no fun party.

Si elle ferme les yeux la journée ne peut pas commencer, le bruit des vas et viens dans le couloir la somment de rejoindre la préparation des festivités. Il est encore si tôt à Kobe pourtant le soleil percent depuis deux heures les rideaux diaphanes. Les vacances scolaires d’été sont la pire période de l’année, les deux têtes brûlées dorment moins et esquivent la sieste.
Les tambourinements contre sa porte sont comme des rappels de ses obligations quotidiennes. La mère Ito va bientôt débarquer, de sa voix douce cachant une autorité grandissante. Téva-san, Téva-san, Téva-san, toujours par trois, un toc qui gratte chaque parcelle de l’ouïe.

Encore dans le chou, Téva tend son bras vers sa table de chevet, le tiroir à sa portée est ouvert et y est niché au fond un paquet de cigarettes. Le réconfort avant l’effort, des fois l’inverse paye. C’est le son strident de la vaisselle qui l’extirpe dans sa contemplation du plafond tout en poursuivant sa recherche de tabac.

Merde !

C’est l’aide de maison en plein travail, terrible indice que son shift a débuté sans sa présence. Il y a des jours où Téva flanche, son attention décline et son assiduité emprunte le même chemin, mais aujourd’hui n’est clairement pas le bon jour pour gaffer.
Une préparation express du temps des pannes de réveil du lycée causés par les nuits blanches passées sous la couette devant les frères scott.  

La tête n’est pas très regardable, mais elle compte sur sa jeunesse pour effacer l’air endormi. Le sourire de convenance chantonne les salutations habituelles envers le père qui n’a pas pu prendre un congé pour l’anniversaire de son aîné, mais est persuadé qu’Hiroto ne lui en veut pas. Téva se retient de rigoler en s’étouffant de peu avec son café matinal, mieux vaut un accident qu’une révélation des moqueries qu’elle a pour les Ito. Monsieur a des meetings, des contrats importants à faire signer, il vit dans l’objectif de convaincre les autres à suivre ses idées qu’il qualifie de prometteuses. Un lobbyiste comme on les hait.

En refermant d’un genou le lave-vaisselle, elle se sent affreusement molle. Les gens dans le salon s’agitent à gonfler les ballons, la cuisinière règle les derniers soucis d’allergies pour la garden party du petit. L’oeil avisé repère de loin la liste des invités s’alignant sur une page entière en deux colonnes. Combien de cadeaux vont finir à la poubelle car inintéressants pour le gamin - au précédent anniversaire, il avait finit pas en jeter cinq - et combien vont être testé à l’insu de sa tranquillité interne ?

Ito-san
Ito-san
Ito-san

Obligée de la copier parce que Madame court partout, on dirait qu’elle organise les funérailles de l’Empereur. Faut vraiment se calmer dans cet appartement sinon elle va finir par rejeter son déjeuner.

Aaah Téva ! Chérie, tu veux bien empêcher Yukie de toucher au gât- YUKIE !!

La pauvre Ayame.
Elle abandonne déjà sa remontrance en voyant la jeune fille prendre le relais.
N’essaye même plus, c’est pas sympa pour ton frère. Le plus docile des d’eux c’est bien lui, alors heureusement il obéit sans encombre et s’en va jouer à la ps5.

D’autres prestataires ne tardent pas à sonner et s’installer, des mascottes qui feront un spectacle, des magiciens et bientôt un clown. Hiroto a besoin d’être diverti sinon il casse tout, Téva comprend facilement les indices qui présagent du pire, d’une main agrippant sans force son poignet elle le piège entre les banderoles multicolores.

Allez, une photo pour mamie et papy !

La musique pope, une fête avant la fête, les nerfs à vif se froissent davantage en repérant le type du son.
Quand on sent pas une journée, il y a tous les signes pour confirmer notre instinct.
C’est quoi ce délire, Hiroto est abandonné, il pète déjà trois ballons du décor en arrière plan, Téva apparaît dans l’ombre du mec une clé usb à la main.

C’est pas la bonne, tenez, sans partir, le monde est petit, hein. La question étant purement rhétorique. Je vous préviens juste ici on doit rien fumer de louche sinon les flics débarquent, pour le peu que certains seront pas en train de se goinfrer de petits fours.

no fun party.

Le japonais mis de côté, le retour aux racines quand les r ne sont plus soulignés et les Ito parlent anglais, mais ne se vantent pas de cette capacité car elle n’est pas entretenue. De bonnes familles et pourtant il est bon de manier les chiffres et les esprits plutôt que les langues étrangères. Laurent tire de son commentaire des yeux levés vers le plafond fait de lumières en cristal. Téva se retient de rire parce qu’elle ne sait pas tempérer ses humeurs et que les explosions de Hiroto ne couvriraient pas sa joie soudaine. Ca attirerait les regards et elle manque déjà bien à son travail de nounou.
La main passée sur le visage comme pour vérifier si elle l’est vraiment, jolie. Le soleil tape sur ses yeux clairs, ça aide à détourner l’attention sur ce qui est moins flatteur, mais elle a aussi très envie d’éternuer.
Un énième boum lui retire l’occasion.

Tout est une question d’habitude mon cher. Le clin d'oeil en guise de ponctuation finale.

Ça ne la dérange pas d’être un trophée, si elle pouvait seulement en obtenir les bienfaits dans leur totalité. Pas qu’une chambre dans cet appartement de luxe, pas que cette vue depuis un balcon en direction de la baie. Ces booms infernales ne sont que des épreuves à subir pour s'acclimater à ce monde qu’elle convoite en secret. S’arrêtant un long instant sur la tignasse en mouvement de l’aîné, le futur héritier de l’entreprise louche de papa. Il y a bien longtemps que la colère ne traverse plus l’expression de Téva, l’habitude encore et toujours. Ce mécanisme collé désormais à ses synapses. Est-ce que Laurent comprendrait même si elle lui accordait une explication. Sa main ne la démange plus à vouloir le choper à l’arrière par le col de son pyjama - qu’il ne veut pas quitter. Elle repose désormais sur sa hanche, cède à la chaleur et revient balayer l’air.

Comment en êtes-vous arrivé là ? Pas à être ingénieur  son et à côté détenteur des bons plans pour se procurer ce qui les enverrait aux frontières. Non, ici. Dans cet appartement précis, le sien.
La coïncidence ne restera amusante que si sa bouche reste fermée. Mais elle préserve de sa sympathie car il n’y a pas urgence.
Ça deviendra plus soutenable quand les ballons seront tous crevés, moins quand ses amis commenceront à venir. Plus les gosses sont riches, moins ils ont à cacher. Les hurlements stridents des gamines aux robes brodées lui rappellent les pourries gâtées qu’elle enviait pendant toute sa scolarité. Une adulte jalouse d’une enfant, Tev se retient bien de garder cette vérité pour elle.

Et proche de lui, rien. On oublie si vite quand on est auto-centré.

Vous avez soif ? Une bière ou un verre d’eau, ça dépend si vos nerfs tiennent le coup.

Les anniversaires sont synonymes de gueule de bois, tester les saké et whiskeys de papy ou tonton bourré à dix-sept heures. Tev n’attend que ça.

no fun party.

Le récit complètement hors-sujet la laisse dubitative. Il comprend qu’il raconte n’importe quoi, se remet dans son explication et se loupe encore.

Ça se voit, vous avez la tête de l’emploi - pour les concerts punk, ingé son aussi un peu faut avouer. Paris c’est pas mal comme destination, il a dû voyager dans sa vie.

De l’eau ?

Il est hilarant ce Laurent et plus naïf qu’elle le pensait. Si seulement il savait à quel point le fait qu’il consomme de l’alcool pendant son shift passe au-dessus de la tête des Ito. Elle dirait même qu’il est nécessaire d’être un tant soit peu pompette pour supporter la bassesse de ce monde si hautain. Mais elle salue son professionnalisme qu’elle se tue à conserver quand elle a envie de tout faire péter à cause des colères des deux diables. Ok un verre d’eau, c’est noté collègue, en s’écartant de leur coin pour sortir un grand verre - le plus grand qu’elle trouve - et le remplir.

Les ballons ne se font plus martyriser, Hiroto est attentif à ce qu’on lui dit. Téva se surprend à écouter alors que l’eau coule encore jusqu’à bientôt déborder sur ses doigts. Le mal du pays se réveille, le mal de sa famille et de ses parents. C’est con, ça lui reprend de temps en temps, surtout devant une complicité et une tendresse qu’elle n’a jamais connues. Pourtant comment ressentir le manque de quelqu’un qu’on n’a jamais eu. La vie même à l’étranger la rattrape par le col un peu trop facilement, ça l’énerve et sa main est trempée.

Elle lâche un putain et Yukie plaque sa paume contre sa bouche, Oui oui, pas de gros mots pour Toi, en s’essuyant sur un torchon. Faites ce que je dis, pas c’que je fais, son motto préféré.

Un raclement de gorge se veut d’interpeller Laurent, Votre verre, tenez. . Le regard est un peu vague, pas très longtemps, déjà il se pose sur l’aîné et elle a envie de lui tirer la langue parce que c’est bien fait pour lui qu’on lui retire son plaisir de tout éclater. A l’image de son paternel occupé ailleurs, Hiroto croit que le monde doit tourner autour de ses envies - à son âge il impose ses règles et Téva n’en a pas fini avec ses caprices.
Elle sait qu’elle est trop dure avec le garçon, finalement il se comporte mal pour qu’on fasse attention à lui et ça résonne beaucoup en elle. Depuis cette prise de conscience, elle a senti qu’elle devenait plus ferme pour ne pas faire le lien entre leur deux réalités.
Si on ne rejette pas ce qui nous ralenti, on n’ira pas très loin.

Hiroto se désintéresse de son activité, il court à toute vitesse pour chercher sa collection de camions de pompier.

Incroyable, la planète vous remercie de cet acte héroïque. Vous savez y faire avec les enfants

Sans aller plus loin dans son interrogation, elle ne veut pas parler de parentalité.

Si jamais vous avez un petit creux, le buffet est aussi pour nous.
Je vais me préparer et on se dit à tout à l’heure, avant de se diriger vers le couloir elle lui murmure que s’il veut, le balcon en accès depuis la seconde salle à manger est parfait pour s’en griller une.

no fun party.

Téva ne voit pas où veut en venir Laurent, pourquoi paraît-elle s’ennuyer, pourquoi le serait-elle ? S’il y a un jour où elle doit s’affubler de son plus grand sourire et de sa bonne humeur c’est bien lors des anniversaires des petits, si sa joie flanche Ayame lui rappelle d’un sourire aimable que là est une des raisons de pourquoi on l’a engagée. Alors il n’y a pas de place pour un quelconque relâchement. Tous les invités présents doivent se retrouver époustouflés des irréprochables manières dont fait preuve la gaijin au japonais parfait.
Elle est à mille lieux de faire le rapprochement avec son moment de flottement d’avant, il est de coutume de se remémorer des pans de son enfance, de compter ce qu’il lui a manqué et ce qu’elle ne pourra jamais ravoir. Ça ne la regardera toujours qu’elle.

Non, ça va tranquille.

Pour le peu qu’elle ait le temps de s’en préoccuper, Téva se sépare de sa compagnie pour s’activer. Elle craint qu’on ait mis sur son lit une tenue de poupée en harmonie avec la décoration du salon. On veut lui faire plaisir sans se poser deux secondes et comprendre qu’il n’y a rien qui va dans ce genre de cadeau.
Heureusement son bon karma a contré les délires maternels, sortant de son propre dressing une robe couleur terracotta, c’est la styliste de madame qui lui a appris ce nom - la teinte lui va à ravir.

La chaleur ne donne pas envie de sortir, mais une cigarette serait bienvenue tandis que la matinée est encore supportable. L’effluve de la famille, des amis proches et des employés aspirent déjà son énergie.

En croisant Hiroto, elle s’arrête pour lui arranger sa chemise beaucoup trop serrée au cou, les bras chargés de voitures et camions en tout genre - ce n’est pas que les pompiers, la police pour arrêter les méchants comme papa le dit, celles pour la course comme les grands. Des objets de collection mis à disposition sans sourciller des futures réparations à faire pour une quelconque casse. Repose ça après tu vas pleurer parce que ce sera abîmé. Il est pris d’affection pour Laurent car il le mentionne directement, Il voudra bien jouer avec moi, lui !
Qu’il y aille afin de laisser sa nounou fumer. Le sait-il que son nouveau pote fume aussi de la beuh ? Le paternel se croit si au-dessus des lois que ses progénitures se comportent en adulte avant l’heure.

D’un coup de coude, on pousse la baie vitrée légèrement ouverte, s’allongeant sur un des canapés du salon de jardin épargné par le soleil, se séparant des voix insupportables.

Les bruits de la ville ne donnent pas envie de retourner à l’intérieur, la journée s’annonce interminable. Une vibration, un sms de sa mère pour souhaiter un bon anniversaire. Depuis qu’elle a commencé à envoyer plus fréquemment des photos, Angela se sent rassurée et impliquée sans les contraintes de son rôle de mère, dans la vie de sa fille. Téva doit se battre pour qu’elle n’envoie pas des cadeaux ridiculement trop cheap.

Thanks mum, j’essaierai de passer le message, ça va être dur car ils sont chiants comme d’hab. Elle marque une pause, réfléchit à deux-trois trucs hors sujet, Bref le père est au travail ça n’étonne plus personne, moi la première. Bonne soiréeee, des bisous.

Il règne un silence de roi qu’elle retrouve uniquement à la nuit tombée quand toute la famille dort à poing fermé, il faut donc en profiter et apprécier comme il se doit sa clope.

no fun party.

Loin des contraintes de son statut d’employé, Téva se sent comme si elle était la seule et unique propriétaire de ce penthouse. C’est ridicule car elle n’en a pas du tout la prestance même avec plusieurs artifices. Cela lui rappelle Logan qui a plus l’attitude de son métier de barman que celui de son appartement aux loyers à plusieurs zéros. Les apparences sont trompeuses certains diraient, elle préfère penser que tout se sait tôt ou tard.

Sa clope à peine entamée, le portable laissé tranquille sur la table basse, elle reconnaît la présence de Laurent. Ce n’est pas dû à son instinct, il est inexistant, il y a un truc et elle n’a pas forcément la volonté de s’y intéresser pour en tirer une conclusion particulière. Elle sait juste qu’iel a retenu le mémo et qu’iels peuvent partager une pause durement méritée, surtout pour le travail qui va suivre.

Laurent a vraiment le look de sa situation, au risque de se répéter. Mais il faut la comprendre, les gens d’en haut  de la pyramide sociale sont si faux, c’est affligeant. Son rasage de côté, son corps sec à se demander s’iel est en parfaite santé ou va s’effondrer d’un trop plein de fumette.

La balle perdue envers les moeurs japonais, Téva la valide et en rajouterait si sa remarque suivante ne la dérangeait pas.
La couleur…ma couleur ? De ma robe ? Son visage se baisse sur elle, interdite pendant une seconde avant de tirer sur son filtre et attendre qu’une réponse lui vient, une pas trop salée pour maintenir la bonne ambiance entre eux. Elle est encore au stade d’apprendre à laisser couler, savoir choisir ses batailles plutôt que partir pour la guerre.
Iel se rattrape, parce qu’iel voit que ça se fait pas ou parce qu’iel dit tout ce qu’il lui passe par la tête. C’est mieux de ne pas trop s’y attarder.

Oui ça va, on verra pour la suite. Vous savez je me fie jamais à mon humeur sur l’instant, ça m’arrive souvent de, un geste vague, d’exploser. Il faut juste pas me donner des raisons de le faire et tout ira parfaitement. Elle sourit et dans cette semi-plaisanterie on remarque ses dents du bonheur. Angela s'en est toujours caché, elle a appris à les assumer.

Ne voyant pas l’allusion derrière ses propres, que ferait une gamine avec un vieux. Je vais coucher les petits, leur mère sera trop bourrée pour le faire et bonne question pour la suite, sortir si je suis pas assez éméchée. Ou juste comater.

La fin de soirée dont iel fait mention lui paraît si loin qu’elle a du mal à se projeter. Elle en oublie de lui demander ce qu’iel a prévu. Vous avez de la route, vous venez de Sanda, non ? Téva n’en a plus la moindre idée, il serait miraculeux qu’elle se souvienne entièrement de cette première rencontre qui impliquait ce qui a failli la faire griller auprès du père Ito, avec son nez affuté. Heureusement il n'avait pas eu le temps cette nuit-là de s’arrêter longuement sur l’odeur qui se dégageait, puis il n’avait plus jamais abordé le sujet.

no fun party.

Téva se félicite d'une tape mentale sur l’épaule, l’alcool et les stup ne lui ont pas encore retiré trop de neurones. Elle aime Sanda, elle aime s’en rappeler au détour d’une phrase, d’un souvenir qui se réveille tel les cauchemars de son enfance qui l’extirpaient d’un profond sommeil. Elle l’aime l’oublier pour mieux la redécouvrir. Elle la genre au féminin car Sanda est comme une fête ou est-ce simplement parce qu’elle finit toujours par célébrer ses amitiés dans ce monde opposé à celui dans lequel elle vit. Son enveloppe n’est pas faite de strass et de paillettes, il transpire de joie brute et de nuits infinies. Laurent aussi a les traits de ceux qui dorment peu, mais vivent beaucoup. Enfin, qu’en sait-elle vraiment. Contrairement à ce qu’iel arrive à deviner, elle n’a aucun don de clairvoyance.

Elle s’enfonce dans son siège, l’air protecteur de ses peurs cachées qui sont trop vite mises à découvert. Parce qu’iel veut aussi se barrer ? Ah bon. Ouais, iel a le droit, iel en a la possibilité; pas elle. Tev a signé son propre enfermement quand elle a renouvelé son contrat de baby sitter.
Elle n’a comme réponse pour l’ingé que sa fumée qui rejoint celle de sa congénère. Je sais pas, je sais plus, j’ai pas envie de savoir, j’ai plus envie d’y penser.
Fuir pour aller où, Sanda n’est que échappatoir pour quelques heures, Kobe reste son point d’ancrage.

Hm ? Qu’est-ce qu’iel trouve marrant. Le rire se perd au milieu de sa gorge, s’égare contre ses lèvres sans montrer de son arrogance. Il se tait pour mieux exploser en accord avec celui de Laurent.

Vu comment il me mâte..., son corps endolori par la flemme de se bouger se redresse lentement, y’a moyen qu’il n’ait pas tout le temps des imprévus professionnels, vous voyez c’que je veux dire, le filtre entaché de son rouge à lèvre yves saint laurent offerte par Madame-la-fidèle. Le paraître sauve les apparences et la rumeur dit que monsieur a été trop con pour oublier de faire signer un contrat de mariage. L’amour rendrait aveugle ou juste qu’il est teubé par nature. L’anglais c’est toujours mieux pour insulter ses patrons, puis de toute façon tous sont trop occupés à se retrouver et se comparer. Lors de ces événements, la langue parlé importe peu, tout se joue dans le regard et les gestes. Laurent a intérêt à monter bien fort le son pour couvrir la colère d’Ayame. Téva l’imagine déjà harceler son mari de messages, le menaçant d’un énième divorce s’il ne se pointe pas au moins en début de soirée.

Vous venez d’où, vraiment ?
Et Tev se demande si c’est possible que son dealeur livre aux pieds des immeubles vertigineux.
Vous avez un drôle d’accent. No offence. Le français dénote, mais tous les Français parlent pas bien anglais, ce serait marrant qu’iels viennent du même coin.

no fun party.

Elle a failli rigoler, d’un rire moqueur, celui qui ne récolte pas de sourires aussi éclatants que celui qu’iel lui donne en cet instant-là. Mais elle se ravise vite la Tev, car elle entend ce qu’on lui dit et elle plisse les yeux. Lille. Ouais, le nom l’interpelle plus que sa réponse aux affaires d’adultère du daron. Elle se sent même bête de ne pas y céder, le potentiel de lui faire du chantage en lui réclamant de l’argent contre le soin de garder sa bouche bien fermée. A méditer.

Vous croyez ? AHAHA. Elle rigole plus légèrement, bon toujours aussi fort cela dit.
Je suis sûre que je viens du Canada. Pas de la capitale par contre ni de Toronto. Je sais qu’on connait pas beaucoup de city de là-bas, Sherbrooke si vous êtes connaisseurs, sinon Québec, enfin pas la ville. Elle se perd dans ses explications et se pince l’arrête du nez et extirpant une dernière fois sa fumée. Sa cigarette se consume à vue d’oeil, sa pause aussi.
Téva se cale dangereusement dans le canapé, le genre de position qui finit par une sieste au gré du son de la métropole.

Le compliment la fait glousser, Je sais je sais, je tiens ça de ma mère. Elle lâche l’information sans en savoir les conséquences, Angela doit sûrement éternuer et sentir des frissons - elle lui a longtemps rabâché ces signes qu’on sent quand quelqu’un parle de nous. Elle radotait sur l’oreille qui siffle sans se rappeler laquelle était signe de bons commentaires ou d'insultes.

L’attitude de Laurent la rend à moitié méfiante, parce qu’iel est en premier lieu très vieux. C’est ça qui la retient de flirter avec le père Ito. Et en second lieu - la mère Itô l’appelle.

Pffff, fini le calme.
Elle se lève, le soupire s’échoue contre le  filtre écrasé de toute force dans le vieux pot de fleurs dont personne ne s’occupe. Laissées à l’abandon un peu à l’image de son rêve de vite se tirer de cette baraque pour être riche avec sa propre famille.
En passant près de Laurent, la main s’échoue sur son épaule l’air de demander qu’iel profite encore un peu pour eux deux.
Ses bras s’élancent vers le ciel, les doigts joints pour étirer son dos et sa silhouette s’arrête devant l’un des innombrables miroirs du couloir, plutôt jolie. Iel est marrant; Téva se trouve franchement giga belle.

Les cris des garçons rompent définitivement sa bulle de calme, on lui tire le bracelet - bas les pattes ! - pour l’attirer vers les convives fraîchement arrivés. Oh ils sont si heureux de revoir la petite blonde qui parle si bien japonais, leurs têtes faussement choquées alors que si elle n’alignait pas efficacement deux lignes de leur langue toustes la trouveraient ridicule.

久しぶり! *

*hisashiburi - ça fait longtemps