Randonnons dans les bois

J’hésite toujours à la croire, quand il m’affirmer parler russe. Son histoire de coloc est complètement crédible et c’est vrai que j’ai eu un aperçu de sa collection de bouquins, mais ça n’empêche pas qu’il pourrait essayer de me baratiner. À sa façon de se vanter… Oui, bon, je suis peut-être un peu trop vexé pour reconnaître qu’il est bien capable de cet exploit que de maîtriser, ne serait-ce qu’au niveau d’une « conversation simple », une langue aussi farfelue que le russe.

Alors j’encaisse son conseil un poil moqueur et continue ma marche sans ciller. On est encore loin ? Il commence à faire vraiment chaud, sans parler de l’humidité. Aux États-Unis, j’aurais déjà laissé tomber le t-shirt ; ici, pas sûr que les Jap’ apprécient. Le seul avantage qu’il reste à cette rando pourrait être de regarder Logan marcher devant moi mais ce gros sac à dos et ce sweat (d’où il a cru avoir besoin d’un sweat ?!) me cachent un peu la vue…

Le timing de sa question est tellement parfait que c’est à se demander s’il ne sentait pas mon regard sur lui. Et le sous-entendu pourrait être une punition pour avoir essayé de le mâter.

- En sport de combat, en maniement d’armes de différents calibres, en survie en milieu hostile. Y compris en camping. À défaut de te tricoter un pull, je pourrai t’allumer un feu si on est encore perdus dans cette forêt à la tombée de la nuit. Je ne parle pas le mandarin mais je peux jurer ou t’insulter dans au moins quatre autres langues et je maîtrise le morse et l’alphabet international. Je suis aussi un excellent nageur en eau vive, ajouté-je, mi-blageur mi-sérieux à mon tour, en apercevant, au détour du chemin, un ruisseau qu’il va nous falloir traverser.

Ces eaux ne peuvent pas vraiment être qualifiées de « vives ». En cette saison, elles sont loin de leur niveau maximal : elles laisser affleurer bien assez de pierres pour passer sans se mouiller les pieds. Et même si on se rate, on ne devrait pas s’enfoncer à plus de mi-mollet, à vue de nez. Vu le temps, je serais presque tenté d’y aller direct, franco, histoire de me rafraîchir un peu… Mais l’idée de me traîner des chaussures trempées le reste de la journée est moins attrayant. Alors en trois enjambées, je suis de l’autre côté. Arrivé au sec, je me retourne juste à temps pour voir Logan me suivre.

Et là, je ne sais pas, mon corps agit de lui-même : alors qu’il pose le pied sur la rive, je me vois lui envoyer une petite poussée dans l’épaule, une pichenette de rien du tout, juste assez forte pour le déstabiliser et l’obliger à poser un pied dans l’eau. Oups... Finalement, c’est lui qui va finir la marche avec une chaussure qui émettra des bruits spongieux à chaque pas.

- Oh... Désolé, j’ai glissé.