Quelques jours sont passés depuis que je suis venue crécher chez Kimiko pour les deux semaines à venir. J’ai beaucoup cogité par rapport à notre discussion du premier soir. J’ai envie de l’aider à s’épanouir sans devoir se cacher éternellement mais je ne pense pas être la mieux placée à vrai dire pour cela. Je ne peux que lui donner quelques conseils pour éventuellement se déguiser. Ah, j’aurais aussi pu lui dire que quand elle rencontre des gens ou qu’elle veut commencer une amitié, de se fabriquer un nouveau nom avec une nouvelle histoire. Mais ça, je pense qu’elle le sait déjà au fond d’elle. Comment pensez-vous que j’ai réussi à me frayer un chemin à travers les radars de ces cloportes de journalistes ? Bien sûr que je me suis inventée une nouvelle histoire de vie. La plupart des VIP ne voulant pas que l’on interfère avec leur vie privée font ça. Enfin bref, parce que mon état mental commençait mine de rien à aller un peu mieux, j’ai décidé d’aller faire quelques courses pour préparer le repas, et sortir pour prendre l’air. En remerciement.

Je suis sortie de l’appartement avant que quiconque ne s’aperçoive de ma « disparition » parce que c’est comme ça que je fonctionne. J’ai toujours été un oiseau de nuit indépendant qui voulait faire que ce dont elle avait envie. Trainer dans les rues alors que le jour se lève à peine, ne voir personne pendant quelques heures, me permettant ainsi de ne pas avoir besoin de me déguiser tout de suite. Je ne sais pas trop ce que je pourrais faire comme repas, je ne suis pas hyper douée comme l’était mon époux. J’ai bien essayé de prendre quelques cours, afin de dire que je ne suis pas trop nulle mais je ne sais pas. Il faut que je trouve une recette facile à faire, que je ne devrais pas rater. Je… Je me rendrais ensuite pour la première fois depuis qu’il est décédé sur sa tombe. Je peux bien partir quelques heures, on m’oubliera forcément à un moment donné.

Je m’arrêtais dans un konbini après avoir revêtu mon déguisement du jour pour ne pas être trop reconnaissable. Déjà, j’évite tous les endroits où je pourrais tomber sur Ryo et Hayato. Bon, ce n’est pas trop le quartier de Ryo puisqu’il habite et bosse à Koyane mais Hayato vient souvent dans le district de Fujin donc je dois me méfier. En plus, c’est par là qu’il y a le cimetière où l’on a enterré Magoichi ; près du sanctuaire principal. Je finis par acheter de quoi grignoter avant de repartir silencieusement, discrètement. Je me dirigeais vers le cimetière en question, une certaine boule au ventre. Est-ce que des personnes sont venues sur sa tombe ? Je n’ai pas souvenir que mon époux m’ait parlé d’une quelconque famille ou d’un frère. Serais-je sa seule famille ? En arrivant, la tombe était propre et il y avait même des fleurs. Étant donné que je ne suis pas venue depuis son décès… Je me demande qui a bien pu passer avant moi ? Enfin, ce n’est pas grave. Merci la personne mystérieuse. Je finis par m’asseoir devant sa tombe, les larmes se remettant à couler indubitablement.

Tu me manques Mago. Tu me manques terriblement et je ne sais pas quoi faire pour remonter la pente. T’es parti trop tôt… On sait tous les deux que ce n’était pas un banal accident. Je te promets que je retrouverais les coupables. Quitte à retourner le pays entier, à aller en Chine de là où tu es né, je retrouverais ces fumiers qui t’ont ôté la vie. Ta mort ne restera pas impunie, je te le promets. Tu le sais que j’ai de la ressource pour entreprendre ce genre d’enquête. Tu ne seras jamais en paix tant que je n'ai pas pu élucider ce mystère et j’en suis désolée.

Je restais quelques heures sans doute, je n’ai pas vu le temps passer si ce n’est que le soleil commençait à être haut dans le ciel. Je dois passer au supermarché pour acheter de quoi faire à manger. Et je dois passer chez moi pour récupérer du tissu… En fait, je ne suis plus sûre d’avoir envie de coudre. J’ai balancé ça comme ça mais en réalité, je ne suis pas prête à reprendre une aiguille. Une toute petite voix au fond de moi me hurlerait de vouloir me faire du mal avec ça. Soupirant, j’essuyais mes yeux rouges avant de remettre des lunettes de soleil et me diriger d’un pas lourd vers un supermarché. Je n'aurais peut-être pas dû me rendre sur sa tombe. C’est plus dur que je ne le pensais. Je finis par arriver au supermarché où je prenais des trucs un peu au hasard. Faire un curry ne doit pas être si difficile que ça. Ce n’est que de la viande avec des oignons et du riz. Puis, je peux aussi prendre de quoi faire des ramens au porc. Des trucs faciles à cuisiner normalement.

J’ai acheté un peu trop de trucs je crois en fait… Je ne me suis pas vu faire, j’ai empilé dans mon panier… Bon tant pis, ça fera des restes que l’on pourra manger pendant un ou deux repas. Je finis par rentrer avec toutes mes courses, aussi silencieusement que j’étais sortie. Kimiko n’a pas l’air d’être là, je ne l’ai pas vu en rentrant. Quant à Yuma, il n’a pas l’air de m’avoir vraiment vu donc tant mieux. Je me dirigeais vers la cuisine pour commencer mon œuvre. Je commençais par couper la viande. J’ai regardé pleins de fois mon mari faire, ça devrait aller. Bon… ce n’est pas coupé hyper bien au carré mais on va dire que ça va le faire. Les légumes ensuite ! Je taillais la carotte et la pomme de terre, enfin… j’essayais. C’est les doigts que je me suis taillée plus que les légumes. Une fois que les légumes et les doigts sont bien coupés, je nettoyais les légumes en les passant sous l’eau avant de les mettre dans une casserole avec de l’eau. Je crois je dois les faire cuire un peu d’abord avant d’ajouter la viande.

En attendant que cela cuise, je préparais la pâte à curry, prête à l’ajouter dès qu’il le faudrait. On va encore me demander ce que j’ai fait, avec les doigts bandés mais je m’en fiche tellement. La recette est plus ou moins dans ma tête donc je fais un peu au pif alors que je prépare en même temps du riz et des ramens. Ça a l’air de ressembler plus ou moins à quelque chose, tant mieux. Alors que tout commençait à cuire dans les casseroles, une malheureuse envie de vider mes tripes se fit ressentir et j’abandonnais le tout pour me précipiter aux toilettes. Une odeur de brûlée se fit sentir quelques longues minutes plus tard alors que je venais à peine de sortir des toilettes, l’estomac un peu moins barbouillée.

« Yabe ! »

Je retournais à la cuisine, un sourire un peu gêné alors que je vis Kimiko.

« Désolée… je voulais tenter de cuisiner haha… »

Je pensais que Kimiko aurait été grave en colère mais finalement pas vraiment. Elle se montre bienveillante alors que je ne le mérite pas vraiment et me donne même quelques conseils. Plus de sel, moins de sauce piquante et le tour aurait été joué ? Je pense surtout que cela n’aurait rien changé au fait que mon plat aurait été complètement immangeable mais bon. On va dire que c’est gentil à elle d’essayer de m’aider à me sentir moins nulle en cuisine. Je préfère nettement laisser cette compétence à quelqu’un d’autre. Moi je suis bonne en musique et en couture, cela s’arrête là. Je sais bien qu’il faudra que je tente de cuisiner pour mon futur enfant mais au pire, je pourrais toujours prendre un cuisinier. Pour l’instant, je me contente d’avoir Hayato qui fait super bien à manger. Comme ça, je n’ai pas besoin de mettre les pieds dans la cuisine. Donc aucune raison finalement que je fasse à manger quand d’autres le font tellement mieux que moi.

Je suis plutôt surprise quand la jeune femme me propose que l’on cuisine ensemble car il me reste encore pleins d’ingrédients et que comme ça, elle me montre faire. Oui pourquoi pas mais je pense tout de même que ça risque d’être un carnage sans nom…

« Ou… Oui d’accord… Dis donc, tu n’as vraiment pas peur que j’empoisonne tout le monde dans cette maison ? Même Hayato me supplie de ne pas mettre un seul pied dans la cuisine. »

Et ce n’est pas sans raison. Enfin, j’hausse simplement les épaules et me contente de suivre ses directives non sans mal puisque je ne suis pas très douce avec un couteau dans les mains. Je suis douce avec du tissu et une aiguille, avec mes instruments mais avec un couteau… Absolument pas, c’est tout le contraire même. Quand je disais que j’étais un désastre en cuisine. Ce n’est pas que je manque de confiance en moi, c’est un fait avéré.

Même pas en colère, au contraire, elle veut que l’on cuisine ensemble. Intérieurement, je fis la moue car il n’y a pas à dire, je préfère qu’on me fasse à manger que d’essayer moi-même vu le désastre que j’ai laissé derrière moi encore aujourd’hui en voulant tester. C’est du gâchis de nourriture par pur égoïsme en plus de ça. Enfin, je me contentais d’hocher la tête et prendre le reste de mon échec pour le mettre à la poubelle et nettoyer le plan de travail et autres ustensiles nécessaires à notre préparation. Sous la direction de Kimiko, bizarrement, tout allait plus vite. Finalement, c’est bien d’avoir un espace propre. La viande, les légumes, le riz, les nouilles et tout ce qui concerne l’assaisonnement se trouvaient devant nous, sur un plan de travail immaculé comme jamais. C’est bien gentil maintenant mais je suis censée faire quoi avec ? La nervosité me gagna rapidement en prenant un couteau en main, répondant légèrement au sourire lumineux que m’offrait Kimiko.

La jeune femme semblait tellement dans son élément, contrairement à moi et quelque part, cela me rendit un peu jalouse. Je la regardais mettre l’eau à bouillir pour le riz avec un peu de sel. C’est la première fois que je vois cette méthode. Magoichi avait l’habitude d’utiliser notre rice cooker. En fait, toutes les personnes qui ont cuisiné pour moi, utilisait un rice cooker pour faire cuire le riz. A ce qui parait, c’est plus pratique car même si tu oublies le riz, ce n’est pas grave. Quand il a fini de cuire, il passe automatiquement en maintien au chaud. C’est vrai que c’est pratique ce genre d’engin. Est-ce que ça serait un cadeau à offrir à mon amie pour son anniversaire ou pour noël, pour lui faciliter la vie ? Elle me sortit de ma rêverie en m’expliquant que le riz allait mettre du temps à cuire et que c’est pour ça qu’elle a préparé l’eau salée en premier. Toujours saler dans l’eau de cuisson pour éviter d’en rajouter à table. Hum, je vois. Je ne suis pas très sel donc je me fie à ses conseils. Fin, je suppose que ce doit être bon, même si on ne met pas de sel dans l’eau de cuisson. Je n’en sais rien, en vrai, je n’y connais rien.

Place à la préparation du curry ensuite. Il faut que j’épluche et coupe les oignons et carottes pendant qu’elle s’occupe de la viande. Oui d’accord… J’essaie d’assimiler toutes les informations qu’elle me donne. Couper les oignons petits, éplucher les carottes parce que la peau ce n’est pas bon pour la santé puis les couper en rondelles. Wait ! Mon cerveau il part en vrille là. Je la regarde avec de grands yeux avant de prendre mon menton d’une main, comme si j’étais en train de penser.

« Hum oui, je pense que ça devrait aller… »

Je remerciais Kimiko pour la planche à découper et les légumes. Je pris d’abord les carottes, ces longs trucs orange et commençais à couper les extrémités. Ne sachant pas trop où je devais couper, je coupais au plus proche de l’extrémité et épluchais ensuite avec un épluche-légumes. C’est fascinant comme c’est pratique ce genre de petit outil. Cependant, s’il est bien aiguisé, on peut facilement se couper. Il faut faire super attention. Bon, je connais ça avec mes outils de stylisme. Les ciseaux de couturier sont également très aiguisés. Il le faut pour qu’ils puissent couper toutes sortes de tissus. Ne sachant pas si je devais faire des rondelles épaisses ou pas, je commençais à les couper un peu aléatoirement.

« Au fait, quelle épaisseur les carottes ? Comme ça c’est bon ? »

Lui montrant mes rondelles pas vraiment de la même épaisseur. Concentrée sur ma besogne, je fis au mieux pour ne pas faire un désastre avec les légumes. Est-ce que ça me plait réellement de faire ça, de cuisiner ? Je ne sais pas trop. J’ai toujours préféré manger que cuisiner. Après tout, tu passes dix ans en cuisine pour préparer et finalement tu t’aperçois que tu engloutis ton repas en moins de deux… Ce n’est pas juste pour le cuisinier. Je mis plus de temps que prévu pour couper mes carottes. Je passais ensuite aux oignons. Il n’y en a que deux, ça devrait aller vite. Genre confiante dans ce que je fais, j’épluchais tranquillement les deux oignons, avant de passer à la découpe et là… Je commençais à renifler. Purée, on ne m’avait jamais dit que les oignons c’était mortel ! Les larmes commencèrent à couler le long de mes joues, mon nez me piquant comme jamais. De ce fait, j’eus du mal à couper les oignons correctement n’y voyant plus rien avec les larmes dans les yeux. Quand Kimiko se tourna vers moi pour me demander si j’avais fini et si on pouvait continuer, je la regardais avec un mélange d’indignation et de tristesse en même temps.

« Tu ne m’avais pas dit que les oignons, ça faisait pleurer ! Je ne veux plus jamais couper d’oignons de ma vie ! »

J’ai l’air d’une conne alors que l’odeur me pique toujours autant le nez et les yeux. Et en plus, ça me rappelle quand… je me moquais de mon homme parce qu’il avait les larmes aux yeux après avoir coupé des oignons. Quand je disais que c’était mortel ce truc. Et erreur de débutante, voulant me débarrasser de ces larmes, je touchais mes yeux avec des mains pleines de bactérie d’oignon alors ça piqua encore plus et ça me fit pleurer encore plus !

« J’crois continue sans moi. Je vais juste me contenter de regarder. Je reviens… »

Ça vaut mieux. Je finis par aller à la salle de bain pour me rincer les mains, me moucher tout ce que je pouvais. Faire partir cette odeur le plus rapidement possible. Oignons à la noix, vous êtes mon ennemi à partir d’aujourd’hui. Après de longues minutes à calmer ces larmes – il semblerait que les hormones se soient aussi invitées à ce petit jeu de la torture, je finis par retourner dans la cuisine et simplement regarder Kimiko finir la recette.

« J’ai raté quoi du coup ? »

Les mauvaises expériences me font juste perdre foi en la cuisine ; ça s’est encore avéré aujourd’hui. De toute manière, je m’en fiche un peu. J’abandonne sans doute un peu trop facilement mais ce n’est clairement pas une discipline pour moi. Il y a des gens qui sont bons et d’autres qui ne le sont pas ; il faut de tout pour faire un monde comme qui dirait. Comme le tout est en train de cuire, je pris de quoi mettre la table pour avancer un peu la jeune femme.

« Et très sincèrement Kimiko, ne t'en fais pas, je m'en fiche complètement de ne pas savoir réellement cuisiner. Je voulais essayer mais ce n'est clairement pas pour moi. Il faut savoir reconnaitre ses forces et ses faiblesses après tout. »

La jeune femme n’avait rien redit par rapport à mon découpage de carottes, au contraire, ça avait l’air de lui aller. Pourquoi s’excuser tout le temps ? C’est juste moi qui ai été débile d’avoir touché mes yeux alors que j’ai coupé des oignons et que je ne savais pas l’effet que ça pouvait avoir. C’est moi qui suis un peu stupide pour avoir oublié qu’il fallait éviter de se toucher les yeux quand on coupe des oignons parce que ça pique encore plus. Je suis ensuite revenue et Kimiko m’expliqua ce qu’elle avait fait. Le riz était en train de cuire, les légumes et la viande aussi. Je fronçais légèrement les sourcils quand elle m’expliqua qu’elle voulait faire ça avec moi. Ce n’est pas le contenu de ses paroles mais plutôt le ton qu’elle a pris. Pourquoi elle se sent coupable ? Elle n’a pas à se sentir coupable pour mes talents désastreux en cuisine !

« Il ne faut pas te sentir coupable de ne pas avoir réussi à me faire cuisiner hein… Ça fait des années que je ne cuisine pas Kimiko. J’ai essayé pour te faire plaisir et te remercier de m’héberger mais ne te sens pas coupable pour moi et mes talents désastreux voyons. De même que je ne me sens aucunement coupable pour ce désastre culinaire. »

Elle va m’énerver si elle commence à culpabiliser de la sorte. Je finis par m’assoir sur une chaise pas très loin pour quand même suivre un peu ce qui se passe. Et voilà que Kimiko en remet une couche. Je ne vais quand même pas l’engueuler, si ? Mieux à faire ? Si c’est fumer ou pleurer toute seule dans mon coin, alors non, je n’ai rien de mieux à faire que de la regarder cuisiner. J’ai juste l’impression de vivre un peu hors du temps. Tout s’est arrêté d’un seul coup et c’est comme si le temps s’était arrêté depuis cette journée-là. J’erre ci et là sans réellement savoir ce que je fais ici. Ça ne fait que quelques jours mais je crois que j’ai déjà envie de rentrer chez moi. Je ne veux pas m’imposer trop longtemps ici. Kimiko a sa propre vie, j’ai ma propre vie après tout. Je finis par me lever pour mettre la table pendant qu’elle finit de préparer le repas. Je peux au moins faire ça pour elle.

« Je te remercie de nouveau de m’avoir hébergé Kimiko. Je sais que cela ne fait que quelques jours mais je crois que mon chez moi me manque tout de même… J’ai envie de rentrer chez moi… Même s’il n’est plus là. Désolée, c’est un peu égoïste. »

Après tout, j’ai toujours été égoïste, ce n’est pas comme si je changeais réellement de caractère.

------------------------------

Je restais encore quelques jours, me sentant un peu coupable finalement de laisser mon amie alors qu’elle m’a si gentiment hébergé. Et finalement, je fis mes bagages, quittant cet endroit plus chaleureux que ma maison. Enfin, cela reste quand même mon amie donc ce n’est pas comme si je partais bien loin. Je retourne juste chez moi, ça ne changera pas notre relation et le fait qu’elle a pris soin de moi ces derniers jours. Un de ces quatre, ce sera à moi de prendre soin d’elle quand elle aura des problèmes.