Même dans le feu de l’action, Yū n’en n’oubliait pas moins où il se trouvait. Les rues Akai, connues pour être les plus malfamées du District, dans ces venelles où les agressions n’étaient pas rares, même aux yeux des moins avertis. À ce stade, il considérait néanmoins qu’il n’était pas plus en sécurité ici qu’ailleurs. S’enfonçant dans ce dédale de ruelles sans d’autre réelle idée que de suivre son intuition et se mettre à l’abri des tirs, il avait la conviction qu’on fomentait un nouveau plan dans l’ombre, maintenant que le barrage de police avait cédé.

Il ne faisait aucun doute que bon nombre d’entre eux se servaient des rues adjacentes comme des taupes dans leurs galeries, qui guettaient le moment opportun pour asséner un coup fatal à tous ces policiers, constituant la résistance majeure face au bon déroulement de leurs sombres desseins. D’une manière ou d’une autre, il fallait trouver un moyen de les saboter, tant que la bataille faisait rage. Ces ordures avaient déjà suffisamment fait de victimes.

Le détective remarqua que les rescapés de l’attaque - qui avaient comme lui choisi les rues adjacentes - trouvaient refuge dans les bâtiments, là où barricades et rideaux de fer affaissés étaient leur seule protection.

Au moins, ce n’était pas ici que les criminels pouvaient se fondre dans la masse.

Alors que le tumulte et les cris se faisaient plus lointains, le brun entendit des messes-basses non loin de lui. Fronçant les sourcils et ralentissant le pas pour mieux les discerner dans son souffle court, il aperçut à l’angle de la rue un groupe de trois hommes. À la distance où il était, il ne pouvait ni voir ni entendre grand-chose, mais il devina rapidement que ces lascars-là n'étaient pas de simples civils. Qu’est-ce qu’ils mijotaient ? Yū avait besoin d’en apprendre davantage, repérer un signe distinctif qui permettrait de les identifier rétrospectivement, et pour cela, il fallait qu’il s’approche.

La filature, ça le connaissait, mais il ne fallait pas exclure la possibilité d’être surpris par d’éventuels complices. De plus, il ne viendrait pas à bout de trois gaillards - probablement armés - à lui seul, donc il fallait qu’il reste caché, en fouineur entraîné qu’il était. Restant collé dos au mur, il attrapa son téléphone qu’il mit sur silencieux. Après avoir consciencieusement désactivé le flash de son appareil, il prit plusieurs photos avec agrandissement à intervalles réguliers, ce qui réduisait certes leur qualité mais qui pourraient peut-être permettre de servir dans une enquête ultérieure, et à la police.

Maintenant qu’il possédait une “trace” de leur apparence, il fallait qu’il écoute leur conversation. Pour l’heure, impossible de déterminer les intentions de ces hommes, mais à ses yeux Yū ne pouvait pas leur faire confiance. Au vu de leurs tatouages, il s’agissait bien de yakuzas.
Il aperçut une ou deux voitures garées en son sens dont il pourrait parfaitement se servir comme obstacle visuel entre lui et eux pour s’avancer en toute discrétion… Ce qu’il fit après s’être préalablement accroupi pour progresser sans se faire repérer. Si quelqu’un venait de derrière, il le verrait très convenablement dans les rétroviseurs extérieurs de la voiture.

Il fallait seulement espérer ne pas avoir été vu dans le processus.

Ces yakuzas que Yū écoutait attentivement sans perdre une miette de leur conversation lui apprirent ce qu’il avait besoin d’entendre : À savoir, confirmer que ceux qui étaient à l’origine du mouvement de panique étaient bien ces criminels de Sanda, et que ces derniers comptaient se servir du chaos faisant rage à Izanami pour atteindre Uzume.
La police et le Yamaguchi-Gumi - qui selon eux déploraient déjà des victimes dans leurs rangs - étaient leurs cibles, et le détective sentit son sang bouillir lorsqu’il pensa à tous ces civils qui ne représentaient sûrement que des dommages collatéraux à leurs yeux. Ils n’étaient pas visés, mais on se servait d’eux comme de vulgaires outils.

C’est lorsqu’il se leva pour leur faire volte-face - prêt à se montrer - qu’il aperçut dans le rétroviseur extérieur de la voiture, une jeune fille errer seule au loin. Sur le coup, il ne réfléchit pas, et alla immédiatement à sa rencontre au pas de course pour lui attraper le poignet, comme s’il s’agissait d’une petite-sœur qui se serait trop éloignée.

« Qu’est ce tu fiches ? C’est dangereux par ici !  » la gronda-t-il dans un souffle, agacé par ce qu’il pensait être de l’insouciance. Il desserra néanmoins légèrement son emprise lorsqu’il remarqua que la malheureuse était blessée et tenait à peine debout.

Au vu des marques sur ses vêtements, il n’était pas difficile de deviner qu’elle avait été piétinée dans le mouvement de foule. Elle était encore en vie, mais plus pour longtemps si elle continuait à déambuler de la sorte dans les rues Akai.
« Suis-moi. » Yū n’attendit pas de réponse de sa part, et passa son bras endolori derrière son cou pour la soutenir et retourner vers le groupe de Yakuzas. Dans ce genre de situation, l’entraide était essentielle.

Surgir aussi subitement hors de sa cachette lui avait peut-être valu de se faire mettre en joue par ces trois hommes, et le jeune homme espérait qu’ils n’avaient pas la gâchette facile. Avec une personne blessée, il était cependant vulnérable, ce qui devrait éliminer toute trace de méfiance envers sa personne. C’est donc sans hésiter qu’il les aborda.

« Cette fille est blessée. J’ai entendu votre conversation, vous voulez mettre le plus de civils possible à l’abri non ? » fit-il en désignant la petite brune d’un mouvement de tête. « J’imagine que vous saurez vous montrer persuasifs avec vos armes. Ce sera le moment idéal pour redorer votre blason hein ? Cette tournure des évènements vous profite à vous aussi, quelque part. » Il ajouta ces derniers mots avec un petit sourire narquois.

L’heure était mal choisie pour jeter des piques, ou faire des insinuations, mais le jeune homme avait bien du mal à se maîtriser.

« Sachez qu’à mes yeux vous méritez tout autant que ces criminels de Sanda de monter dans le fourgon de la police, surtout après ce qui s’est passé il y a deux ans. » Son regard s’endurcit en se référant à ces incidents. « Mais actuellement, notre objectif est le même. J’ose seulement espérer que vous avez un plan de réponse qui aboutira tout autant que le leur ? Concernant la police, je leur fais confiance, ils comptent le héros de Kobe dans leurs rangs après tout. Reste à savoir si cette fois, une seule balle suffira à tous nous sauver. »

Beaucoup de rescapés s’étaient retranchés dans les bars et les bâtiments de la rue. S’il fallait les évacuer, il fallait faire vite.