Yū voulait laisser une chance à cet homme en noir de s’expliquer, même s’il ne s’était pas gêné pour ajouter une pression supplémentaire à moult accusations qu’il recevait autour de lui. Lui, dont la défense n’était soutenue que par une unique personne ; cet homme aux cheveux longs. Le brun ne savait pas d’où lui venait cet élan de hardiesse qui le dressait face aux injonctions des manifestants, ou s’il n’avait simplement pas juste supporté voir une personne - seule contre tous - se faire accabler de la sorte.

En tous les cas, le détective remarqua bien qu’il semblait persuadé de ne pas avoir affaire à un yakuza. Bien renseigné le lascar.  Ou ils se connaissaient, ou il connaissait bien la mafia japonaise.
Yū avait décelé une certaine retenue chez lui lorsqu’il avait décliné sa profession, ce qui ne prouvait rien, mais était toujours bon à noter.

« Qu’ils s’habillent en noir rose ou blanc importe peu, ce que je reproche à ce type… » Il pointa de son pouce l’avant du cortège pour désigner grossièrement ceux qui semblaient être les comparses de l’homme. « Ou plutôt CES types, c’est d’instaurer ce climat de psychose dans un pareil contexte. »

Ce qui le gênait, c’était cet éparpillement organisé au sein du cortège ; c’était comme si leur présence avait été méticuleusement calculée à l’avance et destinée à avoir un contrôle ou une surveillance maîtrisée sur la manifestation. Peut-être en bien, peut-être en mal, pour l’heure le détective n’avait aucune preuve pour confirmer quoique ce soit. Mais si parmi les personnes du cortège, beaucoup les avaient remarqués, c’était bien pour cette raison.

C’est alors qu’un cri retentit vers l’avant de la foule.

Puis comme une épidémie, la peur se propagea jusqu’à ce que la conscience des personnes présentes devienne archaïque. Ironiquement, les personnes ayant sagement choisi d’ignorer l’altercation étaient maintenant prises dans un mouvement de panique grandissant, et Yū ne pouvait pas bien voir ce qui en était le déclenchement. Il y avait quelqu’un à terre ? Difficile à dire, car beaucoup furent bousculées et projetées au sol.

ll put néanmoins comprendre où se situait la source de cette vive agitation, en voyant le sens de circulation de toutes les personnes présentes, qui cherchaient spontanément à s’éloigner de l’épicentre du danger… et qui, eux mêmes par leur comportement inadapté mais naturel, constituaient une menace considérable.

« Les thanatopracteurs anticipent ça ? Si vous êtes ce que vous prétendez, filez-moi un coup de main si vous voulez pas vous retrouver débordé par votre travail ! »

Que l’un travaille à Koyane, que l’autre travaille à la morgue, pas le temps pour ça, il y avait des vies à sauver, car l’heure n’était plus à la discussion. Mais qu’un crime soit commis juste sous ses yeux le blessait dans son orgueil, et le rendait absolument fou de rage : Il en allait de son nom.

« Hé ! Relevez-vous ! » cria-t-il à l’intention de toutes les personnes qui tombaient.

Il avait beau s’égosiller, sa voix se perdait dans cette cacophonie. S’avançant vers l’avant de la foule en remontant dans le sens du “courant”, il tenta donc d’aider à relever les personnes qui tombaient non loin de lui, ou soutenir celles qui avaient du mal à garder l’équilibre, les poussant dans le même temps à s’extirper de la masse dès qu’une ouverture se présentait. Le plus dangereux dans un mouvement de panique, c’était de se retrouver sur le sol.

Il fallait éviter un bain de sang.

L’arrivée en catastrophe des ambulances et de la police se marqua par leurs sirènes hurlantes s’ajoutant au vacarme créé par la foule, jusqu’alors agglutinée autour d’un corps sans vie ; l’élément déclencheur de ce mouvement de panique. Yū ne peut pas dire qu’il était surpris que la situation se soit envenimée, mais quelqu’un avait été tué à sa barbe - à lui qui était détective, et qui n’avait su ni anticiper, ni empêcher cet acte éhontément lâche. Difficile pour l’instant de désigner un coupable, mais étant donné les circonstances, il y avait de fortes chances pour que les responsables soient liés de près ou de loin aux attentats de 2020. Si ces événements avaient prouvé une chose, c’était bien que les criminels de Sanda et les yakuzas de Kobe ne valaient pas plus les uns que les autres.

La colère commença à monter à la vue de ce cadavre sur le sol, et Yū ne réalisa pas qu’il serrait les dents lorsqu’un des policiers leur ordonna, à lui, mais aussi ledit thanatopracteur, de les suivre pour un interrogatoire. Oh, il aurait aimé les aider dans leur enquête, mais allait-il rester sur la touche alors que des choses se tramaient non-loin d’eux ? Ce malheureux poignardé à plusieurs mètres d’eux n’allait pas être la seule victime. Un triste dommage collatéral issu de la lutte d’influence de ces ordures, qui constituait sans doute le prélude à des évènements plus désastreux. Il jeta un regard sombre à l’homme en noir, comme s’il avait besoin d’en vouloir à quelqu’un d’autre que lui-même, et observa l’avant du cortège, désordonné mais plus dense.

Pas question de se laisser emmener tranquillement par les forces de l'ordre.
Sa fierté piquée au vif ne lui permettait pas de rester en retrait à un moment pareil. Cette fois, il allait tout faire pour leur mettre des bâtons dans les roues.

Ce fut visiblement l’avis du dénommé Hibiki Tsushiro, qui prit les jambes à son cou comme si l’ordre de l’agent n’était jamais parvenu jusqu’à ses oreilles. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il courait vite, et le détective avait été pris de court par une telle entreprise… qui fut pourtant également la sienne.

« Hé ! » s’exclama-t-il en pointant du doigt le fuyard.

Ni une, ni deux, il se lança à sa poursuite. L’homme, de bonne condition physique, les distança rapidement pour se mêler très intelligemment à la tête du cortège à une centaine de mètres. Il avait l’air d’avoir des choses à se reprocher pour fuir la police de la sorte, et Yū n’allait pas le laisser s’en tirer à si bon compte. Cette impulsivité pourrait bien lui causer quelques ennuis par la suite, mais il savait que sa place n’était pas en salle d’interrogatoire pour le moment.
Le souffle court, le brun remarqua le masque au sol que le type avait jeté derrière lui, qu’il semblait malheureusement avoir perdu de vue à cause de la foule et de l'agitation. Il n’avait pas l’impression que ce thanatopracteur était impliqué dans ce meurtre, mais il avait définitivement fait des choses répréhensibles.

Quelque de gros se préparait, il en était convaincu.