Et comme un papillon qui s’approche trop près de la flamme, tu virevoltes dans le quartier fantôme, prêt à te brûler les ailes.

On ne peut pas dire que tu n’as pas été prévenu. Les affiches placardées en face de la librairie, les tracts distribués à la gare, tout aurait dû te mettre sur la voie, mais comme d’habitude, tu n’y as pas fait attention, parce que tu as mieux à faire qu’à lire les choses futiles affichées dans ta ville, parce que tu es trop absorbé par ta misérable vie pour prêter attention à celles de tes concitoyens.

Je pense que si tu avais été plus jeune, plus optimiste, blindé d’idéaux en tout genre et entouré par les bonnes personnes, tu aurais participé à cette manifestation anti-yakuzas. Le destin en a fait autrement, détenteur d’un humour hors du commun, décidé à lancer les dés avec une folie destructrice, réunissant tous les acteurs nécessaires pour un exceptionnel spectacle, qui vous   coupera     le       souffle.

Tu te réveilles dans les draps de quelqu’un d’autre, dans un appartement qui n’est pas le tien, dans un quartier silencieux où la tension écrase tout. Le regard fiché dans le plafond à la peinture écaillée, tu restes immobile quelques secondes, identifiant une respiration à tes côtés, et tu laisses échapper un soupir. Tu te dis que tu aurais dû partir dans la nuit, disparaître sans qu’elle ne s’en rende compte, mais Morphée a préféré te garder dans ses bras, alors maintenant, tu en subis les conséquences.

Le plus discrètement possible, tu t’extrais du lit et tu te mets en quête de tes habits. Le caleçon n’est pas bien loin, mais c’est comme une chasse au trésor qui te mène aux quatre coins de la pièce pour retrouver le reste, et, une fois habillé, tu avises la fenêtre entrouverte, échappatoire plus discret et moins labyrinthique qu’un appartement inconnu aux clés disparues.

Tu t’assures d’abord de ne pas être au cinquième étage, mais c’est une rue accessible qui s’offre à toi, certes parsemée de gens à l’air peu recommandable, mais une rue où tu peux atterrir sans te briser une cheville au passage.  Tu te réceptionnes sur le sol et tu te redresses comme si de rien n’était, juste à côté de deux autres personnes, à l’air encore moins recommandable, et en tournant la tête vers elles, tu vois

le barrage de police.

Tu clignes des yeux, reconnais la rue qui mène au district Uzume, par lequel tu avais prévu de passer avant de retourner à Inari, et dans ta tête c’est l’incompréhension totale. Que fait la police à Inazami, tournée non pas vers le quartier à risque, mais vers l’autre ? Que se trame-t-il de l’autre côté de la barrière ? Il n’y a rien, pour l’instant.

« Excusez-moi ? » Tendance suicidaire de ta part, Ashton. « Il se passe quoi ? »

Il s’agit seulement de savoir si le spectacle qui se prépare en vaut la peine.

Du froid. De la glace. Tu te forces à détourner les yeux du premier homme qui a pris la parole, l’attention vite attirée par le deuxième individu. Le ton est moins froid, mais les mots percutent un peu plus et tu le fixes un instant, te demandant s’il est en train de plaisanter ou pas. Le host club, sérieusement ? Tu ne peux t’empêcher de baisser les yeux sur tes habits, les trouvant simplement un peu froissés.

Tu ravales une remarque idiote, celles que tu préfères, évitant de flirter avec un éventuel yakuza et de te faire casser les dents la seconde qui suit, et tu hausses les épaules. « J’faisais que demander… » La mine presque boudeuse, tu te fondrais parfaitement dans le décor d’un bar à hôte, ça ne fait aucun doute. Tes mots marmonnés ont à peine le temps de sortir, et tes pieds n’ont que quelques pas à faire avant qu’un type qui te fout immédiatement les jetons arrive sur scène.

La folie t’a toujours captivé, mais l’imprévisibilité extrême de ceux qui ont perdu la tête te secoue du plus profond de ton être, alors tu t’y approches avec précaution, et tu ne sais parfois pas bien doser alors ton cœur s’accélère et tu pries pour ne pas finir poignardé dans un caniveau.

Alors, quand tu vois l’homme s’approcher, tu as un mouvement de recul, instinctif, parce que ton esprit te fait enfin comprendre que tu es à Inazami, et que quelque chose d’étrange flotte dans l’air, et que tu ne
 devrais
             pas
                    être
                               là.

Heureusement pour toi, l’un des deux mafieux s’occupe de la menace tandis que tu te recules presque nonchalamment jusqu’à l’immeuble derrière, y collant ton dos de façon presque instinctive, les yeux désormais rivés sur le pistolet que l’autre a sorti. Quelque chose se tord dans ton abdomen et tu regrettes soudainement t’être réveillé si tard. Non, tu regrettes même ne pas être parti avant. Et tu pourrais presque regretter avoir rencontré cette fille et l’avoir accompagnée chez elle. Tu regrettes beaucoup de choses et tu regardes autour de toi, cherchant un chemin pour retourner dans la sécurité de ton appartement insalubre. Malheureusement, tu ne connais pas bien le quartier, et tu n’as pas trop envie de passer par le barrage, à la vue de tous.

Alors, la tentation de sonner chez la jeune femme, ou même, d’escalader la façade pour revenir dans sa chambre ni vu ni connu, se fait de plus en plus forte. Et en même temps, il y a cette curiosité malsaine qui te pousse à rester, encore un peu, voulant écouter la réponse du passant étrange.