La chaleur fait perler quelques gouttes de sueur sur ta nuque. Dehors, le soleil brille, entouré de quelques nuages statiques, et il vient réchauffer l’intérieur de la librairie qui, malgré la climatisation, reste à une température à laquelle tu n’es toujours pas habitué.

Ce matin, tu t’es levé au doux son de ton réveil. La douche a été rapide, le petit déjeuner également, et après avoir regardé la chemise à manches courtes que tu as achetée il y a quelques semaines, tu as choisi celle à manches longues, et une énième fois, tu t’es demandé ce qui t’était passé par la tête lorsque tu as fait ces tatouages, sachant très bien que tu allais bouger au Japon par la suite. Tu as soupiré et as fini par quitter ton appartement. Avant de monter sur ton vélo, tu as tiqué. Il faudra que tu huiles le mécanisme, ou tu risques de ne plus pouvoir t’en servir. Enfin, tu t’es mis en selle, sentant avec une certaine allégresse la brise créée par la vitesse.

Lorsque tu es arrivé, c’était déjà ouvert, le patron était déjà arrivé. Tu t’es glissé sous la grille à moitié ouverte, et tu es allé te changer dans l’arrière-boutique, troquant ton t-shirt déjà maculé de sueur pour la chemise que tu as emportée.

Et depuis, c’est calme. La chaleur doit en rebuter plus d’un, mais tu sais que d’ici quelques heures, une fois la torpeur du midi dissipée, tu pourras accueillir une foule hétéroclite. D’ailleurs, il semblerait que la parade ait déjà commencée, alors qu’une jeune femme que tu étiquettes immédiatement comme une touriste – tes préférés – se glisse dans la librairie, un léger sourire aux lèvres.

Tu la regardes s’avancer, tu lui rends sa formule de politesse et tu la laisses s’aventurer entre les tables remplies de livres, en direction des étagères de bouquins en japonais. Tu l’observes, remarques les taches de peinture sur son short, les badges sur son sac, ses cheveux attachés en un demi-chignon qui se fait déjà la malle.

Tu t’extirpes de la caisse pour la rejoindre, un sourire professionnel aux lèvres. En anglais, tu lui demandes si elle a besoin d’aide, et elle lève la tête, l’air étonné. Et te répond en japonais, te souriant avec amusement. « Je cherche ce livre, mais je ne sais pas dans quel rayon il se trouve ? » Tu te rends compte de ton erreur. Malgré son accent à couper au couteau, ce n’est pas une touriste. En plus, tu l’as peut-être déjà vue auparavant, maintenant que tu as l’occasion de l’observer un peu plus en détail. Tu hoches la tête. « Suivez-moi. Je suis désolé, je pensais que vous ne parliez pas japonais. »

Le livre est rapidement trouvé, suivi par un autre, et vous vous dirigez vers la caisse. Elle paie, parle un peu du beau temps, et te salue en sortant.

Ça aura été la seule interaction intéressante de ta journée. Le reste est anecdotique.

Elle baille, au fond de son lit, avant de tourner la tête. Son regard tombe sur un lit parfaitement fait, parfaitement vide. Sa colocataire a profité des vacances pour faire ses valises et retourner voir ses parents, alors Kate a la chambre pour elle toute seule, mais elle n’en profite pas autant qu’elle le voudrait.

Elle s’étire, avant de rouler et de se séparer de ses draps, les deux pieds sur le sol. Soif. Elle a soif.

Après s’être hydratée, lavée et changée, elle regarde la liste de choses qu’elle a à faire aujourd’hui, et elle baille de nouveau, se lève et met ses chaussures. Il est déjà midi, et elle a promis à Sayuri de la rejoindre pour le déjeuner.

Après s’être rempli le ventre et avoir discuté des ragots qui couraient au sein de la promo, Kate prend seule le chemin de la librairie. Il y a des livres que ses professeurs lui ont conseillé et qu’il faudrait qu’elle lise – et quoi de mieux que les vacances d’été pour s’y mettre ?

Elle entre, c’est divinement climatisé. Elle adresse un sourire au libraire, trop blond pour être d’ici, mais trop à l’aise pour ne pas avoir déjà vécu plusieurs années au Japon. Ça se voit. Elle se dirige un peu au hasard, suit ses pieds (qui ne sont pas de très bons guides), s’arrête pour sortir le papier avec les différents titres écrits.

« Can I help you ? » Elle a besoin d’une seconde pour se rendre compte que c’est de l’anglais, alors elle sourit, amusée qu’il la prenne pour une touriste – mais en même temps, elle ne pourrait pas ressembler à autre chose qu’à une gaijin. Elle a l’habitude, et apprend doucement à ne plus s’en offusquer.

L’homme l’amène jusqu’au bon rayon en s’excusant, et l’aide à trouver un des bouquins sur sa liste, et elle en voit un autre sur une étagère. La pêche aura été bonne, et elle a déjà hâte de les parcourir. « Merci pour votre aide ! J'espère que vous aurez du monde malgré la chaleur. En même temps, on s'en plaint pas, c'est agréable d'avoir du soleil ! »Elle paie, croise le regard ambré du libraire, presque trop félin pour qu’elle soit complètement à l’aise, et finit par quitter l’air frais de la librairie pour retourner dans la chaleur humide de l’extérieur.

De retour à Amai, elle s’installe dans l’atelier, grignote un peu, avant d’avancer sur sa toile accrochée à un des murs, plus grande que tout ce qu’elle a déjà pu utiliser dans le passé. Peut-être que si elle a le temps, elle commencera un des livres.