Comme un poids qui entraîne le cœur jusqu’aux entrailles.

Comme une fatalité désarmante qui fige et afflige.

Comme le ricanement des hyènes qui tournent autour de leur dernier repas.

Tu fixes un instant l’homme qui vient de signer ton arrêt de mort, avant de porter ton regard envahi par la panique sur les deux autres. Tu n’as jamais connu pareille terreur qu’à ce moment précis. A côté, l’attentat à Uzume te semble bien lointain, presque enfantin.

Tu ne sais pas si tu dois courir ou rester là, t’effacer, te rendre invisible contre le mur de cet immeuble qui, désormais, semble t’acculer alors qu’il t’offrait sa protection il y a encore quelques instants. De celui-ci s’échappe, dans le silence tendu, une sonnerie que tu mets quelques secondes à reconnaître, et dans un état second, tu te rends compte qu’il s’agit de ton téléphone portable que tu as sans doute oublié dans la chambre dont tu t’es enfui plus tôt, avant d’oublier aussitôt.

En fait, tu enregistres mal ce qui se passe. Les propos de l’autre sont cryptiques, et tout ce que tu as compris, c’est que tu allais soit mourir, soit t’en sortir avec blessures par balle – parce que ton esprit n’accepte pas la possibilité que tu puisses t’éloigner indemne. Dans quel monde repart-on sans une égratignure du district d’Inazami ?

Une supplication essaie de franchir tes lèvres, mais elle se retrouve bloquée en amont, la voix muette et la bouche entrouverte dans un masque comique de désespoir, et tu ne peux que voir l’autre sortir son arme. Tu te mets à trembler sans t’en rendre compte en le regardant ôter le cran de sécurité, et tu penses à ce que ça fera de mourir, et tu espères que ça sera rapide, et tu te demandes si quelqu’un préviendra ta mère.

Et puis, la bulle qui éclate au-dessus du diaphragme, et tu te remets à respirer. Peut-être qu’au final, tu ne vas pas crever tout de suite. Peut-être que ce ne sont pas de si mauvaises personnes, ces deux-là. Tu corriges immédiatement cette pensée naïve alors que celui qui semble être le garde du corps pointe son arme vers toi.

Tu te figes. Ton cœur est entraîné encore plus bas. Tu as l’impression de mourir. Tu te dis que tu vas mourir. (mais tu n’es pas encore mort, Ashton, alors respire un peu. respire. encore.)

Tu entends à peine les mots de l’autre. Tu ne vois que ce pistolet, le trou sombre qui te nargue, te promet une mort instantanée puisque pointée sur ta jolie caboche.

« S’il vous plaît. »

Cette fois, la supplication trouve son chemin, ta voix un filet frémissant, la gorge sèche et les yeux écarquillés, les mains tremblantes.

« Je vous en prie. »

Tu ne sais pas où te mettre. Tu ne sais pas quoi faire. Tu ne peux rien faire, Ashton, à part supplier pour ta vie.

Ta vie, contre tout.
Tiens, je ne te pensais pas si attaché à celle-ci. Quand as-tu arrêté de fantasmer sur ta propre mort ?

Le cœur est une pompe. Le cœur est innervé de toute part. Le cœur, s’il est trop sollicité, s’accélère, palpite, se serre, fait mal.

Tu as l’impression que tu vas mourir, et si ce n’est pas d’une balle dans la tête, ça sera d’un arrêt cardiaque. Tes mains tremblent devant toi, dans un geste vain de défense, et tu ne peux quitter des yeux l’arme qui te menace. Le sang qui bat à tes oreilles ne t’empêche cependant pas d’entendre un brouhaha croissant, effrayant, mais tu n’oses pas regarder plus loin, de peur que la balle jaillisse et qu’elle te prenne par surprise.

Et elle te prend quand même par surprise, une détonation qui te fait sursauter, ta vessie presque vidée sur place, et tu clignes des yeux, chassant les quelques larmes qui viennent les envahir. Ton cœur ne ralentit pas, semble même vouloir galoper encore plus, tandis que tu te tâtes le corps pour chercher une plaie quelconque, mais rien, même pas de douleur, alors tes yeux partent à la recherche d’une réponse, la trouvent trop facilement. Un homme gît sur le sol et tu le fixes quelques instants avant de regarder le tireur, qui n’est donc pas celui qui t’avait mis en joue, mais l’autre.

La gorge nouée, tu te rends finalement compte de l’origine du bruit qui enfle, s’approche, et tu ne vois plus le barrage de police, seulement des gens qui affluent en masse. La panique laisse son parfum envahir la rue, mais tu en es déjà complètement imprégné. Tu ne sais pas ce qui se passe. Tu ne comprends rien. Tu restes là, les bras ballants, toujours persuadé que ton heure est venue, parce qu’après avoir été menacé par une arme à feu, quoi de mieux qu’une petite foule pour se faire piétiner ?

Et pourtant, les deux hommes ne semblent pas être de ton avis, et tu sens à peine la main qui te tire, loin du bruit, loin des gens, et tes poumons prennent feu, tes jambes se fatiguent, l’oxygène manque à l’appel et tes muscles puisent dans les autres ressources jusqu’à ce que vous vous arrêtiez.

Plié en deux, tu essaies de faire entrer autant d’air dans tes poumons que possible, et ça te rappelle vaguement cette mésaventure grotesque avec Kyô, mais les souvenirs sont balayés par l’urgence de la situation, par la voix de l’homme qui résonne à tes oreilles, et tu fais quelques pas en arrière, les jambes vacillantes, jusqu’à ce que tu retrouves ton équilibre, risquant un regard en direction de tes deux compagnons. Tu te demandes s’ils ont vraiment l’intention de te sauver, ou s’ils t’ont embarqué pour une autre raison, parce que pourquoi s’encombrer de quelqu’un comme toi ? Mais tu hoches la tête à sa question, le fixant d’un air hébété, parce qu’ils ne t’ont pas tué, là-bas, alors pourquoi le faire après avoir couru comme des dératés pour échapper à une foule en panique ?

Le patron, tu sembles le comprendre, est celui qui a tiré sur l’hyène de tout à l’heure. Tu ne sais pas quoi en penser. Tu espères seulement qu’il ne change pas d’avis, d’ici là.

Un dédomma-quoi ? Tu lui lances un regard qui aurait pu être désabusé si ton cœur ne battait pas si rapidement.Tu ne sais pas si tu es encore paniqué ou si le soulagement vient chasser la peur. Peut-être que les deux cohabitent, parce que les mafieux semblent chercher la sécurité dans cet endroit abandonné, mais ne t’ont-ils pas également menacé ?

Heureusement pour toi, ton instinct reprend la main, ce même instinct que tu perds parfois, au détour d’une ruelle sombre, et qui revient en flèche dès que tu te fais frapper assez de fois pour vomir ton dernier repas. Alors tu ne fuis pas du côté opposé, tu restes avec ces mecs flippants. Et puis, la fin du mois risque d’être serrée alors tu auras bien besoin d’une poignée de billets en plus, je te l’assure.

Avec le sang qui bat à tes oreilles, tu n’entends presque pas ce bourdonnement entêtant, et tu n’y aurais pas prêté attention si le ‘patron’ n'avait pas fait la remarque. Mais tu n’as pas le temps d'y songer, préférant le suivre dans les escaliers, les jambes faibles mais continuant de te porter. Derrière toi, l’autre gars, celui qui t’a pointé le pistolet en pleine tête, mais tu essaies de ne pas y penser, tu compartimentes, tu gardes ça pour le psy que tu verras une fois que tu seras tiré d’affaire – si tu t’en sors, bien entendu.

Sur le toit, du vent. Beaucoup. Tu te sens comme une feuille accrochée à une branche déjà nue, menaçant de se faire emporter par les bourrasques. De là-haut, tout semble plus étrange, presque lointain. Tu te dis que ça doit être ce que ressentiraient les dieux de ce monde, s’ils existaient. Au-dessus des hommes et de leurs problèmes, tout semble plus distant, ce n’est plus de leur ressort.

Tu fixes la silhouette des immeubles environnants et tu ne t’approches pas du bord. Tu n’as pas envie de tomber, ni qu’on te tire dessus. Tu jettes un regard à l'autre et tu vois qu’il a les yeux fermés. Un sursaut dans ton cœur, et tu te demandes si tu pourrais le pousser. Il pourrait mourir dans la chute. Mais l’autre aurait le temps de réagir, de te tirer dessus, de te faire rencontrer la mort plus rapidement que prévu. Et puis, aurais-tu eu la force de le pousser du toit ? Tu serres les mains, des tremblements discrets les parcourant. Tu n’es pas assez solide, ni physiquement, ni mentalement.

Alors, à la place, tu essaies d’écouter. Il y a la clameur qui semble grossir, tout en restant atténuée par la hauteur et le sifflement répétitif du vent. Il y a toujours ce bourdonnement aussi, impossible à identifier, ni sa nature, ni son origine. Et ça n’apaise en rien la tension qui blinde tes muscles, ni ta panique sourde. Tu as envie de faire les cent pas, mais tes jambes ne te porteraient pas. Tu aimerais t’asseoir, mais si tes fesses touchent le sol, elles ne pourront plus le quitter. Alors tu restes debout, à une distance de sécurité des deux hommes et de la porte qui vous a conduit là, et tu attends le destin – ah oui, cette chose à laquelle tu ne crois pas.