Comment Aoi s'était retrouvée enfermée à deux heures du matin dans un konbini d'une célèbre marque dont on taira le nom ? En bref, il faisait un très mauvais temps car on était en juin et qu'en juin la météo était aussi imprévisible qu'un âne cocaïnomane. Et si vous n'avez jamais vu un âne cocaïnomane, laissez moi vous dire que vous loupez quelque chose. Si vous en avez déjà eu un en face de vous, j'espère que c'est lui, qui vous a loupé. Mais je crois qu'on s'éloigne du sujet. Ici, on s'intéresse à deux femmes venant de deux univers différents. Deux femmes qui n'avaient absolument aucune raison de se croiser et encore moins de vivre une aventure commune. Le genre d'aventures qui génèrent beaucoup de retweets sur Tw... Ah, c'est X, maintenant ? On me dit rien, aussi...
Comment Aoi s'était retrouvée enfermée là-dedans ? Patience, avide lecteur. J'y viens.

Le marché avait duré plus longtemps que prévu. A cause de travaux de rénovation de la voierie qu'il était impossible d'effectuer de nuit eu égard à un arrêté préfectorale... Non mais attendez, j'y viens, j'ai dit ! En résumé : les travaux avaient obligé Aoi à installer son marché l'après-midi plutôt qu'en matinée. Les vieux s'en étaient plaint et les jeunes ne vont jamais au marché de toute façon alors, l'un dans l'autre, ç'avait été une journée plutôt calme et ennuyeuse que la jeune femme avait passé à lire. Elle le lisait à travers un sachet fraîcheur en plastique parce qu'il faisait chaud et moite et que le vent était capricieux. Il commençait à souffler de plus en plus fort, le vent, et d'une façon erratique, avec ça. Ce qui ne pouvait vouloir dire qu'une chose : typhon. Rien de bien méchant ; les typhons qui se formaient à l'improviste sont rarement d'une violence inouïe. N'est-ce pas ? Clin d'œil, clin d'œil.

Comme le marché avait commencé plus tard, il avait fini plus tard. Il était vingt heure quand Aoi avait remballé le stand et les invendus. Mais d'autres maraîchers étaient en difficulté et elle ne put se résoudre à les abandonner. Si elle l'avait fait, tout ce qui va être raconté par la suite aurait été un RP solo de Kazumi. Le temps d'aider ses confrères des fruits et légumes, la route pour Sanda était bloquée : arbres sur la chaussée et vents violents. Trop dangereux. Autant que de rester dehors en plein Kobe ? Probablement pas. C'est pourquoi elle se rendit dans un manga café pour la nuit. Elle lut plus que de raison et se coucha au son de l'immeuble mal isolé qui laissait retentir le rugissement des éléments, dehors.

Manque de chance, comme le manga café était plein de clients à cause du typhon, ses distributeurs avaient été vidés. Or il se trouvait qu'Aoi s'était réveillée en plein milieu de la nuit (à deux heures du matin, plus précisément) avec un estomac tyrannique exigeant pitance. Il se trouvait aussi que le typhon avait laissé place à une accalmie bienvenue. Aoi crut alors qu'il était passé et se dirigeait vers d'autres contrées. Elle en profita donc pour se rendre au konbini le plus proche, en quête de ripaille. Elle avait une sérieuse envie de concombres frais, Aoi. Alors, lorsqu'elle rentra dans les rayonnages éclairés par des rayons bien blancs et peuplés d'un unique autre animal nocturne (clin d'œil, clin d'œil), elle se dirigea immédiatement vers le bac réfrigérant idoine.

Kazumi avait fini de tourner à 16h. Rien de spécial, vous dira-t-on, en sachant qu’à peine quelques prises avaient été nécessaires. Elle était satisfaite du rendu, comme à son habitude. Pour une fois, elle ne serait pas en live, et cela la soulageait, car cela la fatiguait beaucoup; quand c’était en live, il y avait une pression supplémentaire, sans parler du fait de devoir constamment animer par la parole; ce qui est, à la longue, épuisant.

Elle se hâta pour rentrer chez elle. Il est vrai qu’ils avaient effectivement prévu un typhon pour ce soir, dès lors, elle ne s’attarda pas dans les rues.
Un peu chafouine, contrairement à d’habitude, elle sauta le repas. Chose qui n’avait rien d’exceptionnel chez elle, d’autant plus que cet “oubli” l’arrangeait un peu trop.

Elle fuyait les miroirs, de peur de se confronter à une réalité trop brusque pour elle. Avait-elle grossi ? Elle préférait ne pas savoir. Mettant un drama romantique sur sa télévision, elle s’endormit sur les coups de 20h30.

Ce n'est que vers 2h qu’une pulsion de vie, venant de son ventre, la réveilla. Ses yeux dans l’obscurité, elle mit un certain temps de réaction avant de comprendre où elle était. Mais une chose était sûre : elle avait faim. Faim au point de se lever, de s’habiller, et de sortir.

Kazumi ne voulait pas qu’on la reconnaisse. Même si elle avait l’habitude d’être très élégante, l’heure ne justifiait plus un tel habillement. Aussi opta-t-elle pour un large sweat noir, ainsi qu’un legging et des baskets. Une femme lambda à 2h du matin, en direction du konbini le plus proche. La faim au ventre, dans un état second, elle rentra dans la supérette, déroba deux pots de nouilles dont elle fit chauffer l’eau. Et là voilà, en train de manger, ignorant le monde autour d’elle tandis qu’elle engloutissait ses nouilles, chose qu’elle était certaine de regretter dans l’heure. Ce n’était que quand le vent fouetta soudainement les parois vitrées de la supérette qu’elle réalisa : le typhon ! Elle avait complètement oublié cette histoire, et pour ainsi dire, le temps qu’elle sorte de chez elle jusqu’à la supérette, tout cela s’était bien calmé. Trop calmé. Elle se mordit les lèvres, tandis que le vent apportait contre les vitres des gouttes d’eau qui résonnaient dans tout le konbini. Un fracas incessant qui la sortit de son état second; il lui semblait évident qu’elle ne pourrait plus sortir. Elle regarda autour d’elle, apercevant une jeune fille au rayon fruits & légumes. Pour la discrétion, on repassera sûrement.

Aoi avait du choix. Au rayon fruits et légumes, il y avait tout un panel de petits plats préparés avec amour et des machines automatisées performantes. On pouvait trouver des onigiri à la carottes, des nikuman aux épinards et bien évidement, la fameuse salade de concombres^TM dont le cerveau reptilien d'Aoi lui faisait miroiter les délices de fraîcheur. Bien sûr, elle ignorait qu'elle n'était pas la seule à avoir été conduit dans cet établissement par ces forces primales et insurmontables que sont les estomacs. Elle ignorait aussi qu'elles n'étaient pas égales sous la tyrannie de leur organe gargouillant et digérant.

S'emparant de ladite salade et décidant de l'accompagner par des mochi aux saveurs aussi diverses qu'aléatoirement sélectionnées, elle se rendit vers la caisse pour payer, seulement, comble du mystère : il n'y avait personne. Voilà qui était fort embarrassant. Elle resta un moment sur place, perdue, ne sachant quelle conduite tenir face à un tel cas de figure. Elle observa un moment la femme qui faisait chauffer de l'eau, se demandant comment on pouvait supporter de mettre des leggings de sa propre initiative et d'où elle pouvait bien venir. De toute évidence, elle n'avait nulle part où dormir, puisqu'elle commençait à manger sur place au lieu de ramener ses provisions dans sa chambre. Aoi lui aurait bien proposée de partager son box dans le manga café, mais il était si peu spacieux qu'elle parvenait à peine à y étendre les jambes alors qu'elle n'était pas très grande. Comment, dans ce cas, y faire dormir deux femmes adultes ?
En plus, elle avait lu des romances un peu gênantes et elle ne voulait pas qu'une inconnue tombe dessus.

Tout cela lui rappela qu'elle devait vite rentrer avant que la tourmente ne reprenne de plus bel. Malheureusement pour elle, le ciel la contredit instantanément en abattant une gerbe d'eau contre les vitres du konbini, signalant ainsi son irrémédiable et durable retour. De toute façon, elle n'aurait pu rentrer bredouille et ne pouvait payer ses achats tant que l'employé n'était pas lui-même de retour. Dans tous les cas, la question était réglée : elle était enfermée dans une superette avec une inconnue.

Totalement éperdue et désorientée, elle se tourna vers l'intérieur du magasin, ses courses serrées contre sa poitrine ; presque un geste de protection contre les vilains fantômes qui rôdaient dans les konbini après minuit. Ou juste parce qu'elle se sentait comme un petit chiot dans un aéroport.
Courage, Aoi, tout va bien se passer.
N'empêche que c'était intimidant.

Kazumi regarda son premier bol de nouille, à moitié-vide, qu’elle venait de dévorer. Sur son épaule, elle sentit un regard, celui de l’inconnue à l’autre bout du magasin. Elle était sûre d’avoir été repérée. Mais elle ne voulait pas se retourner, elle ne voulait pas croiser son regard, surtout après avoir autant mangé.

Les gouttes de pluie frappaient tellement fort sur le vitrage que le konbini devint un énorme tintamarre dont il était impossible d’entendre quoi que ce soit. Plus loin, d’autres branches d’arbre qui tombaient sur la route, avec fracas, la faisant sursauter. Quelle idiote… Ce n’était pas comme si, quelques heures auparavant, elle prévenait les habitants de se mettre à l’abri le temps que le typhon se déplace. Elle n’aurait pas dû se réveiller aussi rapidement : peut-être aurait-elle pu reprendre ses esprits avant de sortir et de réaliser la météo qui l’attendait.
Si ses souvenirs sont bons, elles en avaient au moins pour 2h, voire même 3h. Elle espérait secrètement une accalmie pour pouvoir se faufiler jusqu’à chez elle le plus rapidement possible (à 3 minutes à pied, juste en face).

Se retournant, elle vit la jeune fille tenir sur sa poitrine ses quelques achats. Du moins c’est ce qu’elle croyait de loin. Avait-elle peur de l’orage ? En la regardant ainsi, elle ressemblait à un petit chiot abandonné. Kazumi était embêtée. Pourquoi ? Car elle ne savait pas comment réagir. Devait-elle la réconforter ? Probablement; on ne lui avait jamais dit comment se comporter dans ce genre de situation. Posant ses baguettes sur la table, elle observa la jeune fille, légèrement embarrassée. Si elle l’ignorait, on penserait sûrement que c’était une mauvaise personne. Un peu hésitante, elle se leva, prit son courage à deux mains, et arborant son magnifique masque de façade, elle sourit. C’était le genre de sourire qu’on lui avait appris à faire. Un sourire charmant, mais pourtant, elle n’en pensait pas autant :

“Est-ce que tout va bien ? Je crois que nous en avons pour un petit moment … Le typhon ne bougera pas avant 4h du matin.” Une petite bouille charmante, accompagnée d’une voix rassurante, voilà ce qu’elle était.

La jeune femme s'approchait, sans doute pour établir le contact. Aoi n'était pas du tout timide, d'habitude, mais la situation lui était si étrangère et, d'un autre côté, si familière, qu'elle se sentait toute vulnérable. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de sortir pendant une accalmie ? Et d'ailleurs comment les typhons pouvaient avoir des accalmies ? Était-ce seulement cohérent, d'un point de vue scénaristique ? Probablement pas. Toujours est-il qu'elle avait trop peur et mal aux côtes pour bouger, alors elle resta planter là, avec un sourire crispé, à regarder la femme s'approcher.

« Est-ce que tout va bien ? Je crois que nous en avons pour un petit moment… Le typhon ne bougera pas avant 4h du matin.
— Oh bonsoir. Tout va bien, merci de vous inquiéter. » Répondit-elle avec une révérence maladroitement appuyée.

A peine eut-elle parlé qu'un puissant coup de tonnerre éclata non loin, ce qui eut pour effet de faire trembler les vitrines et de décoller Aoi de ses deux pieds. « Hi ! »

Et voilà. Aoi et Kazumi étaient l'une en face de l'autre, dans un konbini, seules, à deux heures du matin, dans le silence. C'était...
Voilà voilà...

Ahem.

Ah oui, Aoi avait faim. Faim et peur, ce qui voulait dire qu'elle avait envie de manger et pas envie de manger. Mais il fallait bien faire quelque chose, ne serait-ce que pour s'éloigner des vitrines qui, à coup sûr, allaient exploser et l'emmener se noyer dans la baie de Kobe après lui avoir fracassée tous les os du corps contre une devanture de pachinko. En cet instant, être dos aux vitrines, pour Aoi, c'était comme être dos à un tyrannosaure sur le point de se réveiller.

« Euh... Est-ce que... Hum, je m'appelle Kihara Aoi, enchantée. Est-ce que, je peux manger avec vous, au fond ? »

Oui, c'était léger, mais toutes les histoires ne pouvaient pas être passionnantes rapidement, hein ?