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Grand-mère est tombée malade. Elle a du être hospitalisée durant prêt d'une semaine après la mi-juin. Au delà de l'inquiétude suscitée chez Tsuki, ce fut un poids supplémentaire lorsqu'on lui avait remit la facture de l'hospitalisation en main propre. Elle voyait bien que la personne en face d'elle avait l'air navrée. Un peu. Pas trop. Juste assez pour ne pas passer pour un rustre. Mais dans le fond Tsuki sait bien comment ça marche. Elle travail dans l'hôpital où sa grand-mère était hospitalisée. Elle sait que pour ces gens-là, l'argent qui rentre, les lits remplis, c'est plus importants que les malades.
Alors elle payera. Elle n'a pas le choix de toute manière. Ces grands parents ne sont pas de gros dépensiers. Mais seuls, ils ne pourront pas couvrir les frais. Ou bien ils le feront en se privant pour plusieurs semaines ensuite. Cela aurait surtout vite fait d'affaiblir leur santé déjà fragilisé par l'âge avançant. Tsuki a bien vu la tristesse dans les yeux de sa grand-mère quand elle lui a dit qu'elle payerait. Elle a vu comme elle luttait pour retenir ses larmes. Alors elle a fait comme si tout allait bien, que ça n'était pas si important que ça.
La vérité c'est qu'elle a chercher à reprendre des gardes de nuits ou de week-end à des collègues. Mais chacun veut avoir son quota pour arrondir la paye. Alors elle s'est décidé à accepter des contrats supplémentaires dans des endroits qui payent mieux. Des endroits qu'elle n'aiment habituellement pas fréquenter. Des endroits où les femmes sont considérées en grande partie comme des objets de désir. Elle n'était pas certaine d'obtenir le job quand elle s'est présenté. Parce qu'on ne peut pas dire que sa plastique soit la plus belle qui soit. C'est sans doute son habilité à maintenir un plateau plein à bout de bras qui a joué en sa faveur. Quand on lui a donner sa tenue elle s'est contenter de la saisir sans faire aucun commentaire.
Elle a surtout décider de mettre des oeillères. Pour ne pas trop s'offusquer des regards qu'on pose parfois sur elle à cause de la robe trop courte qu'on lui demande de porter. Elle se sent mal à l'aise. Mais « ça fait plus vendeur » a dit le patron. Elle s'est déjà retrouvé habillé en maid à distribuer des flyers publicitaires dans la rue. Alors, servir des verres en petite robe noire, « ça va ». C'est de ça qu'elle essaye de se convaincre. Elle tente surtout de se rappeler qu'elle fait ça pour sa grand-mère. Et puis servir des verres, ça, elle sait très bien le faire. Il ne lui ai plus possible de compter le nombre de fois où elle a dû aller remplacer sa mère au café du coin pendant son lycée. A la maison aussi elle servait des verres. Maintenant, c'est la bouteille qu'elle donne. Parce qu'un verre, ce n'est plus jamais suffisant.
Ses cheveux, ramenés en queue de cheval, lui donne la désagréable impression de se sentir trop exposée. Vulnérable. Ne l'est-elle pas réellement ?
- Voilà vos boissons messieurs.
Elle tente de sourire à la tablée. Il y a des hommes d'âge divers, même si la plupart semblent avoir autour de la trentaine. Ils ont plutôt belle allure. Les quelques regards qu'elle croisent pourtant, ne lui inspire pas grande confiance. Elle se redresse une fois l'ensemble des verres déposés sur la table. Quand une main se referme sur sa hanche, elle termine son ascension avec une rapide rigidité. Son regard se tourne immédiatement vers l'auteur de ce contact qu'elle espère involontaire.
Il lui sourit. Les doigts de la demoiselle serrent le bord du plateau. Allons Tsuki, involontaire ? Avant qu'elle ne lui puisse dire quoi que ce soit, il « l'invite » à s'asseoir à côté de lui d'un mouvement brusque. Les fesses de la jeune fille heurtent la banquette avec rudesse. Elle tient toujours son plateau devant sa poitrine, comme pour s'en servir de rempart.
- Tu ne veux pas rester boire un peu avec nous ?
« Soit polie ». « Soit souriante ». On lui dit toujours quoi faire. Et elle a une excellente capacité à obéir. Jusque là, jouer les idiotes lui a sauver la mise.
- Merci pour votre invitation. Mais...c'est que...J'ai beaucoup de travail vous savez.
Elle ne veut pas les mettre en colère. Parce que ça risquerait de déplaire au patron. Et si ça ne plait pas au patron, ça retombera sur elle. C'est certain. Alors elle espère simplement qu'on voudra bien la laisser partir. Ses yeux se promènent sur les autres personnes de la table, espérant y trouver un soutien. Ou quelqu'un non loin de là. Peu importe. Elle prendrai n'importe quoi comme porte de sortie.
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Akinari déteste cet endroit. Tout est tellement artificiel. Il n’est plus le seul à jouer la comédie. Les serveuses font semblant de ne pas voir les regards insistants des clients et les clients font semblant de venir pour la qualité des boissons. Akinari lui, est venu parce qu’on le lui a demandé. Les soirs où il est libre sont rares, lorsqu’il n’a pas de mission à accomplir il doit souvent accompagner ses confrères dans tous les endroits les plus louches de Kôbe, où ils aiment venir s’amuser. Ou peut-être juste s’occuper en attendant le lever du soleil. La plupart du temps, Akinari fait acte de présence et prends part aux festivités sans grand enthousiasme.
Il a déjà fréquenté tellement de bars de ce genre qu’il en saisit tout de suite les codes. Ils se ressemblent tous. Celui-ci est assez soft. Les serveuses ont beau être l’attraction principale, ce ne sont pas des prostituées. Ça crève les yeux, parce que quand l’un des hommes en agrippe une - toi - par la taille, tu essaies poliment de lui fausser compagnie. Une prostituée se serait réjouie d’avoir attiré l’attention d’un client. Mais toi, tu crispes tes doigts autour de ton plateau comme si c’était un bouclier. Tu n’as vraiment pas l’air à ta place.
Akinari est assis juste en face de toi, les bras croisés. Il assiste à la scène d’un air détaché, comme la plupart des hommes à la table. Ce n’est rien d’exceptionnel après tout. Les secondes passent, elles sont sans doute plus longues pour toi que pour lui. Au début, il ne fait même pas vraiment attention à toi. Ses yeux ne s’attardent pas sur tes cuisses dénudées ou sur cette coiffure qui révèle ta nuque. Son regard vitreux ne semble s’accrocher à aucun détail en particulier, comme s’il te voyait à travers un voile opaque. Même ton visage ne lui évoque aucun souvenir particulier. Ce passé lui paraît si lointain.
Mais quand même, ton regard appelle à l’aide. La scène s’éternise, on dirait que tu n’ose pas t’en défaire. Akinari n’a pas envie que la soirée tourne mal. Il ne veut pas que la situation alerte les autres serveuses, il ne peut pas non plus faire une remarque à celui qui s’accroche à toi et te force à t’asseoir près de lui comme si tu allais finir par changer d’avis. Il n’a pas assez de légitimité pour se le permettre, il est loin d’être le plus âgé de la table. Pourtant si ses supérieurs créent des problèmes, c’est lui qui devra s’excuser à leur place. Alors, il faut désamorcer la situation, de façon indirecte. Ça fait partie de son rôle. Il se penche vers toi, et prend la parole en s’assurant de parler assez fort pour que tu l’entendes, mais pas assez pour attirer l’attention de toute la tablée.
- Cette tournée est pour moi. Je voudrais payer tout de suite.
Sur le moment, c’est l’idée qui lui semble être la plus prudente. Il se lève sans attendre ta réponse, les yeux plantés dans les tiens jusqu’à ce que tu saisisses l’occasion de te soustraire à cette compagnie indésirée. Akinari a besoin de toi pour trouver le chemin jusqu’au comptoir, tu comprends ?
En te voyant lui filer entre les doigts, l’homme qui t’as agrippé pousse un râle insatisfait. Heureusement son mécontentement s’arrête là. Avec l’alcool, il aura sûrement oublié sa frustration dans quelques minutes.
Alors vous finissez quand même par vous éloigner de cette table, et Akinari sent au même moment la pression redescendre dans tout son corps. Ses muscles ne sont plus aussi tendus, sa posture n’est plus aussi raide. Il peut souffler, il peut aussi enfin te dire le fond de sa pensée.
- Il faut l’ignorer, il est incapable de se tenir.
Il t’adresse dans un soupir ces mots qui sont supposés être des excuses mais qui sonnent aussi un peu comme un ordre. Malgré lui, Akinari est agacé. Non vraiment, il n’aime pas cet endroit. Il se méfie. Ses yeux se posent brièvement en arrière sur le reste de la tablée, où l'ambiance a déjà changé. Désormais ce sont les verres que tu as apporté qui sont au centre de l’attention. Tant mieux.
L’esprit plus clair, il se retourne vers toi et en profite pour poser une question qui le démange depuis qu’il a mis les pieds dans le bar :
- Je peux fumer ici ?
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Mais finalement, sa porte de sortie vient d'ailleurs. La personne en face d'elle propose d'aller régler, immédiatement, la note. Les billes sombres de la demoiselle s'animent soudainement.
- Bien sûr. Vous pouvez me suivre.
Elle a faillit dire « suivez-moi ». Mais c'est un ordre. Et elle ne peut pas donner pas d'ordre aux clients. Ce serait extrêmement impolie. Quoi qu'il en soit la main se fait finalement plus molle sur sa hanche, la libérant de sa prise. Rapidement, mais trop pour que son soulagement ne soit pas trop flagrant, elle se lève.
D'un geste de la main elle indique la caisse, à proximité du bar. Elle ne sait pas s'il veut réellement payer ou s'il fait juste ça pour la sortie du pétrin. Néanmoins, elle juge préférable de jouer le jeu jusqu'au bout. Chaque pas l'éloignant de la table lui permet de reprendre son souffle. Avant qu'ils n'atteigne le comptoir le jeune homme à sa suite s'excuse pour son ami. Ou son collègue. Elle ne peut réellement préjuger de leur relation. Elle a un bref sourire.
- Il n'y a pas de soucis.
Menteuse.
Mais ce garçon n'y peut rien. Il n'est pas le fautif. Elle ne peut pas lui en vouloir pour un acte qu'il n'a pas commis. En arrivant proche du comptoir il lui demande s'il peut fumer. Les épaules de la jeune fille se tendent un instant. Elle lui désigne un pictogramme sur le mur.
- Vous pouvez oui.
La majorité des clients ne le font pas. Heureusement pour elle. Elle déteste l'odeur de la cigarette. Sauf qu'elle ne peut pas le lui interdire si le patron le permet. Elle rentre le numéro de la table sur l'écran au comptoir.
- Vous souhaitez….réellement régler ? Car si c'est le cas voici la somme.
Elle tourne l'écran vers lui pour qu'il en prenne connaissance. C'est sans doute à ce moment-là qu'il va lui dire qu'il n'a pas l'intention de le faire. Elle le comprendrai. En attendant qu'il lui donne sa réponse, la demoiselle prend le temps de prendre réellement connaissance de son visage, pour la première fois. Presque immédiatement ces traits lui procure un étrange sentiment de familiarité. Elle ne parvient pas à remettre de nom sur ce visage mais elle est quasi certaine que ce visage ne lui ait pas inconnu.
Il ne lui semble pas bien plus âgé qu'elle. Est-ce qu'ils ont été en cours ensemble ? A moins qu'elle ne l'ai croisé dans un autre travail. Ou à l'hôpital, dans les couloirs ? C'est possible. Tellement de gens y travaille. Il y a des visages qu'elle croise tous les jours sans avoir réellement conscience de les regarder ou d'en prendre conscience.
- Je vous demande pardon mais...nous nous connaissons ?
Le sang lui monte aux joues d'avoir oser poser la question. Mais elle sait que ça risque de la perturber toute la soirée. La semi pénombre de l'endroit permettra sans doute que ça passe inaperçu. Seulement….Est-ce qu'il a besoin de répondre ? Bon sang. Elle n'aurai pas dû demander. Peut-être bien qu'ils se connaissent. Mais il n'a pas nécessairement envie de discuter. Il est là pour passer du temps avec ces amis. Pas pour papoter avec elle. Et elle, est là pour gagner de l'argent.
- Excusez-moi c'est...oubliez ma question. Je ne voulais pas...me montrer impolie.
Ses yeux n'osent plus se poser sur son visage, transie de honte. Il va sans doute repartir vers la table et raconter que la serveuse s'est fait des films. Ils rigoleront un bon coup. Il ne faudra pas qu'elle fasse trop attention.
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Les excuses d’Akinari sont pathétiques, et pourtant tu lui souris. Tu lui réponds comme si c’était déjà oublié. Tu es très polie, très professionnelle aussi. Vous vous ressemblez sur ce point. Quelque part, cette pensée le rassure. Il se sent un peu moins seul, l’espace d’un instant.
Dès qu’il en a l’autorisation, il attrape une cigarette dans un paquet déjà bien entamé. Il l'a acheté ce matin. Il l’allume pendant que vous arrivez au comptoir, et alors il te voit douter. Ça le fait sourire. Pourquoi est-ce que tu crois qu’il t'a suivi jusqu’ici ? Tu penses qu’il t'aurait aidé s’il n’avait pu payer ? Tu sais, s’il n’avait pas trouvé d’autre excuse, il se serait sans doute contenté d’assister passivement à la scène. Il aurait prié pour que quelqu’un d’autre intervienne à sa place avant que son groupe ne se fasse trop remarquer. Mais ça, il ne te l’avoueras jamais. Il préfère que tu penses qu’il a fait ça pour toi.
- Évidemment.
Tu vois, lui aussi il fait comme si tout était normal.
Il sort assez de billets de son portefeuille pour régler la totalité de la somme, tout en tirant sur sa cigarette. Tu as presque réussi à le mettre de bonne humeur, en lui permettant de quitter sa table. Tu n'étais pas la seule à vouloir t’échapper, en fait.
Mais son sourire s'évanouit lorsqu’il entends ta question. Il se fige un instant, parce qu’il ne sait pas comment il doit réagir. Il ne te répond pas immédiatement. Tu as l’air terriblement sincère, tu t’excuses même d’avoir fait cette remarque. Pourquoi est-ce que tu le reconnais ? Il a besoin de savoir avant de pouvoir dire quoi que ce soit. Est-ce que tu es au courant de qui il est, aujourd’hui ? Voilà la grande question. Parce que la réponse déterminera la façon dont il pourra se comporter avec toi.
La possibilité qu’il t’ait déjà croisé ne lui as même pas traversé l’esprit jusque là. Il s’en veut de s’être laissé surprendre. Alors pour la première fois, il te regarde vraiment. Tu fuis son regard, et lui sonde tous les détails de ton visage à la recherche du moindre indice.
Les souvenirs lui retombent dessus d’un coup. Tellement fort qu’il en est presque sonné. Tous les moments insignifiants que vous avez partagés il y a des années. Un quotidien dérisoire de lycéens dans lequel vous vous croisiez, vous échangiez parfois quelques banalités. Et qui s’est interrompu brutalement sans un au revoir, parce qu’un jour Akinari n’a plus remis jamais les pieds au lycée.
Il hésite.
Il ferait mieux de te dire que tu t’es trompée et tourner les talons. Ce serait plus prudent, tu n’as pas besoin de te rappeler de lui. D’ailleurs tu sembles déjà l’avoir presque totalement oublié. Ce serait égoïste de te pousser à te souvenir.
Mais il est tenté par l’idée d'avoir une conversation anodine avec toi. Ça lui éviterait de devoir retourner tout de suite à sa table. Et puis dans ses souvenirs, tu étais quelqu’un de respectable. Mais surtout, tu ne conserve de lui qu’une vague image de ce qu’il a été au lycée. Un adolescent un peu à l’écart, en décrochage, qui a fini par se faire expulser. Il pourrait faire semblant d’avoir changé, il pourrait même te dire qu’il est devenu quelqu’un de bien. Jusqu’à quel point tu y croirais ?
- Non… Je crois aussi en fait. Désolé, ça fait longtemps, je ne t’avais pas reconnue.
Il retrouve son sourire, parce qu’il sait ce qu’il doit faire maintenant.
- Alors, est-ce que tu te rappelles de mon prénom ? Ou je dois me re-présenter ? Moi je me souviens en tout cas. Tsuki, c’est ça ?
Ça l’amuse de ne pas te donner trop d'indices. Il fait durer le suspens, il se demande à quel moment tu vas parvenir à te rappeler de lui.
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Ses prunelles sont un instant accaparées par la fumée qui s'échappe de la cigarette, créant un voile feutré devant son visage. Elle n'a pas l'habitude de côtoyer des fumeurs. Ça lui donne envie de tousser. Mais elle a quand même accepter de venir travailler ici. Alors elle se plie aux règles du jeu. Et puis, la façon dont la fumée s'échappe en ondulant du bout de la cigarette a ce petit quelque chose d'hypnotisant.
Finalement, c'est lui rompt le silence. En confirmant ses dires. Il se permet même de la tutoyer. Les billes sombres de Tsuki s'étonnent. Désarçonnée, elle ne retrouve pas immédiatement l'usage de sa langue. Sous son nez, elle voit les traits du visage de garçon changer, formant un sourire. Il a soudain l'air beaucoup plus avenant, plus ouvert. Quand il prononce son prénom la jeune fille en reste bouche bée. Elle n'imaginait pas avoir raison, mais encore moins qu'on se souvienne d'elle.
Tsuki s'est toujours considérée comme quelqu'un d'oubliable. Qu'on ne remarque pas. Et ça lui convient plutôt bien. Elle aime rendre service. Aider les gens. Contribuer à leur bonheur. Tendre une main est si facile. Elle ne le fait pas pour une quelconque reconnaissance. Simplement pour la joie que procure un « merci » ou un sourire sincère. La demoiselle est donc plus que surprise qu'il se souvienne de son nom.
- Oui...Oui c'est ça.
Ses joues sont tintées de rose. Ses neurones en ébullition. D'ordinaire elle est plutôt physionomiste. Mais c'est comme s'il y avait un blocage. Son plateau posé sur le bar, elle triture le tissus de sa robe. Comme si ça allait lui donner une idée de génie. Soudain ses sourcils sacquent sous le joug de la réflexion intense qui se produit dans sa petite tête. Il l'appelée par son prénom.
- On était ensemble...au lycée, non ?
S'il avait été un collègue d'un autre emploi elle s'en serait souvenu. Et l'hypothèse qu'il soit quelqu'un de l'hôpital à peine croisé n'expliquerait pas qu'il connaisse son prénom. Ou alors, elle avait peut-être du soucis à se faire. Elle met une main devant ses lèvres, comme pour cacher sa gêne. Elle a un don pour se mettre dans des situations embarrassantes.
- Je suis désolée….est-ce que..j'ai le droit à un indice ?
En espérant qu'il ne soit pas vexé. Mais après tout, si elle n'avait pas oser lui poser la question. Si elle n'avait pas laisser sa curiosité prendre le dessus. Peut-être qu'en passant par un petit indice il lui viendrait une illumination. Sinon, elle pourrait toujours aller se cacher sous le bar.
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Les souvenirs sont tellement flous, lointains. Akinari a l’impression qu’ils appartiennent à quelqu’un d’autre. Mais pourtant, tu es là juste devant lui et c’est la preuve que c’est bien lui qui les a vécus.
Tous les moments que vous avez partagés se superposent dans son esprit, il est incapable d’en isoler un en particulier. Tu faisais simplement partie d’un paysage longtemps refoulé. Tout ce qu’il sait, c’est que ta mine troublée, ton teint rougi, la façon dont tu essaie de cacher ta gêne, rien n’a vraiment changé.
Pourtant rien ne pourrait redevenir comme avant. Il le sait. Mais il aimerait tellement faire comme si c’était possible. Juste pour un moment.
Tes souvenirs aussi doivent être confus. Lorsqu’il prononce ton prénom, la surprise se lit dans tes yeux. Mais tu sais, il n’est pas vexé du tout par tes hésitations, alors il n’y a vraiment pas de quoi être gêné. Il ne s’attend pas à marquer les esprits. C’est sans doute mieux qu’il ne le fasse pas, d’ailleurs.
- En effet.
Akinari essaie de te rassurer, il n’y a ni impatience ni agacement dans sa voix. Il confirme ton hypothèse d’une voix douce, qui sonne presque comme un remerciement. Ça ne le dérangerait pas d’attendre ici des heures pendant que tu réfléchis. D’ailleurs son prénom t’échappe toujours. Tu as l’air plus embêtée que lui de ne pas parvenir à t’en rappeler.
- Ne t’en fais pas, ça fait un moment après tout. Et puis, je n’étais pas très assidu à l’époque. Je suis déjà étonné que tu te sois souvenue de mon visage.
Mais même si tu as du mal à mettre un nom sur ce visage, tu essaies encore de le deviner. Tu veux jouer à ça, toi aussi ? Ou alors c'est juste une façon polie de déclarer forfait ? Mais Akinari a confiance et il sait être patient, tu vas finir par te rappeler. Il te faut un indice qui ne dévoile pas d’emblée la réponse, mais qui soit quand même assez parlant pour que tu te souviennes. Il a déjà profité de la situation, il ne veut pas te laisser trop longtemps dans l’embarras. Il pourrait t’aider en te disant qu’il partage son prénom avec l’un des auteurs japonais les plus importants de l’époque Edo, mais même lui a oublié cette anecdote. Toutes ces choses qu’il a entendues en cours lui sont déjà sorties de la tête depuis un moment.
- Alors, un indice… Il y a le kanji d’une saison* dans mon prénom. Ça t'aide ?
Il se souvient qu’au lycée on se contentait souvent de l’appeler « Aki », peut-être parce que son prénom complet était trop long, ou trop inhabituel. En tout cas, maintenant, on ne l’appelait plus beaucoup.
*Le "Aki" de Akinari s’écrit 秋, ce qui signifie automne
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Il n'était pas très assidu ? Voilà qui n'arrange pas son affaire. Peu assidu à cause de quoi ? D'une maladie ? Les méninges de la demoiselle sont toujours en pleine activité pour tenter de mettre bout à bout les informations en sa possession. C'est si frustrant, parce qu'elle a la sensation d'avoir un nom sur le bout de la langue. Sauf qu'il y a comme un voile l'empêchant de le découvrir. Comme s'il lui était impossible de le lever, qu'elle n'avait pas la force nécessaire.
Fort heureusement pour elle, le garçon se décide à lui donner un indice supplémentaire. Alors qu'il lui en a déjà donné un en lui avouant qu'il n'était pas nécessairement assidu en classe. Mais elle ne cracherait pas sur une miette de pain supplémentaire. Son indice la laisse cependant interdite. Une saison ? Irrémédiablement, elle pense d'abord à sa propre au sœur. Haru. Sa chère Haru. Aussi belle qu'une fleur de printemps. Alors, pour tenter de trouver la réponse à son interrogation, elle se mit à énumérer les saisons dans sa tête. Après le printemps vient l'été. Puis l'automne.
Ce fut comme une fulgurence. Sa faible confiance en elle empêcha cependant Tsuki de parler immédiatement. Elle se répéta d'abord plusieurs fois le nom dans son esprit en fixant son visage, comme pour voir si cela collait ou non. Enfin, elle se laisse aller à le dire à voix haute.
- Akinari ?! Akinari Nakano ?
Un léger sourire éclaire son visage, parce si dans son esprit, le nom et le visage allait bien ensemble, cela rend encore mieux une fois prononcé à voix haute.
- Mais oui !
La demoiselle semble ravie. Il ne lui a pas menti, elle à le souvenir qu'il n'a pas terminé sa scolarité avec eux. Pour d'obscures raisons, à ce qui lui revient en mémoire. Obscures par les bruits de couloirs qu'il y avait. Le genre de bruits auxquels Tsuki n'aime pas porter attention. Car les gens peuvent bien dire ce qu'ils veulent et déformer la réalité.
Finalement, son visage, à présent nommé, lui revient parfaitement en mémoire lui aussi. Garçon discret, tout comme elle. S'il a prit de l'âge, les traits restent similaires. Sans doute là ce qui lui a permis de le « reconnaitre ».
- Vous n'avez pas tant changer que ça en réalité.
Elle non plus. Tsuki a toujours la sensation de plus ressembler à une enfant qu'à une femme. La nature l'a ainsi faite. Elle doit s'en accommoder.
- Je suis aussi très étonnée que vous vous souveniez de moi.
Ils étaient ensemble en classe mais n'étaient pas amis pour autant. Quelques mots échangés. Quelques corvées partagées à la fin des cours. Quelques regards, quelques sourires surement. Rien de plus. Ils ne se connaissaient pas plus que ça. Mais c'était toujours plaisant de voir un visage familier quand on est aussi peu à l'aise qu'elle l'est dans cet endroit.
Malgré cela, il lui est difficile de le tutoyer. Même s'ils ont été camarade de classe d'autant, aujourd'hui il reste un client de l'établissement. La jeune femme a du mal à se permettre une telle familiarité.
- Que devenez-vous alors… ? Vous êtes venu vous détendre avec des collègues ?
Elle jète un œil discret à la tablée un peu derrière lui. Ils ont toujours plutôt l'air bien habillé. Peut-être a-t-il fait des études pour devenir homme d'affaire ? Comptable ? Le champ des possibles est immense ! Il s'étend à l'infini. Il voudra peut-être savoir ce qu'elle devient, elle aussi. Si cet endroit est son principal emploi. Fort heureusement pour elle, Tsuki est beaucoup plus fière du métier qui l'occupe au quotidien. Elle n'a pas fait de grande étude. Elle ne fait pas non plus le job de ses rêves. Mais au moins, elle se sent utile. Si sa compagnie et l'aide qu'elle a à fournir permet de soulager quelques maux, même l'espace d'une seconde, alors cela suffit à son bonheur.
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Dans ta bouche, son nom sonne mieux que d’habitude. Il a plus souvent l’occasion de l’entendre prononcé d’un ton autoritaire, rauque, dur. Parfois il est même remplacé par un simple “toi, là-bas”. Tu te souviens même de son nom de famille. De quoi d’autre tu te rappelles ? Est-ce que tu sais pourquoi il a été renvoyé de votre lycée ? Lorsque tes souvenirs sont revenus, tu n’as pas eu l’air perturbée. Peut-être que tu n’as jamais su. Peut-être que tu as oublié. Il n’a pas envie de te le rappeler.
Te voir être aussi fière d’être allée au bout de la devinette le fait sourire. Il hoche la tête pour confirmer ta réponse. Il rit même un peu lorsque tu lui dis qu’il n’a pas changé. Ça lui fait plaisir. En même temps, ça lui déchire le cœur. Il est quand même content que tu penses ça. Il sourit toujours.
- Est-ce que tu es obligée d’être formelle avec les clients ? Je préfèrerai qu’on se parle plus normalement, comme avant. C’est un peu étrange pour moi, sinon.
Il ne veut pas te forcer à enfreindre les règles de ton travail, mais quand tu le vouvoie, il a l’impression que l’écart se creuse entre vous. Que le temps a trop passé. Il n’aime pas être placé dans une position de supériorité, même si c’est typique de genre d’établissement. Mais il n’a pas envie que tu le traites comme un client, ce serait malsain.
Puis vient la question qui fâche. La question inévitable, il savait qu’elle allait arriver. Qu’est-ce qu’il devient ? Il ne sait pas trop lui-même. Un mort-vivant plus mort que vivant. Sans ambition, sans perspective d’avenir, qui se laisse porter par les évènements.
Mais peu importe qu’il ne sache pas ce qu’il est devenu, parce qu’au moins, il sait ce qu’il doit répondre à cette question. Il l’a déjà fait plusieurs fois, alors il connait déjà histoire qu'il va raconter. Celle qu’il récite lorsqu’une personne qui ne fait pas partie du monde de la pègre l’interroge sur ses activités. Tu ne trempes pas dans des affaires sombres, toi ? Tu n’en a vraiment pas l’air. Pourtant tu travailles dans le type de bar qui pourrait être tenu par des personnes louches. Ça s'arrête là ?
- Oui, on peut dire ça. Je travaille dans une banque avec eux, je ne pouvais pas vraiment refuser leur invitation, tu sais comment ça se passe… Ils vont souvent boire après le travail. Mais j’avoue que je ne suis pas très à l’aise dans ce genre de bar. Je n’ai pas vraiment l’habitude.
Un mensonge enrobé de quelques étincelles de vérités. Elles aident à rendre le tout plus crédible. Après tout, il prête vraiment de l’argent, comme les banques. Puis il le réclame si on ne lui rend pas. Comme les banques. Seul le taux d’intérêt pratiqué et les méthodes utilisées varient.
Mais tant qu’il porte son costume, Akinari peut facilement se faire passer pour un employé de banque quelconque. Ce n’est pas forcément le cas de tous les membres de son groupe. En général, plus ils sont anciens dans l'organisation, plus leurs traits sont durs, plus ils se permettent d’avoir une attitude menaçante. Heureusement ce soir, les hommes qui l’accompagnent sont plutôt au bas de la hiérarchie. Certains ont quand même les cheveux coiffés vers l'arrière, ou portent quelques accessoires tape-à-l’œil mais rien qui ne rende manifeste leur statut de yakuza. Ces derniers temps, ils préfèrent se faire discrets.
Alors Akinari espère que d’ici la fin de la soirée, ses “collègues” ne grilleront pas sa couverture. Il jette un regard vers eux. L’alcool aidant, ils semblent bien s’amuser. Aucune serveuse n’a l’air d’être retenue à la table contre sa volonté. Tant mieux. Il s’accoude sur le comptoir qui vous sépare et sa cigarette continue de se consumer. Tout va bien.
Assez parlé de lui. Ça ne l’intéresse pas du tout de raconter la vie qu’il s’invente. La tienne doit être beaucoup plus admirable. Quel genre de personne tu es, aujourd’hui ?
- Et de ton côté alors, comment les choses se passent ? Je ne sais même pas ce que tu as fait après le lycée, tu travailles ici depuis longtemps ?
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- Ah o-oui...d'accord. Tu as raison.
Il est vrai que si ses amis avaient été présents, bien que clients, elle aurait été incapable de les vouvoyez. Mais tous les deux ils n'ont jamais été amis. Si ? Des camarades, tout au plus. Des « partenaires » de corvées. Parfois des voisins de classe. Néanmoins il semble heureux de pouvoir discuter un peu avec elle. Ou c'est son esprit qui lui joue des tours.
Quand il annonce travailler dans une banque, les billes sombres de la demoiselle se couvrent d'admiration. Il est devenu un homme respectable avec un emploi sûr ! Elle se souvient parfaitement que beaucoup de gens médisaient de lui lorsqu'il a quitté prématurément leur lycée. Force était de croire qu'ils se sont tous trompés. Peut-être même qu'il a une meilleure place en entreprise que la majorité de leurs camarades. Il peut en être fier.
- C'est sympa quand les collègues deviennent aussi des amis ! Mais je comprends que ça ne soit pas facile au début. En tout cas...Félicitations pour ton emploi !
Car ça mérite félicitations ! Il n'est jamais facile de trouver sa voie et de parvenir à son but. Elle espère qu'il est heureux de la vie qu'il mène en tout cas. Même s'il retrouve contraint de venir boire quelques bières alors qu'il préférait être chez lui. Il y a pire comme contrainte, non ? A moins que ça ne soit l'endroit en lui-même qui lui pose problème. Tsuki en était d'autant plus compréhensive.
Son être entier s'agite à l'évocation que cet emploi soit le sien de manière habituel.
- Oh non...pas du tout. En fait c'est mon premier soir ici.
Elle sent le besoin de se justifier. Car il vient de lui dire qu'il est employé de banque...Son évolution personnelle lui paraît beaucoup moins reluisante. Si cet endroit faisait parti de son quotidien il est possible qu'elle ne se serait pas aventurer à lui demander ce qui l'occupait lui. Terrain beaucoup trop glissant.
- Je suis aide soignante à l'hôpital mais...je fais quelques extras à côté pour mettre un peu d'argent de côté. Ce n'est pas idéal mais ça paye plutôt bien ici.
C'est la seule raison de sa présence. Sans quoi elle aurait déjà prit ses jambes à son cou depuis longtemps ! Il doit le voir de toute manière. A quel point elle se sent mal dans cette robe. Les autres serveuses se déhanchent avec voluptés sur leurs talons. Ses chevilles se seraient déjà brisées sous l'effort. Dans ses baskets blanches qui lui ont valut des remarques désobligeantes elle regarde les autres d'en bas. Il y a fort à parier que l'essai ne se transformera pas. Elle n'est pas sure d'en être triste. Des emplois du genre il y en a d'autres. Elle arrive toujours à se débrouiller.
La demoiselle pose à nouveau ses yeux sur le garçon qui lui fait face, pleine d'admiration. Au moins cette soirée n'aura pas été qu'un profond brouillard. Cette conversation, même si elle ne dure que quelques minutes lui permet de voir une éclaircie dans la nuit qui tombe sur la ville.
- Je pense que je ne serai pas prise mais ça m'a permis de te revoir. C'est toujours un plaisir d'avoir des nouvelles d'anciens camarades ! Le temps passe tellement vite.
Parfois il lui semble qu'elle est déjà vielle. Au lieu d'être derrière ce bar à trimer pour au final ne même pas vivre, elle préférai faire comme les autres gens de son âge. Elle préférai partir en courant pour aller danser et s'amuser. Ou bien elle préférai être comme lui, être assise à une table et rigoler avec ses amis. Son obsession pour l'avenir de sa sœur, l'instabilité des ces individus qui ses parents, l'âge grandissant de ses grand-parents… Tout ça la paralyse sur place. Elle guette avec inquiétude, comme si un séisme ou un ras-de-marrée s'apprêtait à fondre sur elle. Est-ce qu'il connaît ça, lui aussi ?
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Tu as l’air très admirative, tes yeux brillent lorsqu’il évoque son prétendu métier. Il s’entend parler, et il se trouve convaincant. Il y croirait presque lui-même. Il aimerait pouvoir y croire aussi fort que toi. Tu le félicites même. Pour faire passer son embarras pour de la modestie, il balaye tes compliments d’un geste de la main. Au fond, il commence à ressentir une pointe de culpabilité, de te tromper comme ça. Tu es tellement gentille, comment pourrais-tu douter de ce qu’il te raconte ? Ça faisait si longtemps qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un comme ça, qu’il avait presque oublié qu’une telle sincérité pouvait exister. Mais la sensation d’avoir de la valeur à tes yeux est beaucoup plus forte que la culpabilité. Et puis, c’est déjà trop tard pour revenir en arrière.
Il est surpris d’apprendre que tu débutes tout juste ton travail ici. Il ne s’en serait pas douté tant tu lui as semblé très professionnelle. Tu lui avoues ensuite que tu cumules plusieurs emplois, et Akinari sent bien que le fossé qui vous sépare est infranchissable. Tu fais tellement plus d’efforts que lui pour te construire une vie respectable, sans choisir la facilité. Alors que de son côté, il a déjà renoncé à tout ça. Mais il t’écoute quand même avec beaucoup d’attention, lorsque tu parles de toi. Ta dévotion a quelque chose d’hypnotisant. Il se demande d’où tu tires tout ton courage, car le sien l’a quitté depuis bien longtemps. Ou du moins, c’est ce qu’il préfère penser.
Il aurait pu sourire en t’entendant dire que le revoir t’a fait plaisir, mais ton air préoccupé l’en empêche. Il croit voir un peu de nostalgie dans tes yeux, le temps d’une seconde. Tu ne penses pas être à la hauteur de ce travail, pourtant Akinari n’est pas du même avis. Tu fais même trop bonne impression par rapport aux standards de ce genre d’établissement. Est-ce que tu t’en rends compte ?
- Ah oui ? Je trouve que tu te t’en sors bien, pourtant. Est-ce que tu dis ça à cause de ce qu’il s’est passé tout à l’heure ? Je regrette vraiment…
Pendant une seconde, il songe à te proposer son aide. En allant discuter avec ton patron, il pourrait peut-être faire en sorte que tu décroches ce job. Avec un peu de chance, il le connait déjà. Mais ce ne serait pas cohérent avec l’identité qu’il t’a montré, alors il se ravise. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas plus mal, même pour toi. Tu ne sembles pas non plus très enthousiaste à l’idée d’avoir un travail comme celui-ci. Il peut le comprendre. Ta première soirée n’a pas été idéale.
- Mais, j’imagine que ça ne doit pas être facile de cumuler plusieurs emplois. J’espère que tu arrives quand même à trouver un équilibre dans tout ça.
Travailler à l'hôpital, il trouve que c'est quelque chose qui te correspond. Même s’il ne connaît pas bien la personne que tu es devenue aujourd’hui, cela lui semble naturel. Alors que te voir travailler ici, un peu moins. Mais au moins, ça vous a permis de vous retrouver.
- Moi aussi je suis heureux que l’on se soit croisé. J’ai bien fait d’accepter de venir ici ce soir, je crois. Pour être honnête, c’est la première fois que j’ai l’occasion de retrouver quelqu’un du lycée, je n’avais gardé contact avec personne. C’est étrange, ça me donne l’impression que tout ça, c’était hier. Tu as toujours des nouvelles de certains, toi ?
Tu as raison, le temps est vraiment vite passé. Et parfois, on a l'impression qu’il nous échappe un peu, non ?
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- Oh ! Pas seulement...Je ne sais pas si tu as remarqué mais je ne suis pas vraiment le « genre de la maison ». Je pense qu'on m'a engagé parce qu'ils manquaient vraiment de mains pour ce soir.
Pas le genre de la maison. En disant cela, son corps s'est penché par dessus le bord, comme si elle lui disait un secret. Alors qu'il n'y a personne à proximité qui aurait pu entendre le moindre mot. Par « le genre de la maison », elle parle bien sûr de ses plantureuses collègues.
Lorsqu'Akinari parle d'équilibre, Tsuki sens son estomac se tordre. En équilibre elle l'est. Comme une funambule elle avance sur son fil. Si fin. Si fragile. Dans un équilibre plus que précaire. Et si quelqu'un soufflait un peu trop fort, elle pourrait basculer. Sauf qu'elle est à peut prêt sûre qu'il n'y a pas de filet de sécurité. Que répondre à ça ? Bottant en touche, elle se contente d'hausser les épaules avec un sourire. Elle ne fait pas la fausse prétentieuse à dire que ce n'est pas si difficile que ça, alors que ça l'est. Elle n'a simplement pas envie qu'il la prenne en pitié.
- J'ai gardé quelques contacts oui. Et j'ai croisé Shizue Ootomo il n'y a pas si longtemps que ça...je ne sais pas si tu te souviens d'elle.
C'est la deuxième personne qu'elle recroise en peu de temps. Drôle d'été. Est-ce qu'il y a d'autre surprises qui l'attendent encore au tournant ? Si elles sont aussi agréable cela lui convient. Ces rencontres inattendues la font renouer avec une période un peu plus douce.
Il a l'air nostalgique lui aussi. Après son départ soudain et vu la façon dont les gens ont parlé de lui, il n'est pas étonnant qu'il n'ai gardé de contact avec personne. Ça doit être difficile. Elle espère de tout coeur qu'il avait des amis, ailleurs, pour l'entourer à cette période. Même s'il a su bien rebondir vu sa situation.
Les lèvres pincées, elle hésite. Est-ce qu'elle peut ?
- Si tu veux...Une prochaine fois on pourrait aller -
- Ohno !
La voix du patron lui glace le sang. Immédiatement elle se redresse et fait un peu en arrière. Comme une enfant prise en faute. Il vient se place juste à côté d'elle, l'écrasant par sa présence. Il se penche assez prêt pour qu'elle sente son haleine brûlante et légèrement alcoolisée qui lui fait plisser le nez.
- Je ne te payes pas pour discuter.
Il ne parle pas assez fort pour qu'Akinari n'entende, mais le ton est assez ferme pour qu'elle comprenne l'avertissement. Il se tourne ensuite vers le client, lui offrant son plus beau faux sourire de complaisance. Dans un même temps il saisit son plateau et le refourgue dans les bras de Tsuki. Derrière le bar discrètement il lui fait également signe de s'en aller. Les doigts de Tsuki tiennent un peu trop fort le plateau. Morte de honte, la jeune femme jète un dernier coup d'oeil à Akinari avant de déguerpir.
- Monsieur. Excusez ma serveuse, elle débute ce soir, elle a encore quelque difficultés avec les appareils.
Elle n'ose même pas jeter un œil en arrière. Elle se dirige vers une table qui vient de se libérer pour débarrasser. Bon sang ! Elle se fiche un peu de ne pas être prise. Mais on ne peut pas dire qu'elle apprécie de se faire taper sur les doigts en public. Une fois son plateau plein elle ramène le tout à la plonge. Quand elle se retourne elle manque de pousse un cri en se retrouvant face à son employeur à nouveau. Il la fixe, en soupirant.
- Ecoute je pense qu'il vaut mieux que tu arrêtes là. Tiens voilà ta payes, et rentre chez toi.
Il lui saisit le poignet et dépose plusieurs billets dans sa paume. L'équivalent de la paye dont ils avaient convenus. Sa relation client n'est pas à son goût. Elle pouvait discuter. Mais à condition de faire consommer. Evidemment. Très bien.
- Je vous ramènerai la robe nettoyée.
- Garde là. Elle est trop petite, elle ne va jamais à personne.
Sans un mot de plus il tourne les talons pour s'en aller. Au delà du geste de lui offrir cette robe qu'elle ne remettra certainement même pas, Tsuki y voit une remarque à peine dissimulée sur son physique. Quel goujat. Vexée, énervée et un peu déboussolée elle va récupérer son sac et s'empresse de quitter le bar. L'air frais de la nuit est accueillis comme si elle respirait pour la première fois.
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Tu essaies d’être discrète lorsque tu lui confies que tu ne te sens pas vraiment à ta place ici, comme si ça ne crevait pas déjà les yeux. Mais Akinari joue le jeu, il se rapproche aussi pour t’écouter et il fait même semblant d’être un peu étonné par ce que tu dis. Oui, bien sûr qu’il a remarqué. Il n’a même pas eu besoin de regarder les autres serveuses pour ça, il a déjà vu tellement de bars comme celui-ci. Mais il fait quand même mine d’y réfléchir un instant, avant de hocher la tête pour montrer qu’il respecte ton ressenti.
Sa cigarette se termine lorsque vous reparlez de vos vieilles connaissances. Il l’écrase dans un cendrier posé sur le comptoir près de vous, alors qu’il t’entends prononcer le nom d’une autre de vos anciennes camarades. Il n’est pas sûr de réussir à remettre un visage dessus, mais il sonne quand même familier à ses oreilles.
- Je crois. Mais je ne me souviens pas très bien.
Peut-être que s’il la revoyait, la mémoire lui reviendrait, comme cela s’est passé avec toi. Mais juste avec ce nom, il est incapable de savoir s’il a envie de la recroiser. Ce n’est pas le cas pour la majorité de ceux qu’il a côtoyés à cette époque-là.
Et alors que tu sembles sur le point de lui proposer quelque chose, tu es interrompue par la voix fulminante de ton patron qui s’apprête à te faire des reproches. Il a l’air de t’impressionner. Akinari reste interdit devant cette scène, et frustré que tu n'aies pas pu terminer ta phrase. Lorsqu'il se retourne vers lui, le patron lui offre son plus beau sourire commercial et des excuses creuses. Il ne reçoit en retour qu’un regard glacial. Toi, tu t’es déjà éloignée.
Akinari ne répond rien, parce qu’il sait qu’il doit se tenir à carreau ici. Si les choses s'enveniment, le patron pourrait appeler la police. Ces temps-ci, la situation des yakuzas est trop délicate pour qu’il puisse se permettre de se faire remarquer. Ça ne vaut pas le coup de s’attirer des ennuis pour un patron tyrannique, parmi tant d’autres.
Alors il est en chemin pour aller se rasseoir, lorsque qu’à nouveau tu fais face à ton patron, qui cette fois te congédie sans délicatesse ni formalité. En voyant votre échange, Akinari s’agace de la façon dont il te traite.
Dis quelque chose. Allez. Ne le laisse pas te parler comme ça. C’est tellement rageant. Il sait qu’il aurait fait pareil à ta place.
Et tu disparais sans un regard de plus. Akinari ne laisse pas paraître son irritation envers le patron, à la place ses pas le portent lui aussi vers la sortie. Il se surprend lui-même à vouloir te rattraper. Il ne devrait pas. Mais s’il ne le fait pas tout de suite, tu vas disparaître pour toujours. Il n’a pas le temps de réfléchir. Au fond, il a envie de te revoir. Il n'a pas envie de perdre ce lien avec le monde réel. Le sien lui semble si étranger. Il te retrouve là, sur le pas de la porte, dans la nuit colorée et bruyante d’Uzume.
- Ce patron était une ordure. Je suis désolé, je n’ai fait qu’empirer la situation.
Décidément c’est quelque chose de récurrent dans sa vie. À croire qu’il porte la poisse, ou peut-être qu’il provoque la malchance.
Il n’est pas sûr de ce qu’il doit faire car il n'avait pas prévu que les choses se passent comme ça. Il finit quand même par sortir maladroitement un papier et un stylo de sa veste, pour y griffonner rapidement ses coordonnées. Pas d’adresse, mais son nom, et un numéro de téléphone.
- Voilà. Je crois que tu voulais dire quelque chose, tout à l’heure. On pourrait en rediscuter, un autre jour.
Il te tend le papier, sans s’éterniser ici. Tu dois avoir envie de rentrer chez toi, et de son côté il ne voudrait pas que son absence se fasse trop remarquer.
- Je dois y retourner maintenant. Bonne nuit malgré tout.
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Ses yeux sont encore plongés sur l'écran quand la voix d'Akinari la tire de sa concentration. Elle sursaute légèrement lui faisant face. Il commence par injurier son employeur. Elle peut difficilement lui donner tord sur ce point. Un peu gênée, néanmoins, elle lui offre un sourire rassurant.
- Ne t'excuse pas. Je vais pouvoir rentrer chez moi un peu plus tôt comme ça !
Inutile qu'il s'en veuille pour ça. Elle a voulu tenter l'expérience. Mais finalement, elle préfère travailler deux soir en Konbini plutôt que deux heures de plus dans cet endroit. Elle n'est pas encore prête à faire tous les sacrifices pour quelques billets supplémentaires. Avec un peu de chance, elle ne se retrouvera jamais dans une situation où elle y sera contrainte.
Elle le regarde sortir un papier et écrire dessus. Quand elle le récupère entre ses doigts, la demoiselle le fixe avec des yeux étonnés. Il s'empresse ensuite de la saluer. Il a l'air de devoir retourner rapidement à l'intérieur. Ces amis lui ont sans doute fait une remarque.
- Bonne soirée !
Sans pouvoir dire quelque chose de plus, Tsuki le laisse repartir. Pendant quelques instant encore, elle reste là, à regarder ce bout de papier. L'écriture est bancale, le papier un peu froissé. Pourtant ça lui paraît être comme un trésor. Toute sourire, elle se dirige tranquillement vers son arrêt. Une fois assise dans le bus, ses billes noirs reviennent à nouveau sur le papier.
Tandis que le véhicule se met en route, elle sort son téléphone pour enregistrer le contact. Elle range précieusement le papier malgré tout. Doit-elle lui écrire ? Pour qu'il ai son numéro également ? Ou peut-être lui a-t-il donner par politesse. Seulement, une petite voix lui murmure à l'oreille. Et toi ? Que désires-tu ? Ses dents mordillent nerveusement sa lèvre inférieure.
Suite une ultime once d'hésitation, elle finit par pianoter sur son écran pour écrire un message.
« Si jamais tu veux aller boire un verre ou simplement te promener, et discuter un peu… N'hésites pas à me faire signe. Profite bien de ta soirée. »
Elle signe de son prénom.
C'était ce qu'elle voulait lui proposer avant que ce cher patron ne vienne jouer les troubles fêtes. Ils parlaient pourtant bien. Elle commençait même à être à l'aise. Un exploit vue la situation. Et la connaissant également. Il pouvait bien refuser, évidemment. Mais ça lui ferait peut être plaisir de pouvoir évoquer quelques souvenirs communs, ou simplement prendre le temps de parler un peu plus. Il n'est jamais mauvais d'élargir son cercle de connaissance. Ça ne lui ferait pas mal.
Tsuki imagine un moment plaisant et en toute simplicité. A son image sans doute. Elle ne savait pas faire semblant de toute manière. On lui dit que c'est pour une des raisons pour lesquelles on l'apprécie. Akinari semblait sincèrement heureux de revoir une ancienne camarade. Alors, ils pourraient certainement se revoir.
Mais pourquoi est-ce que son coeur bat aussi fort lorsqu'elle clique sur envoyer ?