Hey Ali’… Ca va ? Tu m’a fais une de ces peurs tu sais… J’ai trouvé ça louche que tu ne viennes pas ouvrir la porte d’entrée et comme Hayato n’était pas là… »

« C’est pas grave… Désolée nii-san, je te donne du souci… De toute façon, il semblerait que j’ai encore raté mon coup alors bon. »

« Aliyah… Tu sais que je suis là pour toi, tu peux me parler quand tu as besoin hein. Je suis ton grand frère après tout. »

Je ne dis rien de plus, je sais bien qu’il sera là pour moi mais le jour où il sera marié et qu’il aura des enfants, est-ce qu’il sera encore là pour moi ? Rien n’est moins sûr. Bienveillant comme il est, il m’a ramené du pudding à la vanille et va héberger Hayato jusqu’à ce que je sorte. Une fois qu’il est parti, la journée me parait bien longue et j’essaie de ne plus penser à rien. J’essaie d’être une gentille petite fille pendant la journée, prenant sur moi pour ne pas exploser de chagrin alors qu’il me submerge toujours. Et une fois qu’il fait nuit noir, que l’on me laisse tranquille, je commence à débrancher les machines. Ah vous pensez que j’ai vraiment avalé les somnifères que l’on m’a donné ? Niet ; ce n’est pas la première fois que je trompe les infirmières. Une fois la machine au bip incessant débranché, j’enlève les autres perfusions non sans grimacer. Un sac avec des affaires avait été posé sur le fauteuil à coté du lit et je décidais d’aller fouiller à la recherche de vêtements. Un jean noir avec une chemise rouge, oui ça ira bien comme ça.

Ni une ni deux, une fois sûre que personne ne trainait dans les couloirs, je sortis de la chambre, encore pâle et un peu fiévreuse mais je m’en fiche. Je tentais de faire super attention et me cacher comme je le pus mais alors que j’approchais du but dangereusement, j’ai eu un vertige et l’une des infirmières de nuit vit que je tentais de me faire la malle. Ha… Ca a été rapide pour me rattraper. J’ai eu le droit à une leçon de morale, un somnifère par perfusion et attachée à mon lit pour être certain que je ne m’enfuie pas de nouveau. Dire que j’y étais presque, putain !

Quand je me suis réveillée après la nuit d’enfer où j’ai voulu m’enfuir et qu’on m’a donné un somnifère qui ne craignait pas pour la vie du fœtus, j’étais attachée et je l’ai senti tout de suite. Pas bon, pas bon du tout ça. Dès le matin, la colère s’est emparée de moi car je déteste être attachée. Purée, j’ai encore toute ma tête bordel ! On s’en fiche de ce que j’ai fait bordel ! Je grommelle et forcément mon rythme cardiaque est élevé, ce qui alerte automatiquement une infirmière.

« Madame Fuma ! Calmez-vous je vous en prie. »

« Quand on m’aura détaché de ce putain de lit, je me calmerais ! »

« Madame Fuma… Pour le bien du bébé, calmez-vous ! Je ne voudrais pas devoir vous administrer un calmant. »

Grrrrrrrrr…. Elle a raison mais je n’arrive pas à me calmer car je suis vraiment trop en colère. Si seulement Mago était encore là… Si seulement il était là… D’un seul coup, je me suis de nouveau effondrée en pleurs, à ne même pas pouvoir me recroqueviller sur moi-même pour disparaitre sous les draps. Forcément, l’infirmière finit par me donner un calmant pour m’aider à faire moins de haut et de bas. Ce n’est pas bon pour le bébé, oui okay mais je ne suis pas en état là. Je ne suis même pas en état de pouvoir m’occuper de moi-même alors comment je vais m’occuper d’un petit pois qui occupe mon ventre ?

J’ai dû m’assoupir, je ne me souviens pas très bien. Mais c’est une voix familière qui me réveilla de ce sommeil plus ou moins réparateur. La voix de Kimiko. Je sentis sa voix, tremblante, peinée et mon premier reflexe à été de me dire : qui l’a mise au courant ? Je ne voulais que personne ne soit au courant. A-t-elle rencontré Hayato dans le centre-ville ? Ou Ryo ? Mais elle ne l’a jamais réellement croisé. Elle me demanda ce qu’il s’était passé… Étant dans un état un peu vaseux, calmée mais à cause des médicaments, c’est d’une voix faible que je lui réponds :

« Je… J’suis enceinte et… Mago il… il est parti… »

Pour sûr, c'est passé dans le journal local. Mon regard montre tout le désespoir du monde alors que je ne voulais pas montrer cette partie faible de moi. Je connais un peu la vie de Kimiko puisque l’on se connait depuis 3 ans à présent mais… de mon côté, il y a beaucoup de choses que j’ai gardé au fond de moi car c’est comme ça que je suis. Seul mon époux savait tout de moi ; pas même mes amis et mes musiciens ne savaient tout.

« Je… J’ai honte d’être dans cet état devant toi… »

Je suis à deux doigts de chouiner mais le médicament fait encore effet alors je ne vais pas pleurer mais je ne me sens pas bien non plus.

Je déteste être dans le flou artistique comme ça ! Je jure que cette bande de merdeux de médecins, ils vont me le payer sacrément cher pour ça. Comme si je voulais réellement me suicider tiens ! Okay, je sais que c’est passé assez lourd, que j’ai déjà fait une tentative mais là ce n’est pas la même chose ! Avant, c’était à cause de l’autre tare qui m’a fait du mal alors que là, bah… Bref, ce n’est pas la même chose. Kimiko ne semble pas comprendre de quoi il en retourne exactement, n’ai-je peut être pas été assez claire ? Enfin, je suppose qu’elle a tout de même compris de quoi il en retournait et même si je me sens honteuse de me montrer sous ce jour, Kimiko reste là à me dire que quoi qu’il arrive, je peux tout lui dire, tout lui montrer. Je me mets à pleurer comme une conne parce que c’est la première fois qu’on est vraiment là pour moi. J’ai mes frères mais… je n’ai pas vraiment d’amies sur qui compter et c’est la première à me dire ça.

Je sentais sa main dans la mienne, sa voix un peu tremblante mais me disant qu’elle était là pour moi et que je pouvais lui faire confiance. J’ai toujours été renfermée parce que je suis comme ça, je choisis même mes amis ou pseudo amis parce que je ne fais pas confiance facilement. Et même après trois années d’amitié avec Kimiko, il y a des choses que je ne dis pas parce que je ne le veux pas. Parce que c’est trop douloureux pour moi et que je n’ai toujours pas fait la paix avec cette part de moi. Ce n’est aussi pas pour rien que je vois un psy. Pour me réveiller un peu mieux de ce poison, j’ai pris la cruche d’eau qui était posée pas loin, un peu à tâtons avant de me la balancer sur le visage. Froid mais au moins, je me sentirais moins embrumée. Pourvu que personne ne pense que je ne veuille encore me faire du mal ou quoique ce soit. Ce n’est pas du tout l’objectif. Mes actions sont souvent incompréhensibles pour la plupart de mes proches ; à force, on s’y fait.

« Magoichi est décédé Kimiko… Il a soi-disant eu un très grave accident… »

Ce que je ne crois pas une seule seconde. Après je préfère donner cette version des faits qui est la plus plausible pour ceux qui sont en dehors des histoires de mafieux. Je sais très bien que c’est un règlement de compte avec son ancien clan mais je ne dirais rien.

« Et je suis enceinte… »

Je soupire parce que ce n’était pas censé se passer comme ça. Je n’étais pas censée l’annoncer à mes proches avant que l’on ne voie la gynécologue !

« Je ne comptais pas l’annoncer tout de suite… Je voulais attendre qu’on ait vu la gynécologue. Et… ces crétins de médecins ont cru que j’avais fait une tentative de suicide. »

Je croise les bras alors que je suis trempée mais je m’en fiche. J’ai l’air un peu bougon et malheureusement, les bandages sur mes bras jouent en ma défaveur puisque j’ai quelques scarifications dont je ne me souviens pas m’avoir infligé.

« Ils ont dit que je me suis scarifiée alors qu’en fait, bah, je ne m’en souviens pas. J’étais juste chez moi à broyer du noir et j’ai dû m’assoupir à un moment donné. Et c’est tout. Okay, je ne le cache pas, je voulais me foutre en l’air puisqu’il est parti… mais j’ai un kiwi dans le ventre à présent… »

Soupirant complètement, elle voulait que je lui dise tout alors voilà. La seule chose sur laquelle j’étais bavarde, c’était pour dire combien j’étais heureuse avec cet homme, combien il me comblait et si Kimiko me connait vraiment bien, elle sait que ça m’a vraiment beaucoup atteint et que par amour, j’aurais pu facilement faire le pas pour ne pas me rater.

« D’ailleurs, t’es au courant comment ? Non pas que je comptais le dire hein… Hayato peut-être ? »

J’ai envie de me cacher sous les draps mais je ne peux pas bouger, mes chevilles encore entravées. Je me demande encore comment j’ai réussi à me foutre la cruche d’eau sur la gueule. Enfin, parfois le corps réagit tout seul avec une insatiable envie de se défaire de quelque chose et de vivre.

Kimiko est là, elle ne me critique pas ; bien au contraire, elle est juste là pour moi, à rester comme ça et tenter de me réconforter comme elle le peut. Je pense qu’elle non plus ne croit pas à la thèse de l’accident de voiture ; en même temps, ça parait tellement gros non ? Enfin, les journaux et la presse à scandale eux, vont bien se faire plaisir sur ce drame. On ne m’a pas autorisé à regarder les infos ou lire quoi que ce soit de people alors je ne sais pas trop mais pour sûr, les titres comme « Le garde du corps de la célèbre styliste et chanteuse est mort dans un accident de voiture ?! » sont de sortie. Tant que je peux garder ma grossesse secrète, je devrais au moins pouvoir arriver à essuyer le plus gros. Mais ma célébrité en tant que styliste cette fois-ci commence de plus en plus à prendre de l’ampleur et j’ai peur qu’une fois encore, je ne sois obligée de faire face à ces collants de paparazzis. Ça me met toujours une pression de dingue et j’ai horreur de ça ; je n’ai en plus pas besoin de ça en ce moment. Je ne veux pas qu’on vienne me poser des questions sur cet accident en question, comment je le vis etc. Je risque de péter un scandale devant tout le monde et ce ne serait pas très bon pour les affaires…

Enfin, l’heure n’est pas réellement à penser à ça même si forcément, ça me taraude un peu. Lui demandant de façon acerbe qui lui avait dit que j’étais là, je soupire en ayant la confirmation que c’était Hayato. Je sais qu’il se fait énormément de souci pour moi alors qu’il commençait enfin à aller mieux après toutes ces années de galère. Et Ryo… Tss, en fait ça me soule. Tout le monde s’inquiète pour moi, veut essayer de m’aider, ne veut pas me laisser seule et moi, je n’ai qu’une envie, c’est celle de m’enfuir le plus loin possible. Si au moins j’avais réussi à fuir de ma chambre d’hôpital pffeuh… Enfin, je ne peux pas leur en vouloir à tous de s’inquiéter pour moi, je sais que je n’en fais qu’à ma tête comme toujours et encore plus maintenant mais… Comment auraient-ils réagi s’ils avaient été dans le même cas que moi ?

« Merci… Même si je ne pense pas être en droit que l’on s’inquiète pour moi haha… Personne ne veut que je sois seule en ce moment, je me demande bien pourquoi tiens. »

Je soupire après un léger rire. Je n’aime pas spécialement causer de l’inquiétude chez les gens que j’aime mais je ne veux pas non plus être prise en pitié par eux. Sa douce voix se fit entendre dans le froid de cette chambre si sinistre qui est la mienne depuis quelques temps. Même s’il n’est plus là, il y a une part au fond de lui en moi hein… Oui je sais bien… Cet enfant est tout autant le sien que le mien, donc oui forcément mais il n’empêche que je ne veux pas affronter ça sans lui. Je ne m’en sens pas capable. Une larme s’échappe à nouveau parce que ça me va droit au cœur ; elle fait partie des rares personnes qui me font loyauté sans faille. Comme je suis davantage émotive qu’avant, ça me touche encore plus et j’essuie bien vite cette larme du revers de la main. Tout lui raconter… Remonter loin dans mes souvenirs en revivant ces douloureux moments pour lui faire comprendre que la blessure est bien plus béante qu’une simple perte. Si je ne craignais pas l’abandon, si je n’avais pas laissé tomber toutes mes barrières avec Magoichi, sans doute aurais-je peut être pu remonter plus facilement la pente.

Mais il a tout vu en moi ; il a vu mes faiblesses intérieures du passé, il a vu le caractère exécrable que je peux avoir au travail ou parfois comme ça avec les gens, combien je n’accorde pas ma confiance comme ça au premier venu. Kimiko ne me jugera pas ; elle a dit jamais et quelque part, ça fait du bien, j’en ai marre de ces gens qui ne regardent qu’à la surface. Les paparazzis ont aussi détruit une partie de moi en me harcelant quand j’étais chanteuse et au top de ma carrière de musicienne. Alors oui, Miss Scandale est née de cette aversion pour eux.

« Je sais bien que mes frères seront là pour moi, mes plus proches amis Tom et Seijuro, mais ils ont leur propre vie… Et Hayato se reconstruit doucement… Je porte cette responsabilité, ce lourd fardeau d’avoir dû être un peu sa mère de substitution sur les épaules Kimiko. C’est dur… Je dois déjà me gérer moi-même, la boutique tout ça… Je n’en peux plus de tout ça. Je voulais juste partir, m’enfuir loin… J’avais enfin trouvé cette stabilité tant recherchée avec Magoichi, et là, je la perds à nouveau… »

Je posais ensuite une main sur mon ventre en le regardant avec un regard plus que triste.

« Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’est être une bonne mère… Je n’ai pas eu un modèle de perfection il faut dire… Cette… Cette putasse de génitrice… »

Rien qu’à l’évoquer, mes muscles se contractent et la haine s’empare tout doucement de mon regard alors que je préfère fixer l’horizon pour que Kimiko ne croit pas que je lui fais un regard méchant. J’essaie de me calmer car mon rythme cardiaque s’accélère un peu et commence à faire quelques exercices de respiration pour reprendre mon calme avant que quelqu’un ne vienne car j’aurais affolé la machine.

« Chaque fois que je dois me souvenir de cette époque, d’elle… Cette connasse qui a osé me violenter ; qui a osé quelque part m’abandonner dans les griffes de la célébrité dès mon plus jeune âge ! Cette connasse qui m’a poussé à la tentative de suicide. Je n’ai jamais voulu de cette célébrité… »

Je vide mon sac d’un coup en ayant les poings serrés, la gorge serrée de larmes qui perlent le long de mes joues.

« Et on s’étonnera que je ne sois pas nette sur les bords hein ?! Regarde bien la grande et célèbre styliste et chanteuse égocentrique Aliyah Fuma, la Miss aux mille scandales ; le dragon en personne ! Celle qui est devant toi n’est pas Aliyah, c’est juste son fantôme, une personne brisée par tellement de choses… Foutue célébrité… Pourquoi… Pourquoi est-ce qu’il a fallu que je fasse tomber les barrières avec lui ! Pourquoi je suis tombée amoureuse de lui bordel. Clans mafieux à la con ! J’ai tellement envie de tous les retrouver et les faire cramer jusqu’au dernier. »

La colère ressurgit sans que je ne puisse réellement la contrôler. J’aurais eu mieux fait de finir dans un caniveau tant qu’il était encore temps, au pire j’aurais été retrouvée et enrôlée dans un clan, je me serais droguée et j’aurais fini dans les méandres et dans l’oubli comme je le souhaite si fort. J’ai envie de boire, d’une cigarette, d’être ailleurs, quitte à pleurer mon chagrin devant sa tombe.

« Je ne sais même plus où je dois aller, je n’ai plus envie de rien. Je veux juste disparaitre pendant un temps de ce monde, tu comprends Kimiko ? Mon âme est partie le jour où Magoichi est décédé… »

J’ai tellement de chagrin en moi, de blessures que tout se bouscule. Pourtant, j’avais semblé faire de bons progrès avec le psy mais cet événement a encore bousculé beaucoup de choses en moi. Calme toi Ali… Calme toi, ce n’est pas bon pour le bébé, tu le sais à présent que la gynécologue s’est déplacée dans ta chambre pour venir te voir avant que Kimiko ne te rende visite. Je veux sortir de cet hôpital le plus vite possible mais je ne peux pas nier que je suis en pleine dépression… en même temps, est-ce si surprenant ?

« Je suis fatiguée de ce monde… Veuve à 29 ans, ah quel beau palmarès après toutes les casseroles que je ne me traine déjà pas depuis mon enfance ! J’avais un grand frère et je l’ai découvert, il y a seulement 2 ans ! Ils m’ont caché tellement de choses Kimiko… »

Sans doute que si j’avais connu ce grand frère bien avant, j’aurais les épaules plus robustes pour supporter cette affliction.

Pourquoi être si gentille avec moi ? Kimiko, je me déteste tellement parce que de tout mon cœur, j’essaie de te repousser car c’est comme ça que je suis mais toi… Toi tu restes encore pour moi, là à me soutenir en tant qu’amie. Personne n’a envie que je sois seule… Elle ne me laissera pas m’effondrer hein. Pourtant, j’ai envie de m’effondrer et de tout foutre en l’air. C’est ça ma vie après tout. L’autodestruction d’une manière ou d’une autre. Ça fait mal d’entendre que je me mets trop de pression sur les épaules… Ouais peut-être… Ho, je ne me fais clairement pas de souci pour la boutique, ni pour Ryo. Il a 34 ans, c’est un grand garçon ; je sais que je n’ai pas à m’inquiéter pour lui, plus pour Hayato… Enfin, il est sous l’aile de Ryo à présent, plus que sous la mienne ce qui est une bonne chose mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour notre cadet.

« Je ne me fais pas de souci pour la boutique, Erika saura très bien gérer avec les deux autres employés… Ni pour Ryo, c’est plus pour Hayato… Enfin… Merde, en fait, j’en ai marre que l’on doive compter sur moi tout le temps ! N’ai-je pas droit au repos moi aussi ? »

Je ne veux pas que Kimiko se sente obligée de s’occuper de nous en mode raccrochons nous à la seule bouée qui nous reste. Non, ce serait injuste de ma part et pour Hayato qu’elle prenne soin de nous comme ça. L’urgence est de penser à moi, au bébé… Bizarrement, je le sais. Je sais que je dois penser à moi, de prendre enfin le réel repos que je n’ai pas pris ces dernières années. Mais… d’avoir perdu mon époux subitement me fait prendre conscience aussi que j’ai peur de prendre ce repos tant prometteur de choses censées être agréables. Prendre du repos… Sans doute que mon repos se résumera à trainer au lit toute la journée, à me morfondre et puis vivre de plats à emporter en disparaissant pendant des mois du radar professionnel. Ce n’est comme si je me sentais de toute manière capable d’aller travailler. Je ne veux même pas y penser pour l’instant à vrai dire.

« Tu crois vraiment que je serais une mère formidable ?... J’émets des doutes pour ma part. »

Et je suis en droit d’avoir des doutes quant à cette future parentalité. Non mais c’est vrai quoi. Jusqu’il n’y a pas si longtemps que ça, je fumais encore des cigarettes, ça ne me dérangeait pas de finir ivre. Bon okay, grâce à Magoichi et à quelques évènements survenus, j’ai arrêté la clope et l’alcool mais si je n’avais pas ce petit kiwi en moi, nul doute que j’aurais repris et replongé. Jamais seule… Jamais seule hein… Je ne sais plus ce je dois faire, comment je dois agir, réagir. Mes émotions se bousculent dans tous les sens car dans un sens je veux qu’on me laisse seule à tout jamais et dans un autre sens… je ne veux pas être seule. Je ne veux pas me retrouver seule dans cette grande maison.

« C’est un peu égoïste ce que je vais te demander mais… Je peux habiter avec toi une ou deux semaines quand je serais sortie d’ici ? Je… Je ne me sens pas de retourner seule… dans ma maison… Enfin peut-être ça gênera ton colocataire après tout… »

J’ai besoin je crois d’un peu de temps avant de pouvoir retourner là-bas, même si j’ai peur de déranger, encore quelqu’un. Si Kimiko ne peut pas m’accueillir, ce que je comprendrais tout à fait, je n’aurais qu’à aller squatter chez Tom. Je reverrais le jeune homme à la cuisine entrain de manier le couteau à la perfection, ou alors en train de déambuler juste en serviette dans le salon pour me donner envie de lui. Nos sourires, nos jeux, nos discussions sérieuses comme légères, nos blessures et nos rêves… J’ai peur que tout me revienne à la figure sans que je n’y sois réellement préparée. Kimiko est tenace, elle ne me laissera pas faire la bêtise ultime et je sais que je peux lui faire confiance là-dessus. Ça me fait un peu sourire et je prends un air légèrement gêné à la fois.

« Rah zut, je ne vais donc pas encore pouvoir disparaitre ! Tu me donnes du fils à retordre en disant cela très chère. »

Une pointe d’humour même si ce n’est pas forcément le bon moment mais je veux lui montrer que malgré tout je ne renoncerais pas à la vie. J’ai semble-t-il eu un peu trop de difficultés pour vraiment en arriver à ce point-là. A bien y réfléchir, avec le recul, je suis contente d’avoir rencontré ce demi-frère. Mais j’aurais bien voulu que mes parents ne me le cachent pas… C’est eux qui ont tout gâché et ce destin à la noix quand on y regarde de plus près. Ah Ali, à quoi t’attendais-tu après tout ? Tu le savais que ton époux décéderait un jour à l’autre à cause de ces magouilles dans lequel il était fourré. Tu le savais… Alors pourquoi c’est si amer en bouche et si difficile à accepter ?

« Merci d’être venue… Merci de m’avoir écouté et d’être restée malgré tout… ça m’a fait un peu de bien. »

Oui je le reconnais, ça m’a fait un peu de bien que Kimiko soit là même si je voulais à tout prix ne pas me laisser aller et ne pas lui montrer mes plus grandes faiblesses. J’ai baissé mes défenses, mais dès que ça ira mieux, je les rebâtirais car plus personne ne doit me voir comme ça. Personne hormis mon psy et mon confident Tom. Pas même mes frères pour ne plus les inquiéter, pas même mes collaborateurs, pour rester la Aliyah égocentrique en public que je peux être. Ma relation avec Tom a toujours été ambigüe et il reste le deuxième homme après Magoichi à avoir mon amour.

[...]

Quelques jours plus tard, Kimiko m’a annoncé qu’elle acceptait de me loger pendant quelques temps afin que j’arrive à m’en remettre. Je ne sais évidemment pas si je vais réussir à m’en remettre réellement mais bon… Je ne veux pas être chez moi, ni chez Ryo. Et du coup, je n’ai pas à appeler Tom pour qu’il me loge chez lui. J’ai dû attendre une semaine de plus avant de pouvoir sortir de l’hôpital, ces imbéciles de médecins et autres voulant être certains que je n’allais pas recommencer mes conneries. Comment dire que même si je le voulais, je ne pourrais pas. J’ai trop une amie en or qui ne me laisserait pas faire n’importe quoi alors bon.

Moi une mère parfaite pour Hayato ? Je ne pense pas non… Et Ryo est trop vieux pour que je m’occupe de lui, je dirais que c’est plutôt le contraire depuis que l’on se connait. Je ne pensais pas qu’il me prendrait sous son aile puisque l’on ne se connait que depuis peu. Enfin, je ne dis rien mais reste un peu perplexe quant aux dires de mon amie. Elle me répète que je dois prendre soin de moi à présent, oui oui… Et me rappelle gentiment que Yuma n’est pas son colocataire mais son employeur qui l’héberge. Ce n’est pas un peu bizarre comme situation ? Et moi qui risque de m’incruster… Enfin, au pire je me ferais petite…

« Oui enfin tu sais que je n’ai qu’un petit frère hein : Hayato. Ryo est l’ainé et je ne le connais que depuis 3 ans à tout casser. J’ai surtout laissé Hayato à l’abandon pendant nombres d’années oui… Enfin comme si j’avais eu le choix… Il n’a que 19 ans, certes ce n’est plus un gamin mais il a quand même besoin que je sois là. »

Je crois que je m’en voudrais toujours pour avoir dû l’abandonner à l’orphelinat alors qu’il n’avait que 11 ans… Vouloir l’élever alors que je commençais ma carrière de chanteuse dans le même temps n’a que contribué à ce qu’il se sente vraiment abandonné par la seule famille qu’il lui restait. Même si j’allais souvent le voir pour ne pas perdre le lien, ce n’était pas pareil. Quelque part, je ne voulais pas qu’une famille l’adopte parce que c’était mon petit frère – ça l’est toujours bien sûr hein mais voilà. Un peu égoïstement, il m’appartenait et j’étais sa seule bouée de sauvetage. Maintenant, il y a Ryo et c’est plaisant d’avoir un grand frère qui soit là pour le recadrer quand je ne sais plus quoi faire avec lui. Je ne suis pas vraiment sa mère ; je suis sa sœur et là, oui c’est complètement différent car je vais réellement devenir mère. De mon propre enfant, de celui qui ne connaitra jamais son père malheureusement.

Je ne doute pas qu’il sera bien entouré avec ses oncles mais… forcément, ce n’est pas la même chose. Mago, Mago… Si seulement… Si seulement tu étais là avec nous. Je n’avais besoin de rien d’autre que de toi, à mes côtés. Mon rocher. Je préférerais sombrer dans le sommeil une bonne fois pour toute… Prendre du temps pour soi, pour se relever, comme si c’était si facile. Le téléphone en main, je finis par composer machinalement le numéro de mon psy pour prendre rendez-vous. Juste un sac avec quelques affaires, la plupart appartenant à mon défunt époux que je mets pour ne pas oublier son souvenir et quelques autres m’appartenant, juste pour un temps où je vais loger chez Kimiko.