Event Randonnée

Mes chaussures n’ont jamais été aussi sales pendant une randonnée qui devait être sans danger et pourtant, on est qu’à la moitié du chemin. Faut se ressaisir, je vais pas faire plomber l’ambiance tout le long et pour empirer notre situation, il faut traverser ce ruisseau. Le courant n’est pas assez fort pour se faire emporter, donc on adhère à mon idée et j’enlève mes souliers et chaussettes encore souillés. Je ferais peut-être mieux de les laisser dans mes pieds tout compte fait, mais on n’a pas le temps de trainer. Nos bras croisés et mains liées, j’y vais en premier et on reste assez proche l’un de l’autre pour ne pas faire passer l’eau entre nous. Kate tient si fort mon avant-bras que j’ai l’impression qu’il va casser en mille morceaux, mis à part le fait qu’elle a peur de glisser, je réalise qu’elle tient à moi en tant qu’ami et faire un caprice est totalement inutile. Je sais ce qui la tracasse au plus profond et elle ne m’en n’a toujours pas parlé, du coup j’attends. Restant concentré à chacun de mes pas, je la regarde en même temps, et je me trouve con de lui faire subir mon mépris.

Décidé à cracher le morceau, elle coupe la glace avant moi. Après avoir remis et lacé mes chaussures, j’essaie de mettre mes idées en place mais comme toujours, j’ai de la difficulté à exprimer mes émotions. Ce n’est surtout pas parce que les phrases sont claires dans ma tête qu’elles vont bien sortir de ma bouche, mais je ne veux pas la faire attendre pour rien. Je remets mon sac à dos en place et hoche la tête, il vaut mieux repartir avant de s’éterniser. C'est en quelque sorte son problème qui me met mal à l’aise, je ne sais pas par où commencer. Je serre et desserre ma main quelques fois, histoire que mon sang circule comme il faut et on prend finalement le sentier qui monte tranquillement.

-Je ne veux pas rien dire Kate, c’est juste que je croyais que ce serait plus sympa aujourd’hui. Je sais que la chaleur nous aide pas mais c’est pas une raison de se fâcher pour autant. Je sais que c’est pas facile pour toi ces temps-ci, enfin il t’arrive pas mal de choses à surmonter alors je croyais qu’une sortie ça te ferait du bien.

La nuque me gratte et en plus d’observer où je dois mettre les pieds, je guette son regard. Je soupire et me lance.

-Je suis passé dans les dortoirs il y a quelques semaines, pour aller sermonner mon frère. Et je t’ai vue dans ta chambre, mais je n’ai pas eu le temps d’arrêter te dire coucou. J'ai vu...euh...le lit vacant. J’ai perdu une amie aussi, on était aussi proches que Loveday et toi, alors je sais ce que tu vis, c’est pas évident, et tu sais que je suis toujours là pour toi, hein? Ça m’a juste...vexé, que tu me fasses la gueule tout à l’heure. J'ai pas envie d’être un ami de substitution.

Codage par Libella sur Graphiorum

Elle comprend enfin pourquoi l’ambiance a changé et son cœur se serre en même temps que sa colère flambe, et elle est à deux doigts de rebondir sur ce qu’il lui dit. Comment ça, pas besoin de se fâcher ? Mais Jared enchaîne avant qu’elle ne puisse le couper et elle l’écoute, elle se tempère, et c’est une des rares fois qu’elle n’explose pas comme un petit volcan.

Cependant, elle n’aime pas que Jared lui rappelle tout ça, surtout que ce n’est pas la meilleure situation pour parler de ce qui lui a fait éclater le cœur il y a quelques semaines. Elle ne veut pas en parler, elle ne veut pas y penser, elle veut juste se vider la tête en gravissant cette stupide montagne, comme si la gravir serait une solution à son cœur brisé, à sa solitude, ce genre de pensée magique. ‘Si j’arrive première à la randonnée, j’irai mieux.’ C’est pas vraiment conscient, mais parfois, cette pensée revient, comme une supplication à une divinité perchée là-haut.

Mais la dernière phrase de Jared l’attendrit et la nouvelle surface du prisme lui permet de voir la situation sous un autre angle, de prendre du recul et de se mettre au niveau de son ami. Elle le regarde, secouant la tête, et ose un petit sourire. Il n’y a aucun danger sur le chemin, aucune difficulté, mais elle lui prend la main et la serre doucement.

« T’es pas un ami de substitution. Je suis… désolée que ce que je t’ai dit t’ait fait penser ça, mais c’est pas vrai, ok ? T’es un vrai ami et merci de te soucier de moi. »

Elle est un peu embarrassée, mais toujours, toujours sincère. Elle lui glisse un autre regard, continuant de marcher sur le chemin qui est redevenu plat. Autour d’eux, le bruit des feuilles et les cris des oiseaux, tandis que le glouglou de l’eau se fait de plus en plus lointain, pour finir par disparaître complètement. D’ailleurs, passer par la rivière l’a un peu rafraîchie et elle est de nouveau prête à tout donner.

« Et je me fâchais parce que ça m’énervait que tu insistes autant, que tu ne me croies pas. Logan c’est juste un ami. Et si j’ai accepté de faire la randonnée avec toi, c’est que je t’adore et que j’aime passer du temps avec toi. »

Elle n’a pas le temps d’être réellement gênée qu’un vacarme la fait sursauter. Elle regarde autour d’elle et se rapproche instinctivement de Jared, avant de voir, une centaine de mètres plus loin, des pierres dévaler la pente naturelle de la montagne. Elle hoquète.

« Merde, Jared ! »

Elle est prête à tourner les talons si besoin, si l’éboulement glisse vers eux, mais il reste assez loin pour qu’elle ne se sente pas en danger. Il doit d’ailleurs être assez petit, car il s’arrête bien vite, ne laissant derrière qu’une pile de rochers. Elle serre la main de son ami.

« On fait demi-tour ou on essaie de grimper ? C’est pas si haut… Et rebrousser chemin nous ferait perdre un temps fou. »

Elle le tire à sa suite, un soudain sourire sur le visage.

« On y va ! Ca va aller ! »

Event Randonnée

Quel con je suis. On aurait pu éviter cette discussion si j’avais pas été égoïste et stupide. Kate s’est faite de nouveaux amis, c’est normal en plus d’être à la fac et à quoi je pensais? C’est un mec qui pourrait la blesser et son chagrin d’une amie partie. Elle était heureuse en début d’après-midi, et l’imbécile que je deviens en une heure la fâche. Normal, je n’ai pas été élevé pour être une personne émotive et comprendre tous mes sentiments. Ils doivent demeurer caché, et je devrais être plutôt carriériste que gentil. C'est père qui voulait ça, que sa progéniture se transforme en lui, mais ça n’a pas fonctionné. Même avant de connaître Kate, je savais que mes émotions sont plus positives, qu’elles veulent sortir de mon corps tout en étant japonais. C'est tellement difficile à comprendre pour quelqu’un qui est forgé dans une culture stricte, sans que l’amour soit donnée directement. Kate est une petite boule de nerfs qui ne demande qu’à être aimée. Je ne demande qu’à lui donner mon amitié, toutefois c’est difficile lorsqu’on ne se comprend pas soi-même.

Tout en marchant, j’ai une sensation de blocage au torse et à la trachée. Ma tête se tourne à contre sens de mon amie et je dépose ma main sur la gorge, contrôlant ma respiration. Mes yeux sont grands ouverts lorsque sa main touche la mienne. Elle est si douce mais par la suite, c’est le contact lui-même qui me détend. Je souris bêtement, c’est moi qui lui dois des excuses à cause de ce malentendu. Aussitôt la bouche ouverte, je la ferme pour ne pas avoir de poussière de roche et d’un réflexe, mon bras attrape Kate pour la cacher derrière moi. C'est un son familier mais qu’on n’entend pas souvent, un éboulement quoi. Ça aurait pu être beaucoup plus dangereux s’il était plus proche, bordel cette journée va finir pas nous rendre fous. Je prends une grande respiration et je n’ai pas le temps de me retourner que ma partenaire est déjà devant moi. Ce n’est pas l’énergie qui manque chez elle! J'obtempère déjà et on se remet en route avec raison; on n’arriverait jamais premier si on recule. De toute façon, il faudrait y aller à l’aveugle pour monter dans la forêt puisque les autres sentiers terminent en cul-de-sac. Avant d’arriver à l’éboulement, je préfère faire mes excuses tout de suite, tout en activant nos jambes. Le contact de sa main me fait sourire et étrangement, il est différent de celui de Hana. Je ne cherche pas plus loin une justification à ce questionnement et je me mets à parler honnêtement.

-On devrait passer par-dessus, il n’y a pas d’autres chemins. Il faudrait juste pas oublier de le mentionner aux gens à l’accueil, ils pourront l’enlever dans quelques jours. Je suis désolé Kate pour plus tôt, c’était vraiment stupide de ma part et maladroit pour Loveday. Si tu veux m’en parler un jour, je serai là pour t’écouter ou si tu préfères que je te raconte mon histoire, ça ne me gêne pas. On fait la paix?

Les deux devant les rochers – ou plutôt les petites roches -, j’essaye de trouver une solution rapide. Je lâche sa main à regret pour enlever mon sac à dos.

-Bon, l’accumulation n’est pas si énorme, on peut y aller. C'est moins dangereux si tu passes à ma droite et qu’on se tient la main, je pourrai te rattraper si tu glisses. Et si jamais un éclat de roche tombe du haut, mon sac nous protégera. Prête?

Codage par Libella sur Graphiorum

Elle hoche la tête et sourit.

« On fait la paix. »

Elle s’en fiche qu’ils aient l’air de deux gamins qui viennent de se fâcher pour un rien. Elle l’aime comme ça. Elle lui dit ensuite qu’elle veut bien écouter son histoire, mais elle lui dit que ça attendra d’être arrivés de l’autre côté du chemin. Ce n’est pas un grand amas de rochers, mais mieux vaut rester concentré lors de la grimpette.

Elle acquiesce à ce qu’il lui dit et lui attrape la main. Grimper sur des rochers, elle l’a souvent fait. Elle s’est souvent pété la gueule, aussi, mais ça, c’est accessoire. Elle essaie de rester prudente, cependant, ça ne sert à rien de gagner la compétition s’ils sont tous les deux blessés, alors elle teste la stabilité de chaque rocher avant d’y déplacer son corps. Et elle doit l’avouer, la main de Jared autour de la sienne la rassure et elle se surprend à sourire.

Ils arrivent de l’autre côté sans encombre, et sans qu’une autre chute de pierres se soit produite, donc elle les estime chanceux.

« Et voilà !! Allez, on avance ! »

Le chemin se remet à grimper et c’est raide. Kate se plie en deux, la route est majoritairement humide ici, à cause de la rareté des arbres qui les entourent. C’est une portion assez nue de la montagne, un chemin étroit où une seule personne peut passer, bordé par des pentes herbeuses de chaque côté.

Kate pose le pied sur le sol et se hisse à la force de ses muscles pour monter, mais son poids ainsi transféré sur son pied fait glisser sa chaussure sur les cailloux encore mouillés et elle perd l’équilibre. Lâchant un cri de surprise, elle essaie de se rattraper à n’importe quoi dans sa chute, et par réflexe, se tourne légèrement pour ne pas atterrir face contre terre.

Elle sent les mains de Jared la retenir mais elle heurte quand même le sol, son corps à moitié sur le chemin, à moitié sur l’herbe humide. Elle grogne un merci, contente de ne pas s’être fait mal, et elle se relève prestement mais un de ses pieds, posé sur la pente herbeuse, glisse de nouveau à cause de l’eau et elle se sent partir de nouveau.

Un autre cri lui échappe et, faisant cette fois face à Jared, elle tend les bras vers lui tandis qu’elle part en arrière, essayant d’agripper le vide devant elle.

Event Randonnée

Un sourire légèrement trop grand voit le jour sur mon visage. Finies les pensées non fondées, on peut continuer notre trajet en toute quiétude. Lui raconter mon histoire avec Ariel pourrait la rassurer, voir sous un autre angle leur chemin qui se sépare pour l’instant. Elles pourront toujours se rencontrer aux fêtes comme par hasard, si Loveday revient au Japon. Je n’ai pas la réponse du pourquoi elle est partie et où, je me souviens d’elle de façon sympathique et douce. Puis lorsqu’on est dans la même chambre, c’est plus facile connaitre la personne, être plus sentimental. Enfin, pour les filles. Les mecs et leur ego, on n’en pas besoin d’en parler.  

Je respecte la lenteur de Kate. C'est mieux être préventif que de courir sur les rochers, sauf si l’éboulement se pointe le bout du nez une seconde fois. C'est moi qui prendrais les projectiles et je ne regretterais pas cette décision, j’ai surtout peur que ma coéquipière tombe. Les quatre pieds au sol avec un soupir de soulagement, je lui tape dans la main. Pour une fois que tout se passe bien, je me sens en forme et surexcité! Les décors changent souvent, même au sol lorsqu’il n’y a plus d’arbres à proximité. La végétation est tout de même présente, sauf que l’humidité dans l’air n’est pas notre amie aujourd’hui. Tout se dérobe sous nos pieds et cette pente est assez brusque. Je retire mes pensées d’il y a quelques minutes, on a encore un bout de sentier périlleux.  

Kate se mets tout de suite penchée, je n’ai pas le choix de faire de même puisqu’à ma hauteur, ce serait dangereux de perdre notre sens. Ne disant pas un mot, je fixe ma partenaire et le sol pour mettre les pieds aux bons endroits. Son éclat de voix me fait lever la tête, prêt à la secourir. Réussissant à l’attraper avec justesse, je lui ébouriffe les cheveux avec un long sourire. Merde! Comment elle peut être aussi maladroite? Ce n’est pas le temps de penser, je dois la récupérer. Me penchant les jambes pour la récupérer en étirant les bras, je vois que moi aussi, j’ai les deux pieds dans l’herbe. Je glisse lorsqu’elle frappe mes tibias et l’agrippe en boule avec mes bras, essayant de la protéger le plus possible. Une dizaine de mètres plus loin, mon sac à dos toque un gros rocher et on s’arrête brusquement. Le souffle coupé, je dépose Kate par terre.  

-Kate...Kate? Ça va? Allez dis-moi quelque chose!

Elle a survécu, c’est ce qui compte. Il y a toutefois des gouttes de sang qui commencent à former un beau rond au côté de la roche, et ce n’est pas le sien. Mon avant-bras gauche a dû toucher une plante avec des épines, mais ça semble superficiel. Enfin, deux coupures de huit centimètres, ça devrait aller, non?

-Okay Kate, c’est pas si grave que ça en a l’air. Écoute-moi bien, dans mon sac il y a une bouteille de désinfectant et des bandages. Tu comprends? Je vais essayer de l’enlever sans trop bouger. Ne fais pas de mouvements trop brusques.  

 

Codage par Libella sur Graphiorum

Elle a à peine le temps de comprendre ce qui leur arrive qu’ils ont déjà dévalé la pente sur quelques mètres. Le choc contre le rocher lui coupe le souffle et elle se laisse quelques secondes pour le récupérer.

« Ça va, j’ai… je crois que j’ai rien… je vais peut-être avoir un bleu ou quoi mais… »

Elle se rend compte que Jared l’a protégée de son corps en la gardant dans ses bras et elle sent une vague de gratitude la traverser alors qu’elle s’assoie face à la pente – ça serait bête de se relever pour encore tomber, non ? Elle tourne la tête vers le haut pour voir la trace qu’ils ont laissée en glissant, puis elle regarde le rocher qui les a stoppés. Et enfin, elle voit le sang. Elle gémit le prénom de son ami tandis que tout son corps se crispe.

Son visage se tort en un rictus effrayé et ses yeux remontent immédiatement sur le visage de Jared pour y déceler une quelconque expression. Il n’a pas l’air paniqué, pas l’air mal en point, mais elle a du mal à se détendre et tandis qu’il lui parle, elle fouille des yeux chaque parcelle de peau visible pour situer la blessure, la trouvant bien vite sur l’avant-bras de Jared.

« T’es sûr ça va ? Ça te fait mal ? Oh je suis désolée, Jared, j’ai glissé et- »

Ses mains se joignent et elles se tordent et elle se met à arracher de sa peau tout au bout du doigts, après l’ongle, sans même s’en rendre compte, l’angoisse lui picotant la pulpe des doigts et elle essaie de contrôler sa respiration mais sa poitrine se soulève et s’abaisse et elle a complètement oublié la compétition parce que oui, qui penserait à une stupide compétition alors que son ami s’est ouvert-

Un mouvement devant ses yeux interrompt le train de pensées paniquées qui traverse son esprit et elle se rend compte que Jared a réussi à se défaire de son sac à dos, alors elle déglutit, se tord une dernière fois les mains puis attrape le sac et l’ouvre, répétant sous son souffle « ça va aller ça va aller ça va aller ».

« Je suis vraiment désolée Jared, bouge surtout pas ok ? On reste autant de temps qu’il le faudra, ok ? »

Elle s’humecte les lèvres et sort la trousse de premiers secours, avant d’y extirper la bouteille de désinfectant et des compresses, qu’elle imbibe de liquide. Elle lève les yeux vers son ami, lâchant un faible rire.

« Heureusement que t’es prévoyant hein ? Et que t’es étudiant en médecine. »

C’est difficile pour Kate de blaguer en situation de stress, mais elle essaie, elle se sent responsable de la situation et elle porte ses responsabilités comme Atlas le ciel, et elle doit s’occuper de Jared alors elle se concentre sur cette simple tâche pour éviter de laisser son esprit détaler vers un sentier interdit.

Event Randonnée

Ma première pensée est de savoir si Kate va bien, pas moi. Si je peux parler ou bouger, je ne vois pas où serait le problème, sauf si elle se mettrait à paniquer. Je me mets à tousser, on a beau glisser sur cette pente abrute pleine de fougères, les quelques cailloux se sont transformés en poussières dans mes narines. Mes yeux s’ouvrent de nouveaux et je la fixe – ou plutôt roule – pour vérifier ses blessures. Au moins c’est moi le plus blessé. Aussi stupide que ça puisse être, c’est moi qui souris. Je ne sais pas si j’ai choisi cette sortie pour gagner le concours ou seulement pour passer du temps avec Kate; un peu des deux je crois. Puis je ne pensais pas que ce serait aussi dangereux. Est-ce que c’est pareil pour les autres? Peu importe, maintenant on doit panser nos blessures avant une infection. Mon sac à dos est rempli de nourriture, dos et justement, de bandages.

Kate semble trop énervée pour faire quoi que ce soit, mais je ne peux pas mettre le pansement correctement sur mon bras, ça n'équivaut à rien. Déposant ma main libre sur sa cuisse, je la rassure que tout va bien, ce n’est pas grave.

-Kate, regarde-moi. C'est seulement deux petites égratignures. Et ce n’est pas ta faute comme ce n’est pas la mienne. Maintenant je vais t’expliquer comment soigner mon bras en premier, puis le tien.

Je zyeute les alentours pour voir comment je pourrais m’assoir. Ma respiration demeure sur le même ton quant Kate, c’est autre chose. Mon corps est lent, le sac à dos a retenu ma chute et pourtant, ça fait mal. Bougeant le bras droit, mes deux jambes se collent ensemble et je prends mon sac, le jetant au sol. Ma tête a dû se cogner au rocher en arrêtant, mais il n’y a pas de sang. Avec un petit soupir de relaxation, je regarde mon amie encore affolée. Je ne lui demanderai pas de se calmer, elle va me jeter dans une falaise. Un peu sonné, je remets mon cerveau en place et lui dis quoi faire après voir rire. Prévoyant? Je sais pas, c’est peut-être grâce à notre culture de voir chaque coup venir en avance.

-Peut-être, mais cette fois j’ai foiré! La médecine ça change pas grand-chose quand tu es le grand frère de deux gosses.

Je lui souris, qu’est-ce que je pourrais faire de plus pour l’empêcher de pleurer.

- Arrête de t’excuser, en quoi ce serait de ta faute? On est deux adultes, on fait chacun nos choix. Bon allez, mets un peu de désinfectant sur le tampon et passe sur les deux blessures pour enlever le sang. Ensuite tu prendras le plus long des bandages pour commencer du poignet en arrêtant avant le coude.

Une grimace m’arrache lorsque le désinfectant passe. C'est normal avec l’alcool, mais on reste toujours surpris. Kate se débrouille bien, on pourra remonter bientôt.

-Ç’est parfait, tu de débrouilles dis donc. Je ferai ton coude et ensuite, on sera bon pour repartir!

Codage par Libella sur Graphiorum

Elle pince les lèvres, ses yeux lui brûlent et elle voit le sang qui dévale la courbe du bras de Jared et non, elle n’en a pas peur, elle s’est blessée trop de fois elle-même et a l’habitude de ce liquide rouge qui fuit et fuit et fuit mais pas sur les autres, et surtout, pas lorsque c’est de sa faute.

Elle approche la compresse imbibée de désinfectant des plaies voisines et elle retient sa respiration alors qu’elle tamponne délicatement la peau déchirée. Elle voit du coin de l’œil Jared grimacer et elle retire brusquement sa main, murmurant un « désolée » piteux, avant de prendre une compresse propre pour recommencer, le cœur en vrac sous la tempête d’émotions qui fait rage en elle. Kate elle est comme ça, il y a toujours des ouragans dans sa poitrine, dans son ventre, et parfois c’est pour le mieux, et parfois c’est tout l’inverse.

Cependant, les mots de Jared la rassurent, c’est comme ce grand frère bienveillant qui vous dit que vous vous en sortez bien et que tout ira bien. L’Irlandaise n’a jamais eu de figure fraternelle comme celle-là, mais c’est presque instinctivement qu’elle se raccroche de cette façon à Jared, depuis le début. Plus qu’un ami, elle commence à se sentir aussi à l’aise avec lui que s’il était du même sang.

Et son coude la pique un peu, c'est vrai, mais elle n'ose pas le regarder, elle ne veut pas attirer l'attention de Jared dessus, elle veut qu'il oublie qu'elle s'est fait mal en tombant aussi. Elle ne veut pas qu'on s'inquiète pour elle, c'est stupide, elle n'a rien de grave. Alors elle détourne juste les yeux et garde sa bouche fermée, faisant abstraction de la légère brûlure, de la douleur sourde qui fleurit lorsqu'elle bouge.

« Pas besoin de faire mon coude, mais on repartira que lorsque ça ira pour toi. »

Elle a vaguement conscience qu’elle dramatise un peu et que les blessures de Jared ne sont pas si graves que ça, mais elle n’arrive pas toujours à penser de façon raisonnable et elle se monte la tête toute seule. Elle garde les yeux baissés sur la blessure, les lèvres pincées, essayant de calmer la tempête et de ranger les émotions dans les petites bouteilles de verre, tandis qu’elle utilise une autre compresse sèche pour absorber le sang qui continue de couler. Elle chuchote un « merde… » avant de la jeter sur le côté, avec celles souillées, puis s’en saisit de deux propres et les dépose sur les plaies. Elle déroule la bande extensible avant de l’enrouler comme Jared lui a indiqué, du poignet au coude, avec la concentration qu’elle a lorsqu’elle peint, et la légère panique qui ne l’a toujours pas quittée.  

Elle laisse échapper un soupir alors qu’elle se recule légèrement, remontant un regard un peu fuyant sur le visage de son ami.

« C’est bon. Tu te sens comment ? »

Event Randonnée

Kate qui minimise toujours ses propres problèmes, c’en est presque fâchant lorsque je veux l’aider. Aujourd'hui, elle n’a pas le choix de m’écouter et que je gère s’il y a une blessure, je sais que son coude lui fait mal même si je suis plus atteint. À ses dépens, je la connais trop bien pour savoir que sa colère prend le dessus et que pour l’instant, elle prend tous les problèmes du monde sur ses épaules. Ce sont que deux égratignures, rien de cassé, ni d’os qui sortent de ma peau. Par contre mes tibias sont en feu, j’aurai deux belles ecchymoses dans quelques heures mais bon, ce sont les risques d’une randonnée faut croire. J'attends qu’elle déroule le bandage pour la guider, elle fait ça comme une championne malgré sa rumination. C'est de la faute de personne, on a glissé et c’est tout. Le terrain est en pente et la végétation obstrue le passage, il faudra faire doublement attention.  

Comment je me sens? Difficile à dire. J'ai l’impression qu’une voiture m’a écrasé la colonne vertébrale. Par chance je ne crois pas avoir de commotion, alors je pourrai remonter après avoir soigner mon amie. Je dépose ma main blessée sur les siennes, en signe de reconnaissance et je bouge mon corps. Mes bras survivent, ma nuque est tendue mais le reste fonctionne. Encore adossé au rocher, mes jambes bougent une à la fois; je crois que ça va, je pourrai me relever bientôt. Cherchant son regard, je lui souris tendrement.  

-Merci Kate. Ça va, on pourra repartir après avoir soigné ton coude. N'essaye pas de m’en dissuader, sinon je reste assis ici jusqu’à temps que tu me passes la bouteille de désinfectant.

Récupérant mon sac à dos, je prends quelques compresses propres en attendant ladite bouteille. Je sais qu’elle ne sera pas contente, mais je n’ai pas envie qu’elle s’infecte pour autant. Je me mets à genou et dépose son avant-bras sur ma main, afin de me rendre à son coude.  

-Attention ça va piquer un peu.  

Après avoir tout nettoyé, je colle un pansement à l’écorchure. Ma respiration est légèrement saccadée, je sens encore la poussière dans ma trachée mais avec le temps qu’il nous faudra pour monter au sommet, j’espère que tout redeviendra normal. Je ramasse les cottons gorgés de sang dans mon sac avec le désinfectant.

-Voilà, rien de bien méchant!  

Puis je regarde les traces que mon corps a laissées sous les fougères. Ça pourrait nous être utile pour repasser, toutefois je n’en suis pas si certain. L’autre option serait de recommencer, il faudra marcher plus proche l’un de l’autre. Me relevant tout entier, j’étire mes quatre membres pour m’assurer que je puisse marcher.

-Bon, je peux fonctionner. Pour monter cette pente je serai juste derrière toi, il faudra mettre nos pieds où il y a le moins de verdure, comme ça on évite de glisser. Ne t’inquiète pas pour mon bras, tu l’as bien soigné et je changerai le pansement avec l’équipe de médecins au sommet s’il le faut.  

Codage par Libella sur Graphiorum

Les petits gestes sont, en vérité, les plus importants. La main de Jared sur les siennes qui tremblent encore un peu, le sourire doux qui étire ses lèvres et éclaire son visage, et même ses mots de chantage – tout cela l’apaise et elle fond un peu dans ces gestes d’affection qui lui donnent envie de devenir une meilleure personne pour les gens qu’elle aime.

« Bon… Ok. »

Elle lui donne la bouteille de désinfectant et grimace au contact de la compresse imbibée de produit contre ses égratignures – ne dit-on pas que les plus petites plaies sont les plus douloureuses ? Enfin, elle a connu pire, donc elle ne se plaint pas, et de toute façon, elle n’est pas du genre à donner de la voix à sa souffrance, alors elle serre les dents et ne rouvre la bouche que pour remercier son ami, une fois qu’il a mis les pansements.

Elle entend sa respiration hachée dans le silence de la forêt, et elle le fixe, encore un peu inquiète, alors qu’il se lève. Et tandis qu’elle est toujours assise, elle ne peut s’empêcher de remarquer comme si c’était la première fois, qu’il est bien plus grand qu’elle, mais maintenant, au lieu de la faire rager, ce fait l’amuse un peu et brouille l’inquiétude qui lui fait froncer les sourcils.

« Si ça va pas, tu me le dis et on fait des pauses, ok ? »

Elle se lève à son tour et époussette d’un geste ses habits – qui sont plus mouillés que poussiéreux, et elle hoche la tête.

« Ça marche, je… ferai attention, cette fois. »

L’échec est toujours cuisant sur sa peau, elle ne veut pas que quelque chose du genre se reproduise, alors elle fait attention où elle met les pieds et ils retrouvent le sentier qui monte parallèlement à la pente herbeuse qu’ils ont dévalée, et ils reprennent leur chemin, se lançant des regards pour vérifier que l’autre est encore en un morceau, la lueur d’inquiétude au fond des prunelles de Caitriona ne disparaissant jamais vraiment.

Elle guette chacune réaction de son ami, effrayée qu’il puisse cacher sa douleur et qu’il se surmène pour rien, alors elle n’a pas peur de passer pour une maman poule durant la montée, elle lui demande si tout va bien, s’il n’a pas mal à la tête ou autre part, mais tout va bien selon lui et il ne laisse paraître aucun signe qui ne puisse la faire paniquer de nouveau alors ils continuent leur ascension et finissent par retrouver un terrain plutôt plat, moins sujet à des accidents désastreux.

« Pfiou, on y est arrivé… Je me demande si on en est encore loin ? »

Elle ne prend pas vraiment le temps d’y réfléchir, ça ne sert à rien de toute façon, alors après avoir vérifié que Jared était encore en état de continuer, ils reprennent la marche, évitant les flaques boueuses, les racines sinueuses et les branches basses qui se penchent sur leur passage.

Event Randonnée

Les expressions sur son visage ne mentent pas, Kate démontre encore de l’angoisse pour moi. C'est normal je suppose entre amis, elle ne voudrait pas que je sois de plus en plus mal en point et je crois que ma respiration s’est faite entendre. Je la regarde bêtement de haut sauf que ma tête se retourne immédiatement vers le côté droit, toussant deux fois à m’en cracher un poumon. C'est moi le médecin le plus qualifié entre nous et je nie de bien aller. Avec de l’eau ça passera mieux, ce que je vais chercher dans mon sac à dos avant de repartir. Cette fichue pente ne peut pas nous arrêter voyons, c’est impossible. Ce n’est pas mon genre prendre des pauses pendant une randonnée, encore moins si le temps presse. Pour rassurer ma partenaire, plutôt mon amie pour le moment, je souris en la fixant.

-Ça va, je t’en ferai part si une pause est nécessaire.

Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, mais je comprends pourquoi elle me demande autant de questions. Enfin c’est peut-être excessif, sans doute j’en ferais pareil avec n’importe qui. Si j’avais à m’évanouir et tomber par terre, je sais comment agir. Alors tous ses regards vers moi sont inutiles, je peux très bien gérer mes blessures physiques. Je réponds des ça va, tout va bien, non je n’ai pas mal. Si ça peut la mettre en confiance, rien n’est agaçant. Lorsque nos regards ne se croisent pas, je regarde les endroits où elle met les pieds ainsi que les miens. Prêt à toute éventualité, même blessé, je ne laisse rien de côté. Si elle glisse, je l’attrape même si j’ai besoin de mes deux bras. Ce n’est pas comme s’il était cassé non plus, ces égratignures ne garderont aucune cicatrice, seulement des souvenirs dont nous rirons plus tard.

-Su-per! Tu vois, on a vaincu cette pente pleine d’herbe! On peut continuer, je suis en forme. Il doit nous rester une heure, peut-être deux je pense.

Ça fait un bon moment qu’on marche, le sommet ne doit plus être très loin. Sans pause, j’étire mes bras tout en maintenant son rythme. Je sens déjà l’inquiétude sur le visage de Kate avec mes mouvements même en ne la regardant pas. Puis je me retourne, tout sourire.

-Ça va, je n’ai pas besoin de pause pour étirer le haut de mon corps. J'enlève certains points de pression pour pouvoir me lever du lit demain matin. Tu devrais faire des étirements avant de te coucher aujourd’hui. Tu penses fêter notre réussite, ce soir?

Codage par Libella sur Graphiorum

Elle fait la moue devant ses mots. Une ou deux heures ? Elle a l’impression que ça fait une éternité qu’ils grimpent sur cette montagne, qui leur en a fait voir de toutes les couleurs.

« Ce que je donnerais pour qu’on soit déjà arrivés… »

Pensée puérile mais Kate n’est-elle pas une enfant ? Elle soupire et continue de marcher. Son mental n’est pas d’acier et la petite bricole qui les a éraflés tous les deux dans cette pente herbeuse ne contribue pas à sa motivation qui commence à se déliter. Mais alors qu’elle jette un regard à son ami pour s’assurer une nouvelle fois de son bien-être, qu’elle le voit si déterminé malgré sa blessure, si optimiste, elle ne peut que sourire et sentir son cœur s’alléger un peu. Et ça fait du bien.

« Des étirements ? J’en ai jamais fait de ma vie. Enfin, sauf en sport à l’école, mais sinon, je sais pas trop quoi étirer. »

Elle lâche un rire amusé, sentant son moral arrêter de descendre en pente raide, et même se remettre à remonter un peu, dans un parallèle assez amusant de leur propre avancée.

« Et pour notre réussite… On verra. »

Elle hausse les épaules, se retenant d’ajouter un ‘tant qu’on arrive avant Logan’ sur lequel Jared aurait tout de suite plaisanté. Mais à ce point-là de la compétition, malgré son caractère que l’on ne soupçonnerait pas si compétitif mais qui l’est, elle ne se préoccupe plus vraiment de gagner le premier prix ou non. Ça serait humiliant de finir dans les derniers, évidemment, bien qu’elle ait la certitude qu’il y aura toujours des gens pour arriver derrière eux, mais sa priorité est désormais d’arriver en sûreté au sommet, et que Jared soit pris en charge. Elle s’en fiche de gagner, pas quand le bien-être de son ami est en jeu.

Ils finissent par tomber sur un embranchement, un des chemins continuant plutôt à plat et disparaissant après une légère courbe, l’autre montant de façon plus marquée mais barré par un amoncellement de rochers. Kate se mordille la lèvre inférieur en lançant un regard à Jared.

« On prend quel chemin ? »

Elle veut le laisser choisir, parce qu’elle ne veut pas le forcer à prendre le chemin dégagé et le ‘prendre en pitié’ et ne voir que sa blessure en oubliant ses capacités physiques et en surestimant la difficulté de l’escalade des rochers, qui ne semblent pas si mouillés, et surtout, pas si hauts. Il y a de nombreuses prises et il n’y a plus qu’à prier pour la stabilité de la chose.

Event Randonnée

Une vraie gamine. À son âge je gérais moi-même mon appartement, mes études et la vie de mes deux frangins. Mes parents sont toujours de bon conseil pour certaines instructions, malgré tout à vingt piges j’étais plus mature. À la limite du possible aussi, je trainais tout de même dans les bars et karaokés la fin de semaine. Ça me passionne de constater les différences entre les cultures et je me rends compte que la façon dont j’ai été élevé est plutôt stricte. C'est en rencontrant des étrangers de la même génération que mon éducation est inflexible. Pourtant, je n’ai pas l’impression d’avoir vécu de la violence verbale avec mon père, ni ma mère. C'est peut-être en voyant de nouvelles personnes, très différentes, que j’ai pris du lousse en arrivant à Kobe. Ça fait des années que je suis ici et je suis toujours surpris de découvrir des gens qui m’apporte du nouveau. Difficile de changer des traditions nipponnes, je me demande souvent comment élever mon propre enfant. Je crois que ça viendra naturellement, enfin je l’espère. C'est une question que je n’ai jamais su poser à mes parents.

-Les extensions des avant-bras, la rotation du cou, le trapèze...tu sais, les muscles quoi. Je te donnerai des dessins la prochaine fois, ou il y a des applications pour le yoga!

C’est pas des conneries ce que je dis, ce sera même ma profession en tant que kinésithérapeute. Les mouvements surtout, mais les étirements en font partie. Son moral ne semble pas très fort, peut-être à cause des blessures? Je lui ai pourtant juré que je vais bien, ça doit être autre chose et elle ne me laisse pas vraiment d’indice pour deviner. Je crois qu’un challenge s’impose et je sais exactement quoi choisir lorsqu’on arrive à un autre embranchement. En se rendant quelques mètres plus loin, je décroche une fleur à son insu, la cachant dans ma poche de pantalon pour l’instant. Les roches sont stables, ce sera un jeu d’enfant grimper sans encombre.

-Tu montes en premier. Si tout se passe comme il faut, ce qui va arriver, je paye ton premier verre ce soir!

Ce n’est certainement pas deux égratignures qui vont m’empêcher d’escalader trois mètres de roches. En plus de Kate qui a réussi les doigts dans le nez, j’atèle mon sac à dos comme il faut et commence à monter. C'était somme toute facile, les prises aux bons endroits alors ça fait un moment que ces roches sont là pour soutenir mon poids. Je tapote un peu mes vêtements pour enlever la saleté, même s’ils finiront sans doute aux poubelles.

-Tu vois? Ce n’est pas des écorchures qui vont nous arrêter, ce seront des blessures de guerre! Ne pas gagner le premier prix ce n’est pas perdre pour autant Kate, tu pourras te vanter que tu t’es rendue jusqu’au sommet du mont! Ah attends, il y a quelque chose dans tes cheveux!

Mon sourire s’agrandit, encore plus lorsque je fais le truc nul de magie. J'avais sorti la fleur entre temps pour la faire apparaitre derrière son oreille, afin de voir une amie heureuse.

Codage par Libella sur Graphiorum

A la mention du verre offert par Jared, Kate lâche un rire joyeux et s’attelle à l’ascension du tas de rochers qui leur bloque le passage. Elle est rassurée devant l’attitude de son ami, devant son optimisme contagieux, qui la gagne et la fait sourire tandis que ses pieds et ses mains trouvent de larges prises. Ça la tire un peu au niveau de son coude mais elle fait abstraction des picotements et se retrouve comme par magie de l’autre côté sans rien de cassé.

Elle garde quand même cette crainte qu’ils se refassent mal alors elle n’est pas sereine tant que Jared ne se trouve pas à côté d’elle, les deux pieds sur la terre humide. Alors elle lui sourit, elle le regarde et son cœur s’emplit de cet amour qu’elle ne peut garder pour elle, cet amour qui pétille dans sa poitrine et qui lui donne des ailes.

« Des blessures de guerre ? Ça me plaît bien, ça ! »

Elle commence à comprendre. Elle commence à sortir de cette dramatisation qui lui masque la vue, qui l’asphyxie dans la complaisance de la tragédie. Voir Jared ne pas s’attarder sur ses blessures et se tourner vers ce qui les attend, ça la sort un peu du brouillard – pas complètement, elle reste Kate, tout de même, mais elle a le sentiment qu’elle ne peut pas rester dans cette crainte constante, dans cette inquiétude qui lui bouffe le cerveau et le moral.

Elle fronce les sourcils aux mots de Jared. Bien sûr qu’il y a des choses dans ses cheveux, vu la façon dont ils crapahutent dans la forêt depuis bien une heure… Et puis ses yeux s’ouvrent un peu plus grand, la lueur habituelle s’y cristallise et elle ne peut s’empêcher de sourire, le cœur d’un coup plus léger, avant de secouer la tête en riant.

« C’était si nul, Jared ! »

Et ses mots ont la signification inverse alors qu’elle se laisse aller contre lui pour une étreinte, paupières closes et sourire aux lèvres. Elle se sent bien, contre lui, et sa petite jauge d’énergie récupère quelques points. Inspirant une dernière fois dans l’odeur un peu âcre de la sueur, elle finit par le lâcher.

« Je garde la fleur. »

Elle sourit malicieusement en la glissant dans sa poche, avant de se remettre en route. Elle n’est toujours pas vraiment d’humeur à parler, à faire la conversation, elle garde cette incertitude dans le cœur, cette crainte qui lui picore le cerveau, mais elle n’est plus aussi anxieuse, et c’est un grand pas. Alors elle se contente de marcher, les arbres se font un peu plus rares et les trouées dans le ciel laissent passer une lumière un peu atténuée par les nuages qui s’épaississent au-dessus de leurs têtes.

Sous ses pieds, Caitriona sent le sol se faire spongieux et ses chaussures trempent dans la boue qui n’a pas pu encore sécher.

« Attention, ça risque de glisser. »

Elle ne se retourne pas, concentrée sur sa progression, mais au fond d’elle, l’optimisme reprend ses droits et murmure que s’ils ont déjà survécu à un sol boueux, ils peuvent le faire de nouveau.